Toupie or not toupie ?
Nolan, réalisateur parce qu’il n’a pas pu être magicien à en croire
Le Prestige et, surtout, ce film-ci, nous fait un sacré tour de prestidigitation avec sa toupie inceptionnelle. D’un côté, tout le monde s’en va revoir le film pour tenter de bien comprendre le trip, de l’autre, les producteurs, plus terre-à-terre, en sont déjà à vouloir décliner cette magnifique formule magique qui fait revenir en masse les gens dans les salles.
Malgré quelques gros emprunts au
Paprika de
Satoshi Kon (l'ascenceur et ses différents niveaux de rêve, la machine à rêver, le héros qui doit vaincre ses propres démons pour pouvoir résoudre sa mission et inversement),
Inception, blockbuster cérébral, est rempli ras la gueule de références, d’indices, de clefs. A nous, alors, de trouver le pourquoi du comment ? Oui, c’est le jeu. Inception c’est cela, un gros délire ludique avec suffisamment de fond pour bénéficier de plusieurs niveaux de lecture. Et au-delà, car à vouloir comprendre les rêves on se retrouve soudain à vouloir tripoter Dieu, donc la mort, seul et unique niveau de compréhension. Arghl !
Les clefs - ou fausses pistes ? - , en voici quelques unes de plus, trouvées sur des forums éparses, passionnés, et dans mes quelques bribes de cervelles.
- Le personnage de
Marion Cotillard s’appelle « Mal ». En français, c’est au diable que cela fait allusion, auquel cas comme l'objet toupie garante de la réalité de Cobb (
Di Caprio) appartient en réalité à elle, sa femme « décédée », on peut croire qu’elle n’est pas morte mais revenue soit à la réalité - pas la toupie Bernard (parce que Bernard toupie), mais Marion -, soit à un niveau supérieur de rêve, et qu’elle souhaite garder son homme avec elle ad vitam eternam. Ou bien est-il prisonnier des rêves d’une morte. Beuârk.
- Restons sur Cotillard. Bête français que je suis, j’ai tout d’abord cru que la chanson
« Non, je ne regrette rien » de
Piaf avait été choisie comme clin d’œil au film de
Dahan,
La Môme, dont le rôle titre fut interprété par madame. Niet, le morceau fut choisi en amont, non pas par Marcel (parce que Marcel tout ça) mais par Nolan, ce qui évoque les regrets de Cobb quant à sa pseudo-inception sur Mal, ce démon qui lui torture son vaste intérieur. Nous avons ainsi l’objet à faire disparaître de son cœur : ses regrets, ce "mal".
- Toujours à propos de cette chanson :
Zimmer avoue que son score est basé dessus. Un fan a déjà souligné sur
Youtube que les cuivres graves employés, que j’ai d’abord assimilés aux trompettes de Jericho qui, selon la légende, détruisirent les remparts de la ville, donc une frontière imagée, sont en fait l’intro de la chanson de Piaf, variante du Boléro de Ravel, ralentie à mort. Fascinant.
- ... pseudo inception de Cobb sur Mal parce qu’elle ne tient pas debout. L’histoire des flics qui poursuivent Cobb, jamais développée, ne tient pas la distance. Ses certitudes n’en sont pas, comme le souligne Mal à la fin. Il s’est certainement lui-même inceptionné la tronche avec un mensonge au long court pour mieux fuir certaines évidences.
- Les enfants : d'où sortent-ils ? A en croire le film ils auraient été conçus avant que le couple ne fuit dans les rêves durant des années et des années. Comment donc ! Ils fuieraient ainsi leur chère et tendre progéniture ? Inconcevable... sauf si ces enfants ont été créés dans les rêves de Cobb. Dans ce cas, ils n'existent pas dans le réel. CQFD : la fin n'a rien d'une réalité.
- Ariadne, le personnage d’
Ellen Page, fait allusion à la mythologie grecque. Petite déesse puisque fille de Minos, lui même fils de Zeus si j’ai bien tout suivi sur
Wikipedia, elle aida Theseus à traverser le terrible labyrinthe du Minotaure. En guise de labyrinthe nous avons là les tourments de Cobb, sa perdition dans des limbes qu'Adriane va tenter de clarifier. Pour lui. Projection devient-elle ange ?
- La mission première est-elle un leurre ? De ceux chers à
David Mamet (
La prisonnière espagnole). L'arnaqueur arnaqué serait Cobb, et la mission visant à inceptionner Fischer (
Cillian Murphy) qu'un moyen de mieux inceptionner Cobb.
- Le flash forward d'intro n'en est peut-être pas un. Ne serait-ce pas plutôt la fin d'un rêve précédent qui s'enchaînerait avec le suivant ? Lors de la première scène, seul Saito parle. Dans la presque dernière, le pseudo doublon, Cobb et Saito parlent tous deux. Lui-même : Sméagol et Gollum ! Tout comme dans Memento, à cet instant le personne apprend la vérité, la refuse et replonge dans ses rêves.
- ... ce qui collerait avec cette idée que le canevas scénaristique de Memento a été appliqué ici. Dans ce film de Nolan, Shelby (Guy Pearce) cherche la vérité, la trouve à la toute fin (est-il vieux, dans le coma ? Saito et Cobb ne font-ils qu'un ?...), puis, dégouté parce qu'il n'a dès lors plus de raison de vivre, la rejette. Les yeux de Cobb, lors de sa confrontation avec le vieux Saito, reflètent la terreur, l'horreur de la compréhension. Ce qui entraîne le rejet. "Retournons, jeunes, là-bas" lui dit-il.
- Ou alors... Cobb combat le Mal, ses propres démons, au fin fond des limbes, aidé par Dieu et ses comparses angéliques. Cobb gagne à la fin, il se débarrasse de Mal. Tout le film représenterait donc le purgatoire et, au final, on observerait la victoire de Cobb avec son entrée au paradis. Tout est bien qui finit bien… si cette inception est divine. Si elle est d’ordre maléfique, c’est le contraire et les apparences sont trompeuses, comme d'ailleurs beaucoup de choses éparses dans le métrage, des décors aux projections en passant par les faussaires, ceux qui se font passer pour d'autres. Après tout, à partir du moment où l'épatant
Tom Hardy en interprète un, il peut y en avoir d'autres. Et le personnage de
Michael Caine, à la fin, Dieu présumé, ne peut-il pas lui-même n'être qu'un avatar de (du) Mal qui souhaiterait conserver son amour tout près ?...
J’en reste là avec mon petit trousseau de clefs. Par delà ces réflexions, amusantes dans un premier temps puis, au fur et à mesures, franchement vertigineuses, on peut ne pas aimer l’œuvre pour son ambiance qui sent le renfermé, cette cervelle individualiste qui fonctionne en circuit fermé, ce culte du virtuel comme seul aboutissement possible au bonheur. En cela Inception rejoint
Avalon, d’abord antithèse de
Matrix puisque le film faisait se complaire – parce qu’exister – une femme dans les limbes du virtuel, puis son prolongement, finalement, parce qu’au premier Matrix se succédèrent deux autres Matrix et que les spectateurs ne demandèrent - et ne demandent toujours - qu’à y retourner dans ce virtuel, via le cinéma, arme reconnu du virtuel, de la fuite. Fuite des acteurs, qui s'oublient le temps d'un tournage, et qui pour s'oublier encore, doivent jouer - vite ! - un autre personnage. Fuite de l'écrivain, du scénariste, qui invente et fait vivre dans sa tête tant de personnages. Fuite dus pectateur, qui... Mais, j'y pense, le niveau neigeux n'est-il pas lui-même inspiré d'un film, un James Bond ? Et, à trop voir des film en journée, de quoi en arrive à rêver un cinéphile fou la nuit ?
Lorsque
The Dark Knight de Nolan est sorti, on s’est tous tripotés le zizi à fond les ballons sur ce film. Puis notre camarade MLF a finalement sorti un : "c’est juste un film". Le choc ! Ah oui, tiens, c’est juste un film. Est-ce à dire qu’à un film il faut une fin pour en sortir ? Est-ce à dire, surtout, que la réflexion a ses limites, et que ça n’est pas en sachant le pourquoi du comment qu’on sera heureux dans le réel ? Ou alors, en pensant mieux que les autres et en s’exprimant mieux qu'eux on en arrive à obtenir un statut, statut concernant le virtuel, qui permet d’obtenir une reconnaissance dans le réel, reconnaissance qui amène à la femme, cette satané inception effectuée dès la naissance qui nous fait croire à nous, pauvres hommes poilus (ou pas), que sans elle nul bonheur terrestre n’est possible. Au penseur moche et chétif d’alors rejoindre les succès du con mais beau maçon portugais en matière de gonzesses, ces démons plein de seins et de choupinettes qui nous font tourner en bourrique comme des toupies toute notre incompréhensible vie.
Sur ce, j'arrête de me tripoter le fondement avec mon sex toy toupie et je passe à autre chose... Un autre film ?
Mission impossible ? Non pas pour Nolan mais il a fait quoi déjà ? Inception, un film made in States of America in Cinémasia
Inception. Est-ce parce que
Ken Watanabe joue le rôle de
Saito dans cette production Warner Bros. aux côtés des Di Caprio et autre Tom Hardy sans oublier le gominé Joseph Gordon-Levit qu'une fiche Cinémasie lui est consacrée ? J'en suis des plus septique.
Attention, je ne suis en rien rétrograde, pourquoi pas. Un film SF, thriller et d'action même d'origine UK et USA a (sous doute) le droit de s'afficher dans les colonnes cinémasiennes, je m'en étonne c'est tout. Et ne comprends pas bien la démarche aussi.
Vous me direz, il y a bien eu des Tarantino et autre Christophe Gans qui sont venus se joindre à la fête. Du coup, mon étonnement ne devrait pas en être un. Enfin, je pourrais m'exaspérer de voir une création de fiche comme celle-ci lorsqu'il en manque tant des cinémas asiatiques, mais là encore tout est question de priorité, d'investissement et j'en passe donc je ne m'exaspérerais pas sous peine d'être attaqué de rabat joie, pas content etc... Du style : "c'est quoi ton problème à toi ? Si on veut s'internationaliser comme Allociné, on a le droit non ?" Ce à quoi je répondrais sans doute : "Pourquoi pas".
Sans ça, cet Inception est pas trop mal, il vaut le coup d'oeil.
un rêve éveillé ou un éveil rêvé?
Qu’est-ce qu’un fanboy ? Est-ce cet insupportable gamin geek qui poursuivait inlassablement le super-héros comique Freakazoid dans le dessin animé éponyme ? Est-ce un super-héros, dont le pouvoir est de s’investir complètement dans sa passion au point d’en oublier le monde extérieur ? Différentes définitions pullulent sur le net, mais on y retrouve constamment la question de l’attachement affectif à un objet, une œuvre, un personnage ou un artiste, souvent qualifiée de maladive. Si ma passion pour le cinéma de Christopher Nolan est immense, elle ne m’empêche pas de m’intéresser à d’autres œuvres. Néanmoins, j’avoue être prêt à aller voir ses films les yeux fermés. C’est d’ailleurs ce que j’ai tenté de faire en allant voir « Inception » : éviter tout spoiler, me limiter à la description du réalisateur et aux bandes annonces, et m’éloigner scrupuleusement de toute source d’information, ou même de tout spot tv susceptible de m’en dévoiler davantage.
Avant de me lancer dans mon avis à proprement parler, il me paraît important de revenir sur l’un des fondements de mes écrits : pour moi, il n’y a pas une vérité, et surtout pas en art. Je ne crois pas en l’objectivité. Je la rejette même, car je ne suis pas intéressé par les avis froids, mais au contraire, c’est la passion qui m’anime, et j’estime important de permettre à cette passion de rendre mes avis vivants. Au-delà de mon attachement évident pour le travail du réalisateur, je vais tenter d’expliquer les raisons de mon enthousiasme incroyable pour le film, tout en ne révélant rien de l’intrigue qui ne soit déjà révélé par les bandes annonces.
Comme tous les films bénéficiant d’un hype important, « Inception » a fait l’objet d’attaque bien avant sa sortie. Certains ont prétendu que Nolan avait plagié des œuvres telles que « Dreamscape » (thriller de science fiction à consonances politiques datant des années 80 et mettant en scène un tout jeune Dennis Quaid capable de pénétrer dans les rêves des gens), ou encore l’anime japonais « Paprika » de Satoshi Kon. Bien sûr, ces films ont en commun d’aborder l’exploration des rêves. Tout comme « Le parrain » et « les affranchis » abordent la mafia. Tout comme « le Lagon bleu » et « Lost » parlent de naufragés tentant de survivre. Pourtant, au-delà du thème, rien ne rapproche ces différents films, qui n’ont absolument pas les mêmes ambitions.
Le sujet et l’agencement des séquences du récit d’ « Inception » sont d’une densité vertigineuse, ce qui en soit le différencie non seulement des films cités auparavant, mais aussi de blockbusters comme « Avatar » ou la plupart des films sortant cet été. Trop compliqué, prétentieux ? Absolument pas. Comme toujours, Nolan respecte son public et lui livre un intrigue finalement simple, mais à la construction aussi complexe que riche. Tout en fragmentant sa structure narrative et la construisant sur plusieurs niveaux, le réalisateur/scénariste ne perd jamais son récit de vue, si bien que malgré l’aspect labyrinthique propre à l’esprit ne nous égare jamais. Ce n’était pas évident, puisque le rythme hallucinant rend les 2h20 aussi épuisantes qu’absorbantes. A tel point que lorsque le générique de fin apparaît, on se prend à regarder sa montre, en regrettant que l’expérience n’ait pas été plus longue.
Tout en étant pris par les événements et la tension permanente, on est constamment émerveillé devant le spectacle qui s’offre à nous. Visuellement, « Inception » est une prouesse qui n’a pourtant que très peu recours aux effets spéciaux actuels et privilégient les trucages à l’ancienne, pour un résultat aussi saisissant que crédible. Plutôt que de nous inonder de séquences assommantes et totalement déconnectées de la réalité, Nolan prend le parti de construire un monde des rêves très proche du monde réel, condition indispensable pour que l’arnaque onirique fonctionne sans que le rêveur n’ait conscience qu’il rêve. Ainsi, à la manière du protagoniste, on en vient constamment à se demander si l’action se déroule dans l’esprit d’un personnage ou dans la réalité. Pourtant, on ne triche pas en ne mettant en scène que des gros plans qui empêcheraient de se repérer. Au contraire, Nolan prend soin de multiplier les plans larges, offrant une vision concrète des lieux, permettant de trouver ses marques, avant de tout faire basculer.
Cette manipulation du spectateur n’est bien sûr pas due qu’au travail du réalisateur. En effet, à la manière du héros du film, Nolan s’est entourée d’une équipe de spécialistes chevronnés, avec qui il a collaboré à plusieurs reprises avec succès, pour un résultat inoubliable. Le directeur de la photographie Wally Pfister, qui travaille avec Nolan depuis « Memento », livre un travail incroyable, encore plus impressionnant que ce qu’il avait laisser voir dans « The Dark Knight », tout en restant dans une architecture très urbaine cher au réalisateur, et en conservant les teintes récurrentes dans ses autres films. Lee Smith, fidèle monteur, découpe chaque scène avec un souci du détail qui offre une lisibilité exemplaire, tant des lieux que des réactions des personnages. Le montage des scènes d’action dépasse tout ce que Nolan a fait jusqu’à aujourd’hui, y compris « The Dark Knight », qui était pourtant ponctué d’affrontements mis en scènes de façon dynamique, et toujours claire, comme ce climax inoubliable dans la tour Prewitt. D’ailleurs, non seulement aucune séquence ne se ressemble, mais la plupart des morceaux de bravoure sont totalement inédits. Rien ne pouvait préparer à une telle maîtrise de la technique filmique, mais aussi de la coordination des cascades, qui dépasse de loin ce que les films de Hong Kong ont pu apporter au cinéma américain en termes d’utilisation de câbles par exemple.
Les acteurs sont tous brillants, y compris ceux qui n’apparaissent que quelques instants. On a toujours plaisir à retrouver Michael Caine. Tom Hardy, qui s’était déjà révélé très charismatique dans le film anglais « Bronson » prouve qu’il sera un acteur à suivre, tout à fait capable de succéder aux héros charismatiques d’autrefois. Daniel Craig a du souci à se faire. Joseph Gordon-Levitt, acteur versatile, est très à l’aise, tant dramatiquement que physiquement (de ce point de vue, il est même impressionnant). Ellen Page et son allure frêle apportent un vent de fraicheur tout en nuance. Au rayon des bonnes surprises, Dileep Rao, et surtout Ken Watanabe qu’on voit bien plus que prévu. Cillian Murphy livre une de ses meilleures prestations, tout en retenue et en émotion. Mais c’est bien le couple Cottillard/Di Caprio qui remporte la donne. La première, dans un rôle de femme fatale, s’impose avant tout grâce à son jeu corporel. Le second réitère une performance digne de celle de « Shutter Island » en renouant avec toutes les obsessions des personnages torturés du cinéma de Nolan.
Enfin n’oublions pas la bande originale de Hans Zimmer. On repère quelques tonalités qui rappellent « la ligne rouge » ou « the dark knight », mais le film possède sa propre identité musicale (et sonore en général) avec plusieurs morceaux qui resteront longtemps en tête. J’ai beaucoup apprécié la finesse de certains morceaux pour un compositeur comme Zimmer qui privilégie les gros sons (ce qui est aussi le cas ici malgré tout).
Au-delà de tous ces aspects, « Inception » est surtout le premier vrai film d’auteur de Christopher Nolan. L’artiste a souvent travaillé en étroite collaboration avec son frère Jonathan. « Memento » reste son film le plus proche d’un film d’auteur, puisque même s’il s’inspire d’une nouvelle de son frère, c’est pour écrire un scénario très différent. « Inception » reste malgré tout l’œuvre de sa plume, et de sa plume uniquement. L’occasion de juger de ses talents d’écrivain. Et pour ça rien de plus simple : la séquence finale, qui reste peut être la conclusion la plus réussie de tous ses films (alors que celles de « Memento » et « The Dark Knight » me paraissaient déjà magistrales), tout en étant presque intégralement muette, est d’une émotion incroyable, et ce sont les détails visuels qui mettent en relief tous les enjeux de cette fin.
Un film à voir plusieurs fois, non pas parce qu’il est incompréhensible, mais parce qu’il doit se vivre et se revivre, pour se l’approprier différemment, pour en avoir une autre lecture… pour se replonger dans un rêve qu’on aurait aimé ne pas voir se terminer, tout simplement…