Un des plus grands mélos du monde
Parfaitement d'accord avec la critique ci-dessus, L'intendant Sansho est un des grands classiques du cinéma, poignant et retenu à la fois. L'amour (entre mère et enfants) semble d'autant plus fort qu'il est "à distance", grand thème asiatique. Le cri de la mère cherchant ses enfants résonne encore longtemps après sa vision.
Une veine humaniste et un final magique
Dans toute sa filmographie, rarement Mizoguchi aura trouvé pareille cohérence et pareille générosité cinématographique. Justement récompensé d'un Lion d'Argent au Festival de Venise,
L'intendant Sansho pourrait bien être le plus grand film de Mizoguchi car l'un de ses plus complets et fascinants. Tout l'art de son cinéma, opposant retenue et violence suggérée est ici parfaitement retranscrit dans la bataille d'un homme pour sauver sa famille de l'esclavage et mettre fin aux différents réseaux d'esclavagisme peuplant la région, dont le premier Ministre se fiche éperdument. D'une durée inhabituelle pour un Mizoguchi des fiveties (le seul avec
La vie d'O-Haru femme galante à dépasser les deux heures), il n'en fallait pas moins au cinéaste pour faire culminer son oeuvre dans les sommets du mélodrame et du film politique. Car en plus d'être une oeuvre où les liens d'amitié, d'amour et de famille se déchirent à chaque minute, il est aussi question de critique acerbe du pouvoir et de la surdité des hauts placés à changer les lois ou ne serait-ce qu'à les modifier. Zushio tentera tant bien que mal à faire bouger les choses par son statut changeant (passant d'esclave à Gouverneur) et à présent de valeur, mais il s'avère que son nouveau rôle n'est en fait qu'une simple couverture, bien loin des enseignements donnés par son père. Il démissionnera logiquement voyant le faible impact de son autorité et son impossibilité à exécuter ses requêtes (libération d'esclaves, entre autre). Mizoguchi signe une oeuvre alors sans échappatoire, les hauts placés bornés resteront sur le sommet de leur colline et les pauvres continueront à croupir sous leurs fouets et fers rouges. Qu'importe, l'essentiel est que l'Homme soit encore en vie, l'essentiel a été la bataille, faite de larmes et d'humiliations, cette bataille pour l'Homme, fruit d'un immense humanisme dépeint par un cinéaste à son meilleur (capable de rivaliser avec les meilleurs Kurosawa de la même époque) aussi bien au niveau formel que thématique, et qui clôt cette aventure humaine par des retrouvailles inoubliables.
L'intendant Sansho est précieux.
Un sommet du cinéma mondial
Avec l'Intendant Sansho, Mizoguchi réalise un sommet de son cinéma et du cinéma mondial qui fait partie des classiques de l'age d'or des studios japonais des années 50 (époque où Kurosawa, Ozu, Naruse et lui enchainaient réussite sur réussite à cadence régulière). On ne sait trop par où commencer pour évoquer cet émerveillement permanent, ce superbe mélodrame, ce grand drame historique. Entre le superbe score classique de Fumio Hayasaka qui souligne parfaitement l'émotion aux moments-clés du film, la grande théatralité du jeu d'acteurs à la palette riche et survoltée, une mise en scène simple et évidente faite de cadrages au cordeau, de plans séquences hypnotiques et prenants et de travellings amples, c'est le sans-faute incontestable. Mizoguchi y dépeint un monde en ruine, ayant perdu ses repères, où les justes (le gouverneur exilé qui était aimé du peuple) sont condamnés au mépris et à l'exil.
Mais dans ce monde fait de bruit et de fureur les femmes demeurent debout (meme si ironiquement la compagne du gouverneur exilé se retrouvera amputée d'une jambe) et l'Intendant Sansho exalte leur lutte permanente. Car la fille du gouverneur dira préférer mourir que de dénoncer son frère évadé. Et elle sera le détonnateur qui resuscitera l'humanité perdue de son frère qui lui donnera en échange la reconnaissance éternelle. La femme du gouverneur défunt aura transmis efficacement les préceptes humanistes de son mari à ses enfants et, meme si elle se compromet comme courtisane sur l'ile où elle a été enlevée, elle tente de s'évader et paiera sa tentative au prix fort alors qu'elle pourrait rester et mener grand train.
L'autre grand thème du film est la dénonciation en règle de l'exploitation de l'homme par l'homme et la croyance en la capacité du politique à changer cet état de fait. Car outre d'etre de véritables esclaves, les ouvriers travaillant sous la férule de l'intendant Sansho se retrouvent marqués au fer rouge lors de leurs tentatives d'évasion. Qui plus est, Sansho oblige les ouvriers à torturer les traitres. Dès lors, meme si Mizoguchi place la violence dans le hors champ parce qu'elle est intolérable, les multiples scènes de torture et d'humiliations glacent le sang du spectateur, surtout celle où le fils du gouverneur exilé est brutalisé puis emprisonné avant d'obtenir une audience auprès du Premier Ministre. Quand ce dernier lui propose un poste de gouverneur, on croit au cadeau empoisonné. Mais porté par ses idéaux le jeune homme proclamera l'abolition de l'esclavage, écoutant son sens de la morale plutot que ses conseillers. Et la tentative de déstabilisation d'un Sansho faisant détruire sa proclamation sera un échec. Mais meme si la marche de la justice n'est pas entravée, meme si l'action politique a prouvé sa capacité à changer les choses, une ambiance de tristesse flotte sur le film: rien n'effacera les marques au fer rouge sur ceux qui luttaient contre l'injustice, rien ne fera oublier au nouveau gouverneur que son père et sa soeur ont payé de leur vie pour leur vision humaniste et leur respect de l'autre.
Comme souvent chez Mizoguchi, la symbolique du passage de l'autre coté de la rive est utilisée pour marquer le début de la perte de repères moraux: dans les Contes de la lune vague après la pluie, le fleuve conduisait à la ville et à ses illusions de réussite facile; ici, la femme du gouverneur exilé se verra violentée dans une barque et ses enfants lui seront soustraits lors de cette traversée. Mais justement à la fin du film, par respect d'un père qui lui a enseigné de ne pas s'aggripper au pouvoir, son fils abandonnera les honneurs et traversera la mer pour la retrouver sur l'ile de Sado. Le film peut alors culminer dans un final de retrouvailles faites de désespoir, de regrets, de difficulté à se reconnaitre, un magnifique sommet mélodramatique. Inutile de dire que ce film est indispensable à tout vidéothèque asiatique (et cinéphile) digne de ce nom.
Une merveille trop méconnue
Avec ce film, MIZOGUCHI Kenji nous transporte à une époque dont on ne soupçonnait même pas l'existence, le Japon du XIème siècle, grâce à cette légende qui est parvenue intacte jusqu'à nous, l'histoire tragique d'une famille déchue et réduite à l'esclavage. On apprend en effet que les paysans japonais de cette période étaient vendus et exploités comme du vulgaire bétail, enfermés dans des camps et soumis à des conditions de travail incompatibles avec la moindre notion de dignité humaine. Zushio et Anju, 2 enfants séparés de leur mère depuis leur enfance, en sont des victimes résignées au bout de 10 ans d'humiliation, bien qu'une petite lueur d'espoir brûle encore dans le cœur d'Anju.
Reconnaissons d'emblée à Mizoguchi un talent de conteur extraordinaire, tant il arrive nous captiver à chaque seconde qui s'écoule. Les scènes de bravoure s'enchaînent à merveille, la violence qui règne sous le commandement de l'intendant Sansho est systématiquement rejetée hors champ mais n'en est pas moins frappante (cf. les marques au fer chaud…), et le spectateur est tenu en haleine par la promesse d'une évasion rocambolesque, suivie d'une vengeance soigneusement préméditée visant à punir les bourreaux de ce camp de la honte. Très hollywoodien dans ses grandes lignes, le scénario de Yoda tient la route jusqu'au bout et, allié à la mise en scène très ample de Mizoguchi magnifié par des acteurs impeccables et une lumière fascinante, cela donne un film qui, vous l'aurez compris, n'est en aucun cas une œuvre mineure dans sa filmographie.
CHEF D'OEUVRE
Rien n’est plus difficile que de réaliser un bon mélo.
En effet, cela peut rapidement dégénérer en « tire-larmes » ou en guimauve.
Le scénario est ici universel et touchant. Un sujet grave : une mère séparée de ses deux enfants.
A Hollywood, ce scénario aurait donné une espèce de guimauve surjouée, avec un simple faiseur, le film aurait pu être racoleur et raté.
Oui mais voilà, c’est Mizoguchi.
Il transcende son histoire par des images d’un lyrisme poétique éblouissant.
Certaines séquences sont tout simplement inoubliables et peuvent figurer en bonne place au panthéon des plus belles séquences de cinéma (cf. le sacrifice de la jeune fille dans le lac).
Mizoguchi a une réalisation si délicate qu’il crée des images d’une beauté quasi irréelle tant elles paraissent rafinées et composées admirablement.
« L’intendant sancho » est donc un des grands achèvements de Mizoguchi ; il atteint là l’émotion pure.
Chef d'oeuvre absolu
Et je n'admettrai pas la moindre objection :-)
Peut-être le meilleur Mizoguchi, en tout cas l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma.
La dernière scène est d'anthologie.
Bon
Je suis d'accord avec tout ce qui a été dit mais j'aimerais nuancer un peu tous ces propos. Ce film est bon. Pour moi, ce n'est pas un chef d'oeuvre car il est beaucoup trop lent et la fin est vraiment d'un pessimisme ennuyeux. Je ne dévoilerai rien pour ceux qui ne l'ont pas vu mais il faut bien admettre que toute cette histoire pour ce résultat... il y a de quoi être déçu. Cependant, ce film a de nombreuses qualités: réalisation, jeu des acteurs et une bonne réflexion sur l'humanité. Pour moi, le meilleur Mizoguchi reste "Contes de lune vague après la pluie", qui est indépassable.
Voyage à travers l'âme
L'Intendant Sansho est de ces œuvres suprêmes qu'un réalisateur ne peut réitérer dans sa carrière, aussi faste et prodigieuse soit-elle. Toutes les propriétés du cœur sous sa forme spirituelle y défilent, de la tyrannie sans bornes à l'altruisme le plus pur. Mais le film est pourtant loin de se cantonner à ce – bouleversant – souffle humaniste, en témoignent sa structure dramatique colossale ainsi que le parachèvement d'une mise en scène qui n'a jamais exhalé telle grâce chez Mizoguchi. Dès le départ,
L'Intendant Sansho vous prend droit aux tripes et ne vous lâche que lors de son carton de fin. On en ressort tout naturellement avec l'impression d'avoir découvert un des plus beaux trésors du cinéma japonais, une de ces pépites du septième art que l'on pourra visionner dans des siècles non sans une passion et une admiration intactes. Écrire un roman-fleuve ne suffirait d'ailleurs pas à rendre compte de la richesse de cette merveille qui constitue à la fois un poignant récit sur la destruction de la cellule familiale, une remarquable étude de la condition humaine, un mélo superbement interprété et, pour conclure, le mètre étalon d'une certaine esthétique à la fois somptueuse et dépouillée. Peut-être le plus beau film du pays du soleil levant avec
Vivre et
Les Sept Samouraïs de Kurosawa.