Introspection Tower est dans la continuité de l’œuvre de Shimizu Hiroshi, l’auteur du beau Children in the Wind. Le film explore l’éducation de l’enfant dans une maison de redressement où les garçons et les filles viennent passer quelques jours à la demande de leurs parents. Situé aux alentours d’une montagne, l’établissement confronte deux opposés, d’un côté la nature verdoyante et les collines l’entourant synonymes de liberté et de l’autre une école où la discipline est de mise. Respectant la hiérarchie sociale du Japon d’époque (qui tend hélas à se perpétuer à l’heure actuelle surtout au vu de certains sondages particulièrement douteux) où les filles apprennent les tâches domestiques tandis que les garçons vaquent aux tâches plus musclées (comme la création d’un canal d’eau), l’école est dirigée par d’un côté des hommes et de l’autre des femmes, certains sont d’ailleurs en couple, comme pour éviter de paraître « enseignants » ou « pères fouettards » et pour ne pas déranger les jeunes qui apprennent en majorité tout d’eux : dans le futur il faudra donc trouver un conjoint et bâtir sa maison dans la plus pure tradition japonaise, éviter le divorce (un des enfants perturbés parle souvent du fait qu’il n’a plus de maman) et les querelles amenant parfois à la déstabilisation du gamin. Parmi ces gosses, Masao ou encore Tami passent leur journée au travail en apprenant les choses de la vie, non sans ronchonner : l’une se plaint de la bouffe dégueulasse et de la suffisance de ses petites camarades, l’autre préfère se tirer la malle en bon vaurien qu’il est (cette jeunesse empreinte d’une liberté aveugle). Le film arrive à être touchant parce qu’il dépeint de bien belle manière les états d’âme de gosses pas plus méchants qu’un autre, mais qui sont ici parce qu’ils ont souffert d’un manque d’éducation ou d’affection de la part de leurs parents, qui souhaitent comme tout bon parent une éducation impeccable pour leurs rejetons. Certains parents sont d’ailleurs un peu dépassés par les évènements et en seront au point d’être remis en place par le directeur de l’établissement. Shimizu traite son sujet de telle sorte à ce qu’il ne tombe pas dans la comédie facile qui enchaînerait les gags et les gaffes grotesques des gamins histoire de rendre les éducateurs complètement fous, le temps du muet n’est pas si loin que ça et les relents inhérents à la comédie burlesque d’époque auraient pu resurgir par manque de matière sur le papier.
Mais il n’en est rien, le film arrivant à véhiculer une vraie sensibilité notamment dans deux séquences où le jeune Yoshio tente de se suicider en se jetant sur les railles à l’arrivée d’un train, ou lorsqu’un jeune adulte essaie de s’enfuir avant d’être passé à tabac par un des éducateurs. Les poussées de violence ne sont pas rares et témoignent des prises de risques du cinéaste, qui ne cache pas non plus sa volonté de prendre de l’avance sur ses collègues de travail en proposant des plans originaux et audacieux : la séquence où la gamine est auscultée et mesurée par les éducateurs en début de métrage n’a presque rien à envier formellement au Visage d'un autre d’un Teshigahara par exemple. De plus, les travelings très nombreux permettent de dynamiser la narration plus que chez un Ozu ou un Naruse (bien que leur caméra n’était pas encore définitivement posée) et Shimizu déploie tout son panel avec une belle aisance, tremblotante certes, mais osée. L’un des plans qui témoignent le plus de cette rage enfin extériorisée de la part des gamins est cette caméra posée dans un canal d’eau éclaboussée de toute part par les enjambées de ces derniers, heureux d’avoir participé à l’amélioration du centre, et en l’occurrence du système d’utilisation de l’eau. Une caméra salie, en 1941 ? On n’a pas du en voir des masses. Shimizu varie donc sa mise en scène et lui donne une vraie signification. Pas de plan pour faire joli, les classiques cadres sur la moustiquaire rappelle aussi qu’il y a un monde entre les adultes et les gosses et qu’il faut protéger les enfants pour l’avenir. Bien interprété et plein de vie, Introspection Tower est un classique de Shimizu qui flirte durant près de deux heures avec le documentaire, surligné peut-être un poil trop de symboliques lourdes (les chaussures volées, la cloche centrale, les poèmes en fin de métrage). Mais ce ne sont que des broutilles, et en ce jour particulier du 28 août signant le retour des Boys après 8 ans de silence, notre esprit est déjà dans les wagons du Runaway Train…Alors ces broutilles, on s’en passera !