Conclusion décevante, mais style mémorable
C'est sur une légère déception que nous laisse Somai Shinji avant de rejoindre au ciel les grands noms du cinéma japonais qui l'ont précédé. De toute sa carrière, pleine d'audaces en pagaille et de partis pris formels réjouissants, le cinéaste aura convaincu festivals et cinéphiles de son inestimable talent de compositeur de plans, il aura convaincu toute une génération de cinéastes par son savoir-faire (mentor entre autre de Kurosawa Kiyoshi) et l'authenticité très souvent dramatique de ses récits dans la longue et riche période des années 80 amorcée par le très grand succès populaire
Sailor Suit And Machine Gun. Avec
Kaza Hana, le cinéaste perpétue l'étude des rapports humains et de son pays avec un road movie aussi lent que déjanté mettant en scène deux paumés : Sawaki, bureaucrate alcoolique et Yuriko, ancienne hôtesse et escort-girl qui se sont rencontrés sur le lieu de travail de cette dernière. Si l'on est assez loin de la déchéance âpre d'un
Love Hotel, son pinku terminal,
Kaza Hana aurait les faux airs du
Dolls de Kitano dans la représentation tragi-comique de ses deux héros. Le cadre hivernal ne fait qu'accentuer la proximité des deux oeuvres, tout comme cette séquence suicidaire de fin aussi poétique que d'une grande sécheresse émotionnelle. Pourtant, l'oeuvre de Somai ne semble jamais dépasser ses propres limites, car si son style inimitable reste une grande référence dans le domaine, il ne demeure pas moins daté aujourd'hui. Ce qui fonctionnait brillement voilà quinze ans semble ici manquer de justification malgré le bonheur d'affronter des situations aussi imprévues (l'agression de l'habitant d'Hokkaido sur Sawaki) que burlesques (l'imitation de Zatoichi par un troubadour) amenées par l'utilisation du plan-séquence, marque de fabrique du cinéaste.
On trouve aussi une étrange composition d'un Asano Tadanobu méconnaissable dans la peau d'un salaryman alcoolique, et si son personnage reste assez désolant car très souvent saoul, on ne peut que saluer cette casquette différente du célèbre yakuza sadomasochiste de Ichi The Killer. Sa partenaire, l'assez rare mais montante Koizumi Kyoko trouve aussi un juste milieu entre son personnage de mère et la suicidaire tendance punkette. Bien aidés par une écriture particulièrement libre, les deux héros évoluent dans un univers qui semble vain : absence de gens dans les rues, activité urbaine symbolisée par un train lancé à pleine vitesse (aussi une parabole du suicide lorsque Sawaki le scrute des hauteurs d'un pont), confrontation du milieu dit "civilisé" (Tokyo) et la campagne pour ploucs (Hokkaido), refus du contact familial (Sawaki raccrochant au nez de son père, Yuriko en froid avec sa mère), peur de l'avenir et pessimisme à peine caricaturé par ce "ne deviens pas comme nous" d'une mère à sa petite fille, et nouvelle évocation du suicide en fin de métrage. Si Somai a tant bouleversé les années 80, c'est parce qu'il faisait montre d'un pessimisme total et d'une absence d'happy end vaseux : le final joyeux de Typhoon Club n'est qu'un leurre, Sailor Suit And Machine Gun annonce à peine un massacre, Love Hotel reste trop beau pour être vrai, alors pourquoi Kaza Hana ne joue pas dans la même catégorie? Peut-être parce que le cinéaste a voulu coupé court à ses habitudes, comme pour finir sur une note cette fois-ci optimiste même si le futur du salaryman Sawaki reste flou. On note aussi un générique de fin animé aussi ironique que cachottier. On n'en saura guère plus, le cinéaste succombant à un cancer du poumon la même année, laissant derrière lui aussi bien une part de mystère qu'une empreinte indélébile dans l'industrie du cinéma japonais.