Anel | 3 | |
Xavier Chanoine | 2.75 | Traitement historique intéressant, mais bien des faiblesses |
Ce qui est intéressant dans King of Chess, c’est toute la dimension politique qui tourne autour de deux intrigues bien différentes traitées en parallèle, l’une se déroulant durant la Révolution Culturelle en Chine sous l’ère Mao et l’autre dans un Taïwan contemporain à l’aune du bouleversement de la rétrocession d’Hongkong. Le prétexte du jeu d’échec n’est qu’une métaphore de « l’utilisation » des chinois et des taïwanais au cours des deux époques, d’où « l’échec » de la révolution culturelle qui engendra de véritables pertes humaines et culturelles, en parallèle la société taïwanaise semble être régie par l’argent et son modernisme tend à manipuler les plus faibles (la jeune femme harcelée par son supérieur, le petit géni du jeu d’échec). Perte de repères et d’identité, à l’image des protagonistes du film, le film passe en revue les deux époques avec une belle maîtrise et permet d’en apprendre davantage rayon historique. Cependant, si le film ne manque pas de séquences émouvantes durant l’ère Mao (belle séquence du voyage en train, parties d’échec bien mises en scène), la partie à Taïwan manque de travail sur le plan visuel et montre les limites de la photographie et du jeu des acteurs oscillant entre outrance (John Sham), mièvrerie (Lin Yang) et académisme (le jeune Wong Sing Fong), il faut aussi dire que l’affligeante postsynchronisation annihile tout le potentiel dramatique du jeu de certains acteurs, en particulier Tony Leung Ka-Fai, parfois touchant dans la peau d’un surdoué –presque autiste- du jeu d’échec.
Un autre défaut majeur du film est son assénement d’images d’archive en début et en fin de métrage qui font un peu tache dans cette entreprise : comparables aux stock-shots classiques des films fauchés (dont un "merveilleux" plan d’un train qui semble sortir de nulle part), Tsui Hark et Yim Ho usent de ce procédé pour exacerber au maximum la fidélité presque aveugle du peuple chinois envers Mao, aussi bien chez les gens moyens que chez les autorités, propos confirmé lors d’une séquence pleine de sens où une militaire oblige un étudiant en art de modifier un dessin jugé obscène, représentant une femme nue. L’étudiant repassera au crayon son dessin en rajoutant un manteau. Cette séquence est l’une des rares à mêler réalisme historique et humour, un humour parfois un peu consternant (les toilettes bien sales du train) mais qui ne franchit pas les limites du graveleux. Reste que globalement, le film ne pèse pas très lourd cinématographiquement : montage bordélique et raccords un peu à l’ouest, utilisation de ralentis parfois charmants mais pas bien justifiés, quelques facilités gadgets dans l’exécution de certaines séquences impliquant le jeune géni d’échec (larmes pas crédibles, front taché de sang après s’être cogné sur un mur) et omniprésence de la musique, qui même si elle n’est pas mauvaise, appuie bien trop les émotions mêmes les plus banales. Mais comme tout bon film de Tsui Hark (à la production certes, mais le barbichu a semblé faire pression sur le tournage), le rythme et les débats s’accélèrent jusqu’à un formidable combat d’échec entre Tony Leung Ka-Fai et 8 autres opposants, donnant enfin du punch à un film qui en manquait un poil malgré la belle structure narrative qui ne dévie pas, qu’importe la difficulté de conter en parallèle deux périodes historiques différentes. Loin d’être un chef d’œuvre, King of Chess ravira cependant les curieux et les amateurs du cinéma estampillé Film Workshop. A noter l'omniprésence des portraits de Mao durant le retour à la Révolution Culturelle et l'assénement des campagnes publicitaires du Taïwan moderne.