Ordell Robbie | 4 | Un Kinoshita majeur d'une grande audace dans son travail sur la couleur. |
MLF | 3.75 | |
Ghost Dog | 4 | Travail d’artiste |
Avec La Ballade de Narayama, La Rivière Fuefuki est peut-être le meilleur film de Kinoshita. C’est un film réellement bluffant à 2 niveaux : son ambition thématique d’une part, et son audace formelle d’autre part. Car Kinoshita entreprend de démontrer avec distance, posément et méticuleusement, que l’âme humaine est constamment tentée par la confrontation, la Guerre ou l’allégeance à un seigneur : le combat, le sang et la mort semblent être une caractéristique innée à notre espèce, et toutes les mises en garde du monde ne changeront jamais cet état des choses. Il étend son intrigue sur plusieurs générations d’une famille de paysans du XVIème siècle dans laquelle, invariablement, les jeunes hommes se morfondent d’ennui à labourer leur champ et sont attirés par l’appel de l’aventure, du clan, du patriotisme et de l’étripage. La caméra est souvent placée loin de l’action et des personnages, comme si Kinoshita prenait du recul par rapport à l’Histoire pour en tirer une leçon universelle sur la condition humaine, leçon emprunte d’une philosophie explicitement bouddhiste.
Mais la particularité de ce film se situe aussi dans le symbolisme qu’utilise Kinoshita pour étayer son propos, et dans la maîtrise formelle à couper le souffle dont il fait preuve. Premier élément, et de taille : des filtres ou des tâches de couleurs viennent colorier une image en Noir & Blanc, laissant place à toutes les interprétations possibles. Création d’une distance intentionnelle entre le spectateur et l’action pour qu’il puisse prendre du recul comme le réalisateur sur l’histoire ? Réflexion sur l’importance de la couleur au Cinéma de la part du 1er réalisateur japonais à avoir tourné un film en couleurs en 1951 ? Touche artistique à la manière d’un peintre qui fignole son œuvre ? Oui, mais surtout indices magnifiques qui ont leur signification, qui raccrochent les scènes les unes aux autres et qui évoquent l’idée de « contamination » entre les 2 mondes du film, celui de la paix matérialisée par la maison familiale, et celui de la guerre de l’autre côté du pont enjambant la rivière Fuefuki, symbole du temps qui passe inexorablement.
De même, les scènes de bataille sont très intéressantes : ici, elles sont volontairement sans intérêt, courtes mais nombreuses, filmées de loin, avec des samourais grotesques qui se tuent les uns les autres pour des raisons qui nous échappent. On est loin des grandes scènes de bataille affectionnées par la plupart des autres metteurs en scène. Le film se clôture finalement par une scène de massacre extraordinaire dans un dojo, qui vaut à elle seule le coup d’œil. Avec la rivière Fuefuki, on a bien redécouvert une pépite de l’âge d’Or du Cinéma japonais !