Bande annonce
Devenu très rapidement « le film dérangeant à voir » auprès de la communauté cinéphile, après les critiques dithyrambiques de la presse anglo-saxonne y voyant déjà un futur auteur prometteur en la personne de Shibata Go, Late Bloomer a réussi à faire parler de lui bien après sa mise en chantier au début des années 2000, la faute à la relative difficulté que représentait sa sortie. Histoire de calmer rapidement tout cet enflamment, Late Bloomer est loin d’être aussi dérangeant que prévu. Il semble en effet que le maître-mot du film est « mise en place », biographie d’un passage de la vie de Sumida qui, par amour et dégoût, tombera dans un tourbillon de pulsions morbides jusqu’à vouloir assassiner ses proches, celles et ceux qui s’occupent de lui. Une raison à cet accès de folie, sa nouvelle aide-soignante apprentie qui peut-être un jour remplacera ses vidéos pornos. Malheureusement le malade va rapidement se rendre compte que leur relation n’évoluera pas et déclinera vers le dégoût de l’être humain à partir du moment où il se sentira épié par de jeunes femmes curieuses de l’étrange personnage de foire qu’il est. Si l’on connaissait un Japon allergique à tout ce qui n’est pas dans la normalité, Sumida est pourtant bien accepté par son entourage. Chacun fait preuve de patience, répète les éternels gestes de manière mécanique sans broncher et prend sur son temps personnel pour s’en occuper tous les jours (comme prendre un repas, couler un bain ou déguster une bonne bière). Mais rien n’y fait, prisonnier de son ossature capricieuse et enfermé dans son mutisme, il ne peut que communiquer via un petit ordinateur répétant les syllabes qu’il aura sélectionné. Pour le reste, un monde les sépare.
Présenté comme dérangeant à cause du physique particulièrement ingrat du personnage, toute la misère que son handicape peut susciter et son changement de comportement pour le moins inquiétant, Late Bloomer utilise le handicape et la mythologie du serial killer pour en faire un tout et accessoirement un fond de commerce misérable. La première grande qualité du film est de s’attarder, lorsque la caméra ne gesticule pas n’importe comment, sur le personnage de Sumida. L’homme n’est pas intéressant, mais ce qu’il ressent à l’intérieur, aussi bien la maladie que l’amour ou la lassitude, est curieusement bien retranscrit à l’écran. Certains gros plans sur Sumida, qui pourraient faire preuve d’une complaisance dégoûtante sont au contraire les plus réussis du film, tout du moins seulement ceux captant sa solitude et ses états d’âme fatigués du monde qui l’entoure. Mais lorsque Shibata Go s’amuse à piquer les idées clippeuses de Tsukamoto, sans le folklore punk SF, Late Bloomer s’en retrouve alors inutilement boursouflé, paumé entre une volonté de faire du trash en exploitant le handicape du personnage et une autre, plus clichée, consistant à exprimer sa détresse et son désordre intérieur par les secouements, les contrastes appuyés et le gros grain de l’objectif. Et autour, la drôle de sensation d’assister au départ à un film terriblement mou puis à un slasher ridicule démoralisé et démoralisant, contenant des idées visuelles aussi spectaculaires (les geysers de sang aveuglants) que mises en boite n’importe comment, la faute à un montage rendant les dites-séquences souvent illisibles. Late Bloomer est pourtant réussi lorsqu’il évite le piège du slasher-like, en prenant le temps d’explorer l’univers étroit dans lequel vit Sumida, ces instants où la caméra semble parfois s’envoler dans les airs, lentement, sous un montage sonore touchant parfois au sublime. Ces instants sont hélas trop rares.