Chrysanthèmes déçus
Naruse, comme Ozu voir Mizoguchi pour sa période "portrait de geishas" peut être le genre de cinéaste que l'on peut cataloguer de faire toujours le même film année après année. Pourtant, si la veine intimiste et dramatique du cinéaste transparaît à chaque plan et que l'on peut retrouver dans d'autres oeuvres similaires (Flowing...) , ce n'est pas pour faire joli ou pour symboliser à l'écran le destin guère génial des protagonistes féminins. La veine intimiste et dramatique est la narration générale. Elle sert de lien entre ce que Naruse véhicule -superbement- aussi bien par l'interprétation des acteurs que par la neutralité de ses cadres, la sécheresse des plans cadrés de manière radicale sans géni photographique (personnages au centre de l'écran comme chez Ozu). Chaque plan est une photo triste. Chaque plan incarne une émotion aussi bien du côté des geishas que des salarymen qui profitent de l'argent durement gagné par ces dernières. Les vieilles geishas semblent effectivement manquer de moyens pour survivre, en particulier l'une d'entre elles jalouse de Kin parce qu'elle déborde d'argent, mais cette jalousie n'est que de courte durée et finit par se transformer en mépris de mégère. Son personnage reste exécrable du début à la fin, bien que Naruse tente de nous prouver par A+B que même méprisants, ses personnages ont un bon fond, en témoigne cette séquence de fin où la personne exécrable du début joue de ses petits airs en imitant la démarche de Marilyne Monroe. On passe alors du genre dramatique à un autre plus léger rappelant les belles heures du cinéma Narusien du début des sixties, cette faculté à passer des "larmes au rire" en l'espace d'un raccord. La classe.
Chrysanthèmes tardifs c'est aussi un ensemble de séquences de belle facture, tantôt émouvantes et profondes avec notamment cette jeune bonne à tout faire sourde et muette, personnage semble t-il inédit de la filmographie de Naruse, ou lorsque Kin parle de son invité uniquement par le biais de sa pensée, le jeu des regards est alors particulièrement intéressant. On caractérise souvent Naruse de cinéaste à femmes, comme l'était aussi Mizoguchi, et il le prouve encore ici avec une peinture de la gente masculine pour le moins déconcertante : tandis que les jeunes, encore saints et sans grande expérience sont plutôt évoqués avec finesse, les salarymen semblent avoir uniquement comme vocation de quémander de l'argent auprès des femmes qu'ils ont séduit voilà des années, et aux femmes d'être passablement déçues de leurs actes. S'il n'est pas exempt de longueurs du fait d'une mise en scène plutôt froide, et ce malgré la merveilleuse musique de fond classique chez Naruse, apportant une véritable dynamique, Chrysanthèmes tardifs trouve pourtant une vraie logique de narration, le film étant d'une belle géométrie : il débute et se termine avec le toujours excellent Ozawa Eitaro, est ponctué de manière régulière avec l'apparition de personnages secondaires intéressants (dont une belle Arima Ineko), et la rigueur formelle du cinéaste répond présent bien qu'ici plus froide, on préférera ses films cadrés en scope d'une éclatante beauté.