Un bon cru d'Ozu
Cet Ozu, formellement brillant comme à son habitude, confronte deux soeurs d'âge bien différent face à leurs sentiments. Après le brillant Printemps Tardif où les querelles étaient de père à fille, Ozu étale sur près de deux heures les mésaventures sentimentales très aléatoires de deux soeurs (impeccables Tanaka Kinuyo et Takamine Hideko) au sujet d'un homme revenu d'Europe. Si l'une d'entre elle fait preuve de retenue, tout en cachant ses sentiments, l'autre joue le butor avec son imitation de grosse voix dévoilant ainsi toute sa sûreté face à l'homme. A ce sujet, si Takamine est brillante, son interprétation de jeune fille capricieuse tireuse de langue pourra en mettre plus d'un sur la touche tant son personnage frise l'insolence et l'exécrable à plus d'un titre. La performance est là, le style ne plaira pas à tous. Pur mélodrame s'il en est, le film est un melting-pot, un best of, une compilation du style Ozu acquis depuis les années 40 soit la période durant laquelle il abandonnera sa mise en scène sous influence occidentale et ses polars hésitants pour davantage se consacrer au genre de prédilection : la chronique familiale, les petits mots de tous les jours, les conversations qui n'apportent rien à la narration d'ensemble mais qui mettent en exergue le feeling de chacun des protagonistes, les difficultés de communication entre deux soeurs semblant appartenir à deux générations bien distinctes. C'est donc sans surprise que l'on retrouve un Chishu Ryu au sourire constant presque niais et aux textes récités de manière toujours aussi robotique (mais quel personnage!), Uehara Ken dans la peau d'un homme semble t-il fatigué mais droit, Tanaka Kinuyo impressionnante de retenue et de classe, une Takamine Hideko très loin de la femme responsable souvent jouée par Hara Setsuko que l'on retrouvera d'ailleurs plus tard dans l'exceptionnel et tellement sous-estimé Crépuscule à Tokyo dans la peau d'une soeur très active.
Pourtant, si Les Soeurs Munekata recèle de passages inspirés comme ces rendez-vous dans ce bar réputé pour sa citation de Don Qixote, Setsuko et son père cherchant le chant de l'oiseau dans leur jardin, des séquences plus dramatiques entre les deux soeurs ou encore les nombreuses plongées dans l'alcool de Mimura filmés dans un clair-obscur du plus bel effet ponctuent l'ensemble du récit, classique certes, mais bien écrit sans forcément tomber dans une redite récurrente du cinéma d'Ozu où chaque film, différent, se ressemble en de nombreux points. Bien que l'épilogue fasse dans l'happy end classique, ce premier Ozu des années 50 est un bon cru, guère aussi marquant qu'un Crépuscule à Tokyo ou que l'ensemble de ses films tournés en couleur, mais suffisamment bien joué et superbement cadré pour combler l'attente du spectateur désireux de découvrir et redécouvrir ce cinéaste si important pour le cinéma japonais et mondial.
Libérez les femmes!
"Les sœurs Munakata" est un film de commande pour les studios de la Shintoho avec lesquels Ozu n'avait pas encore eu l'habitude de travailler. Grosse production, les commanditaires imposaient également un casting quatre étoiles peu habitué aux méthodes particulières de travail du réalisateur. En résulte un film bancal et inégal, tiraillé entre l'habituelle exploration de certains thèmes chéris du réalisateur et des approximations du scénario (adapté du roman de l'écrivain OSAGARI Jiro) et du jeu des acteurs.
Le pitch est une nouvelle fois extrêmement simple et conte l'affrontement intergénérationnel entre la conservatrice Setsuko (habillée d'un kimono, elle est totalement soumise à sa brute de mari) et la moderne Mariko (vêtue à la dernière mode occidentale et adepte de la langue anglaise). Alors que la première est malheureuse en amour, la seconde se complait dans sa vie de célibataire. Une étude donc tout à fait classique de ce qui deviendra un ressort ultra éprouvé dans la filmographie à venir du réalisateur; sauf que l'histoire manque cruellement de la finesse et justesse des films postérieurs. Mariko devient un peu trop lourdaude à vouloir à tout prix pousser sa sœur à se libérer et à choisir d'épouser l'ancien amant de Setsuko dans le seul but de rapprocher les deux amoureux (!). Le scénario n'est d'ailleurs pas à une invraisemblance près, faisant intervenir un énorme coup de théâtre totalement gratuit pour décoincer l'intrigue là où elle s'était embourbée – incroyablement décevant pour quiconque serait plus habité au réalisme exacerbé du cinéaste.
Tout juste on notera l'opposition de l'architecture urbaine, reflétant l'antagonisme mental des deux sœurs: aux images contemplatives de Kyoto s'opposent la moderne Tokyo (et Kobe) industrialisée; soit l'une des rares fois, où Ozu se permet de sortir entre des quatre mœurs (sauf pour ses fameux "inserts") et de faire de l'environnement naturel une bien belle métaphore des sentiments humains.
Une œuvre mineure dans la filmographie du cinéaste, qui n'en conserve pas moins de passionnantes prémisses de ses œuvres à venir.