Depuis Turning Gate, on parle presque systématiquement du cinéma d’Hong Sang-Soo comme étant un « cinéma du dispositif ». Comprenons par-là une mise en scène abusant de manière obsessionnelle du zoom, du recadrage. Comment cela, le zoom existe encore dans le cinéma d’aujourd’hui ? Encore heureux ma bonne dame, le travail du cinéaste coréen étant reconnaissable entre tous, où le zoom (souvent suivi d’un recadrage) exerce une fonction nécessaire, presque vitale lorsque l’on cause sentiments. Bons ou mauvais. Ils créent une espèce de tension très claire, alertent l’œil du spectateur sur un détail, sur une réaction imprévisible d’un personnage que l’on aurait froissé par mégarde, par un mot un peu maladroit. Et puisque l’on est en plein dans un carrefour de rencontres (ce n’est plus une nouvelle depuis…son premier film), l’objectif vient scruter les nouveaux rapports entre deux personnages qui ne s’étaient pas vus depuis un bout de temps (chez Hong Sang-Soo on se rencontre, mais on se retrouve aussi), sans être voyeur, juste curieux.
Alors, véritable dispositif, que le cinéma d’Hong Sang-Soo ? On laissera cette question aux experts. Il est en revanche possible d’avoir sa petite idée sur la volonté du cinéaste d’user coûte que coûte ce système, comme s’il voulait cristalliser l’émotion, la rendre intense malgré son apparente banalité, le temps d’un cadrage particulier sur un visage, deux personnages (parfois plus), jusqu’à en faire sortir un du cadre pour le faire revenir de plus belle. Car chez Hong Sang-Soo, on doit l’art de la surprise à un simple mouvement de caméra, à un simple montage : un spectateur endormi, une personne que l’on n’attendait pas, un détail particulier. Et de manière si naturelle, comme ce personnage que l’on pensait mort et qui revient à la vie le temps d’un raccord et d’un ronflement hors-champ. Était-on en plein rêve, en état d’ébriété ? L’absence de bouleversement visuel ou sonore induit ainsi parfaitement le spectateur dans le doute et à la vie de reprendre son cours une fois l’hallucination passée, comme si de rien n’était. Dans Les Femmes des mes amis, pas le meilleur Hong Sang-Soo, tout est pourtant d’une grande limpidité. Subsistent encore cette espèce d’atmosphère très aérée mais aussi très grinçante, ces personnages qui essaient de donner un vrai sens à leur vie mais qui se vautrent gentiment (génialissimes Kim Tae-Wu et Ha Jeong-Wu, tous deux absolument ahuris), donnant au film son fabuleux caractère de clown triste. On y cause aussi beaucoup sur le cinéma et sur le métier de réalisateur, plus que dans Conte de cinéma ou The Woman on The Beach. Les Femmes de mes amis, l’un des films les plus personnels de son auteur ? Sans doute que oui, à défaut qu’il manque un peu d’originalité et de puissance au niveau « relationnel » : on a vu plus enflammées ces discussions autour d’un verre de soju qui tournent au bras-de-fer (au sens propre comme figuré), plus ratées ces scènes d’amour vaines. De plus, le personnage de l’étudiante dans la dernière partie semble manquer d’épaisseur, d’intérêt, bien que sa colère subite au bord de mer rappelle combien le cinéaste sait jouer de son côté « imprévisible ».
Les Femmes de mes amis n’est pas la bouffée d’air frais attendue (après les belles vacances françaises de Night and Day) mais demeure une réussite du cinéaste par ses partis pris formels certains, uniques dans le cinéma asiatique, et son décryptage de la vie sous tous ses angles (les amours, la solitude, la réussite, l’échec…), aussi drôle et amère soit-elle.
"Les femmes de mes amis" – ce titre très peu sexy, proche de l'un de ses comédies vaudevillesques avec Michel Leeb des années 1980 résume pourtant parfaitement le film, comme tous les précédents du réalisateur coréen Hong Sang-soo. Tout comme son titre anglais international, "Like you know it all" – que l'on pourrait grossièrement traduire par "Vous savez, ce qui vous attend"…Tout comme son titre original coréen, qui littéralement traduit donne "Tu ne le savais même pas"…Car tout le cinéma de Hong Sang-soo n'est que la répétition d'une seule et même histoire, le développement de difficiles relations amoureuses, souvent triangulaires où un personnage (l'alter ego du réalisateur lui-même) va entamer une relation avec la femme / fiancée / petite amie d'un ami.
"Les femmes de mes amis" se rapportent donc à toutes les femmes, que les personnages principaux de Hong Sang-soo peuvent avoir séduit, "Like you know it all" l'interpellation directe de l'audience par son réalisateur et le "Tu ne le savais même pas" l'ignorance des personnages trompés.
On l'a souvent répété dans les critiques: contrairement au cinéma de beaucoup de ses pairs, celui de Hong Sang-soo est allé en se simplifiant…"Les femmes…" est ainsi une historie incroyablement linéaire, qui trouve quelques redondances d'une histoire à l'autre, mais davantage pour dénoncer la répétition d'une vie, qui tourne en rond pour le personnage principal, plutôt que déstructurer la narration comme dans un "La vierge mise à nu…" par exemple. C'est simple, les films de Hong Sang-soo ressembleraient presque à des vignettes inspirées de sa propre vie avec des personnages semblables à ceux de "Hank" dans l'œuvre de Bukowski, l'alcool, la drogue et l'odeur du scandale en moins.
L'inspiration aussi, car si "Les femmes…" se laisse regarder avec un ennui poli et qu'il y ait quelques belles idées à surnager dans le tas, il faut avouer, que rarement son cinéma n'ait été aussi nombriliste, voire même élitiste dans sa vision unilatérale à voir les choses – bien qu'il tourne sciemment son personnage en ridicule et qu'il donne al part belle aux femmes et notamment à celui de la femme dans la seconde partie.
Est-ce que cela suffit de faire un bon film ? NON…surtout dans le cas de Hong, qui nous avait habitué à tellement mieux…
Comment un réalisateur comme HONG Sang-Soo peut-il faire un film comme celui-là ?
Je pense qu'il est complètement passé à côté. Il voulait faire parler ses personnages, les faire penser à voix haute, leur faire transgresser les codes sociaux coréens, quitte à tomber parfois dans la démesure. Il a forcé ses acteurs vers ce jeu de scène. Hélas, à l'écran, le rendu est du niveau amateur, les acteurs ont l'air de sortir d'une école de théâtre, et le scénario plonge à pic vers une succession de non-sens. Sans cohérence des personnages, un film de ce genre perd vite en intérêt.
J'ai trouvé également très maladroite sa façon de montrer au public (occidental) ses petits tourments personnels de réalisateur de film d'auteur mal compris dans son pays au travers du personnage principal... De plus, il fait preuve d'une totale hypocrisie quand il s'essaye à l'auto-dérision, Monsieur a une très grande estime de lui, à n'en pas douter.