Rencontres, révélations, provocations délectables, trahisons, combats purs et rapidement expédiés, et ça enchaîne de la même manière jusqu'à la fin avec une pointe d'humour et même d'érotisme léger. Une perle magnifiquement rythmée aux décors somptueux et fabuleusement foisonnants, tout en studio, la plupart du temps nocturnes.
Ti Lung et sa lame sont à mourir et dignes de l'âme d'un The Blade.
The magic blade se détache par une approche très poussée dans sa cascade d'"inattendu sans suspens" (dixit Jérôme), sa mise en scène surprenante et ludique, débordante d'idées et son ambiance unique plus que par sa tension finalement succincte et ses chorégraphies énergiques mais assez rapides. Plus que d'autres Chu Yuan adaptés du romancier Gu Long, Magic Blade peut décevoir un chouillas par sa profusion d'action et de révélations en cascade certes très originale mais pas toujours parfaitement implicante (cf Ordell pour le détail). Il demeure pourtant un incontournable du maître du wu xia à tiroirs. Ses chorégraphies ludiques et sa touche fantastique sont définitivement craquants et uniques. Il ne faut surtout pas manquer la scène où un marché tranquille se tansforme en échiquier mortel en un claquement de doigt, ........ jouissif.
A noter, telle une tradition HK, de superbes inserts de la musique originale de "La planète des singes" de Schafftner.
The Magic Blade n'est pas le Chu Yuan le mieux interprété ou le plus intéressant scénaristiquement parlant ou encore le mieux réalisé. Mais il conjugue toutes les qualités pour en faire une excellente référence du genre.
On y trouve en effet une bonne interprétation, avec un Ti Lung pour une fois très sobre (il ne décroche pas un sourire, c'est pour dire), qui rappelle immédiatement l'homme sans nom de Sergio Leone, avec son visage impassible, et son sabre caché sous son "poncho". On tient là un des personnages les plus marquants du genre, en rupture totale avec les épéistes classiques toujours bien habillés et propres sur eux. Ici Ti Lung porte une légère barbe, ne parle pas pour rien dire et ne plaisante pas lorsqu'il utilise son épée. Laquelle se révèle elle aussi en rupture par rapport au sabre classique, et rappelle un peu le futur demi-sabre de The Blade de part son utilisation. Comme toujours avec Chu Yuan, on trouve également des rôles secondaires soignés et bien interprétés, dans des tons assez différents. Lo Lieh est un peu en retrait par rapport à ses plus grands rôles cependant, laissant la vedette à Ti Lung.
Autre point d'intérêt, le scénario qui mélange un peu tout ce qui fait la force des films du réalisateur: combats brefs mais très bien faits, suspense, ambiance noire. On ajoute ici une légère touche de fantastique, un peu plus de comédie que d'habitude, et on obtient un mélange très bien équilibré et plaisant à suivre. On ne retrouve pas le suspense d'un Killer Clans, mais ce dernier était plus monolithique. The Magic Blade est plus ambitieux, en ne se basant pas QUE sur des faux semblants et des retournements de situation. On retrouve évidemment comme dans les meilleures Chu Yuan une ambiance très différente des Wu Xia Pian classiques, avec ici des personnages de tueurs plus opportunistes qu'autre chose, brisant le mythe du preux épéiste. Mais d'un autre côté ces tueurs font tous preuves d'intelligence et de malice, chacun sachant sortir de sa botte une astuce pour tromper son adversaire. Alors que l'épéiste de Chang Cheh va à sa mort certaine au combat à cause de son (stupide?) héroïsme et sens de l'honneur, l'épéiste de Chu Yuan est nettement plus malin et sait aussi utiliser son cerveau pour se tirer du pétrin. Evidemment c'est nettement moins émotionnel, mais le traitement du genre par Chu Yuan fait ainsi appel à d'autres codes que les dizaines de "hero wu xia pian" de l'époque.
De plus, là où The Magic Blade fait plus fort que Killer Clans, c'est dans le propre jeu qu'il joue avec le genre du film à tiroir. Là où dans le second film tout le monde trompait tout le monde, ici le spectateur imagine un tueur caché derrière chaque personne, devient aussi paranoïaque que le personnage de Ti Lung, mais n'a pas toujours raison. A l'image de la jeune fille malade, tout le monde n'est pas pourri dans le film. On y gagne en crédibilité, mais aussi en potentiel dramatique, le héros ne sachant plus qui ment et qui ne ment pas. Dans un Killer Clans, on comprenait trop vite que tout le monde menait un double jeu. Ici le jeu est plus fin, et d'autant plus imprévisible. Dernier point à noter, l'excellent niveau technique de l'ensemble, avec une réalisation très maîtrisée et totalement exempte de fautes de goût et autres petites naïvetés typiques des films du studio. La musique, habituellement assez discrète dans les Chu Yuan, est cette fois-ci parfaitement dans la continuité du film: pas vraiment mélodieuse, elle vient surtout renforcer le climat pesant du film.
Au final, The Magic Blade est tout simplement un des Wu Xia Pian les plus intéressants de son époque, et souligne parfaitement qu'un film de sabre ce n'est pas que du combat. Ici on mélange personnages charismatiques à ambiance soignée, scénario travaillé à réalisation de qualité, le tout avec une pointe d'humour et de fantastique. Impressionnant.
Ti Lung a beau avoir du charisme et faire tournoyer adroitement son sabre face à ses adversaires, des bizarreries amusantes comme un idéogramme chinois humain, un homme à la voix de femme, une partie d'échecs ou une Devil Grandma sortie d’on ne sait où ont beau s’immiscer régulièrement dans le récit, les genres – wu xia, fantasy, comédie, western – ont beau se mélanger, reste que je n’ai jamais vraiment accroché à cette ennuyeuse quête du saint sabre aux combats pas franchement révolutionnaires. Les inconditionnels de la Shaw ne seront sans doute pas du même avis que moi…
The Magic Blade reconduit brillamment la formule d'un Killer Clans à savoir le wu xia pian construit autour des codes du film noir et du monde des tueurs professionnels. On y retrouve l'idée que les dés sont pipés et que même si un tueur professionnel est à deux doigts de ne pas réaliser son destin il peut toujours compter sur un imprévu ou sa propre capacité à retourner en sa faveur une situation en théorie insoluble.
L'arme précieuse (la dard en forme de queue de pan enjeu de la lutte) que recherche un ennemi y est cachée dans un lieu tellement familier et évident que l'ennemi ne pourrait y penser. Et en cela le monde des tueurs professionnels dépeint par Chu Yuan n'est pas sans évoquer un champ de bataille permanent réclamant de ses combattants une certaine forme de génie militaire. Si un the Magic Blade renforce cette impression, c'est que la complexité des enjeux du film trouve son prolongement dans un caractère fantastique et improbable des situations bien plus prononcé que dans Killer Clans. The Magic Blade est dès lors lieu du tout est possible, d'un guerrier parlant avec une voix de femme, d'un restaurant où tous ceux qui sont assis sont des cadavres et où il faut savoir deviner la seule personne vivante présente, d'un terrain plat transformé en véritable échiquier, d'une vieille sorcière telle qu'on la reverra plus tard dans un Miracle Fighters, de guerriers alignés de manière à former une figure géométrique, d'un combattant portant un masque doré de Satan ou d'un palais aux pièges multiples et enfin d'un Ti Lung dégainant une épée comme un cow boy solitaire son flingue. Derrière une serveuse, un aveugle, un client, se cache toujours un tueur professionnel capable de transformer n'importe quel lieu en théâtre d'un combat au nombre titanesque de figurants. Dès lors, il faut être en permanence aux aguets, savoir anticiper les mouvements de l'adversaire ou le surprendre au moment où il se croit vainqueur. On retrouve ainsi l'idée de la vie de tueur professionnel comme prison permanente qu'avait développée un Killer Clans.
Mais contrairement à ce dernier film la construction narrative de the Magic Blade n'est pas alambiquée: comme l'élément du fantastique et de l'imprévu est très présent, nul besoin que le mystère provienne des motivations des personnages ou du pourquoi on tue, le grand mystère du film c'est toujours le plan qui suit, ce qu'il va apporter et comment les personnages vont l'affronter. On touche là à ce qui a toujours fait l'attrait pour le cinéma hongkongais, ce qui fait qu'un Zu et un the Cat bien qu'à des années-lumière l'un de l'autre en terme de niveau artistique représentent tout autant son essence: l'audace formelle, l'idée géniale, le grotesque comme le n'importe quoi peuvent à tout moment surgir au détour d'un plan. Les coups de théâtre du film qui donnent une lecture radicalement nouvelle des évènements et de la stratégie des personnages s'accumulent seulement dans les scènes finales donnant ainsi un sens à l'enchainement d'imprévus précédemment observé. Mais alors qu'il radicalise les thèmes de Killer Clans Chu Yuan offre à son tueur professionnel un luxe que ses précédents héros n'avaient pas: la possibilité de s'échapper, de renoncer à sa condition et de pouvoir conquérir sa liberté (qu'il entrevoit d'abord au travers d'une jeune femme malade là où les autres personnages féminins du film et de Killer Clans participent de la fatalité liée au métier de tueur professionnel). Ce désir observé lors d'une scène intimiste où Ti Lung parle de la solitude liée au sommet trouve son aboutissement dans un final sur le caractère illusoire du pouvoir et la fatalité shakespearienne de mort qui va avec le pouvoir.
Formellement, the Magic Blade est d'une grande splendeur. Une splendeur formelle prévisible pour qui a vu Killer Clans. The Magic Blade est de ce dernier point de vue du pilotage automatique mais un pilotage automatique à des hauteurs rarement atteintes par les réalisateurs hongkongais. L'utilisation de la focale pour montrer ses tueurs entourés d'enjeux qui les dépassent, l'approche très distanciée de la mise en scène, la capacité à agencer des couleurs et à cadrer en scope avec la précision d'une toile de maître (la superbe scène d'ouverture où la lutte entre deux assassins a pour théâtre une fête faite de spectacles de danse minutieusement chorégraphiés), tout cela n'est que signature. Mais justement, à la seule exception d'une scène faisant usage de la caméra portée pour incarner le regard de Ti Lung (qui pourrait incarner formellement l'idée d'échappatoire vu que c'est le seul plan du film "échappant" à la signature du cinéaste), the Magic Blade radicalise le déjà vu dans Killer Clans. Mais du coup cette prévisibilité formelle bien loin de plomber le film crée un contraste avec l'impression de jamais vu, d'imprévu donnée par les situations et décuple le plaisir du spectateur. De cette tension forme/fond naît la déceptivité du film. Déceptivité qu'on retrouve dans la confrontation Ti Lung/Lo Lieh qui est celle de tueurs professionnels maîtres d'eux-mêmes là où le spectateur sevré de classiques de la Shaw Brothers attend plutôt une explosion mélodramatique.
Si l'évolution artistique d'un King Hu l'a poussé de plus en plus à supprimer l'action de son cinéma, Chu Yuan, même s'il radicalise son approche, n'en oublie pas pour autant la scène à faire. Si ce dernier a cherché à abandonner un certain cahier des charges wu xia pian, Chu Yuan n'est jamais aussi audacieux et novateur qu'à l'intérieur de ce cahier des charges qu'il retourne en sa faveur, à l'image de certains auteurs américains qui n'offrent leur plénitude artistique qu'à l'intérieur du système.
Chu Yuan est davantage un artisan du sens du cadre (alors qu'un King Hu mise sur le montage) et c'est pourquoi Le Sabre Infernal est aussi réussi. La composition des plans, précise et westernienne façon spaghetti apporte une densité que n'offre pas le très classique Chang Cheh, plus barbare et primaire au sens noble. On note aussi une belle utilisation de la lumière, seule source d'indication à la fois pour le spectateur et les combattants dans une obscurité permanente. Belle implication de spots de couleurs vives pour appuyer le côté fantastique pleinement assumé du film, aussi bien dans la forme que le fond avec cette histoire des Plumes de Paon, arme définitive et très recherchée des bandits. Cette arme est étonnante puisque facile pour mettre fin à un combat rapidement du fait qu'elle explose au moindre contact. Choix étonnant lorsque l'on connaît la volonté d'un Tong Chia de faire durer un combat, pourtant Chu Yuan n'est pas un Chang Cheh, lequel privilégie les ralentis très théâtraux pour accentuer toute forme de dramatisation possible. Chu Yuan n'use pas de ces artifices là et préfère une violence plus brute de décoffrage, mais aussi plus surréaliste (nombreux empoisonnements, épée sensée pourfendre les fantômes). Si le film peut paraître étrange et même déconcertant (les ennemis peuplant cet univers mesquin portent des noms comme "Poème", "Echecs" ou "Luth") c'est pour créer cette optique du changement, du renouvellement à la fois scénaristique (twist final probable mais osé) et visuel, une virtuosité formelle qui caractérise définitivement Chu Yuan, son style et sa vision du wu xia pan moderne. Tout bonnement indispensable.