Une plongée fascinante et désespérée dans le Japon des exclus
Le marché sexuel des filles décrit de façon très crue et réaliste le quotidien de Tome, une jeune femme qui se lance dans la prostitution dans le quartier interdit d'Osaka à l'exemple de sa mère. L'ouverture du film pose magnifiquement le sujet: plans sur des grilles, caméras portées s'approchant des personnages, bande son croisant free jazz et percussions hypnotiques, travellings enregistrant la désolation d'Osaka, avis de recherche montrant l'emprise du milieu, noir et blanc voulu, tout est en place pour montrer un monde d'exclus, de désespérés et de grisaille.
Tome va se retrouver en situation de rivalité avec sa mère: les clients préfèreront la compagnie de sa fille et c'est la mère qui se retrouve à mendier à sa fille de l'argent pour avorter (Tome est d'ailleurs la fille d'un client de passage), et Tome aura alors une attitude violente, sans pitié, histoire de se venger de ce que sa mère lui aura fait subir par jalousie. La métaphore de la poupée gonflable irrigue un film qui montre des clients incarnant les irrécupérables de la société, des fous, des marginaux, des alcooliques en face desquels Tomé est forcé d'etre violente, de sa faire respecter face à des hommes qui la giflent, boivent ou lui déversent de l'alcool durant l'acte et surtout de ne jamais céder face aux yakuzas qui veulent l'empecher de travailler à son propre compte. Le plus paradoxal provient des plans insistants de trains: l'échappatoire est présent pour les personnages mais c'est comme si les lieux exerçaient leur force de gravité sur les personnages. Le seul échappatoire devient le suicide collectif et culmine durant un passage en couleur où la folie s'empare d'un des clients réguliers de Tomé qui fera de la mort sa seule évasion: Pourquoi essayer de sortir quand on sait que la société ne voudra pas de certains? Le destin de deux seuls figures masculines positives du film est révélateur: l'un se suicidera, l'autre n'arrivera pas à convaincre Tomé de quitter un quartier interdit déserté.
La mise en scène, par son usage constant d'une caméra portée documentaire, donne une impression de pris sur le vif. Les zooms réussissent à capter l'effori des personnage face à la mort (notamment dans les scènes en couleur). Mais la grande force du film provient de la mise en scène des scènes érotiques: la scène où le parrain fait l'amour de force dans la rue à Tomé est d'autant plus glaçante qu'elle se compose d'un plan large en hauteur d'Osaka et de bruits de cris d'effroi de Tomé, un peu comme si la scène était trop horrible pour etre montrée. Le long mouvement de caméra qui va du sommet d'un immeuble où des hommes chantent des chansons graveleuses, descend puis suit Tomé sur un long travelling souligne encore plus la laideur d'un monde où une femme ne vaut pas mieux qu'une poupée gonflable. L'acte sexuel est filmé comme un viol: un gros plan sur la langue de Tomé léchant un torse velu suscite le dégout, le visage de Tomé exprime son ennui et sa souffrance, le pourrissement des lieux renforce l'impression de salissure.
Entre temps, Tanaka aura porté un regard critique mais pas diabolisateur sur le monde de la marge de la société japonaise, sur d'éternels déracinés prisonniers de leur destin tragique.