Xavier Chanoine | 3.75 | La condition de la femme. |
Ordell Robbie | 4.5 | un film sur le couple renversant de beauté |
Naruse Mikio dresse sur plus d'1h30 le portrait d'une femme au foyer qui visiblement s'ennuie de son train-train quotidien et de la vie qu'elle mène avec son mari, un homme d'affaire plus occupé à demander quand est-ce qu'on mange plutôt que de s'occuper pleinement de son épouse. Nous suivons donc ce couple au travers de petites histoires qui vont chambouler leur vie, comme l'arrivée d'une jeune fille fugueuse (qui n'est autre qu'une nièce) qui va jouer un rôle prépondérant quant à l'avenir du couple. En effet cette dernière, allumeuse à ses heures, drague Hatsunosuke pour s'amuser, rend jalouse Michiyo au point de quitter Osaka pour Tokyo histoire de se changer les idées devant tant d'ennui. Naruse développe ainsi cette sensation de lassitude qui peut régner dans un couple banal, insiste sur les petites piques - inoffensives certes - de chacun histoire de provoquer l'explosion au sein du couple. Les assiettes ne voleront pas, pudeur et respect oblige, mais on se plait à ricaner devant les mimiques de l'agaçante Satoko, véritable peste.
Le repas c'est aussi une chronique d'une société où les hommes n'ont pas la cote, délaissant les femmes au profit du travail ou alors étant tout simplement célibataires parce qu'ils trouvent les femmes "méchantes". Les femmes sont aussi taxées de boniche (à l'époque ce n'était pas faux), image typique de la femme au foyer préparant le riz et la soupe pour le mari qui n'a plus qu'à passer à table une fois rentré du boulot. Forcément avec un tel quotidien la lassitude s'installe suite à n'importe quelle étincelle (ici la jeune Satoko), les êtres se séparent pour mieux se retrouver par la suite. Certaines séquences sont d'ailleurs géniales, de même que l'interprétation d'ensemble absolument irréprochable. Rarement aura t-on vu pareil mélange d'émotion en une séquence (doute, anxiété, jalousie, frustration), surtout avec le personnage de Michiyo interprété avec justesse et sincérité par Hara Setsuko. N'oublions pas Uehara Ken dans la peau du mari un peu dépassé et Shimazaki Yukiko campant le rôle d'une fille trop gâtée.
Dans l'ensemble et malgré le poids des ans, la réalisation de Naruse reste tout à fait acceptable. Si elle ne fait pas preuve d'un génie quelconque éclipsant ainsi toute "marque de fabrique", l'ensemble tient la route avec une mise en scène stricte, tout juste apercevrons-nous quelques travellings et plan-séquence très courts en guise de mouvements. Un bon point pour la très élégante musique, soutenant les passages clés (durant une grosse partie du prologue et en fin de métrage) comme il était coutume dans les années 50. Bref, Le repas est un film à voir pour ses élégants portraits de femmes, proche du film historique à part entière. Il est d'ailleurs visible à St-Michel sur Paris jusqu'au 1er décembre dans une copie très satisfaisante.
Esthétique : 3/5 - A film qui ne demande pas d'artifice, rien de bouleversant donc. Mais l'ensemble est sans faute. Musique : 3.5/5 - Belle musique qui sait se faire discrète quand il le faut. Interprétation : 4/5 - Du solide et du sincère. Protagonistes impliqués et attachants. Scénario : 3/5 - Le bouleversement d'un couple selon Naruse Mikio. Intéressant et souvent très joli.
Description du quotidien des bureaux, de l'usure du couple, femmes luttant contre un mariage arrangé, on semble a priori dans un univers à la Ozu. Mais Ozu et Naruse ont quand meme des différences : si Naruse utilise beaucoup de plans fixes, leur enchainement est plus rapide que chez Ozu. Les intérieurs ne sont pas systématiquement filmés à hauteur de tatami. Les plans rapprochés montrent une attention aux personnages. Naruse utilise moins souvent le symbolisme des objets (pied écrasant le cadeau d'une prétendante, sandale retournée par une voisine ayant remarqué une infidélité du mari) et se concentre plus sur les situations. L'intime n'est pas traité à part égale avec le professionnel comme chez Ozu. Naruse utilise la voix off pour montrer l'ennui de Michiyo. Il est d'ailleurs plus concentré sur la condition de la femme japonaise qu'Ozu et nous la montre piégée par les conventions sociales et essayant d'y échapper. Et il n'a pas abandonné le mouvement cinématographique comme Ozu (on a encore quelques travellings qui suivent le déplacement des personnages). Mais le point le plus extraordinaire chez Naruse est la direction d'acteurs : les acteurs chez Naruse arrivent à exprimer des nuances extraorodinaires, à montrer la joie et l'ennui dans le meme regard, la performance de Setsuko Hara, mélange de glamour, de joie de vivre, d'ennui et de dérision est tout bonnement anthologique, c'est elle qui porte le film par toute son énergie et qui touche le spectateur en exprimant ses hésitations par une palette virtuose de regards.