Twistus Regularis
(
Issu du CR Gérardmer 2013) Plonger dans l’inconnu, dans un cinéma indonésien que je ne connais encore que très peu, à travers un jeune réalisateur qui, de l’avis de certains, monte en flèche.
Joko Anwar. Il surfe sur une bien belle vague, dans le sillon de celle, remarquée, du
The Raid de
Gareth Evans. Qui fait encore méchamment parler de lui avec son segment de
S-VHS, paraît-il démentiel ! Soit dit en passant. Commencer
Modus Anomali, c’est d’abord plonger dans une jolie forêt à la fois verdoyante et sombre, tout aussi inquiétante qu’attirante. Si l’on ne sait pas ce qui se cache, là-bas, derrière cet arbre – brrr ! -, on éprouve paradoxalement l’envie de s’y promener, d’aller chercher des trucs, des champignons, la jolie clairière cachée au détour d’un chemin improvisé. L’a priori que j’avais du film ? Négatif, je ne m’en cacherais pas. La bande-annonce ne m’avait pas emballé et le début du métrage, même plaisant ne changea pas la donne. « Encore » un survival dans les bois, « encore » un twist à venir, que l’on devine rocambolesque, « encore » du trash provoc’ avec une femme enceinte crevée à coups de couteaux. Encore, encore, encore, avec en plus un point de détail qui m’a singulièrement gêné : le tout est joué en anglais. Horreur ! Où est le dépaysement, la découverte d’une culture quand un réalisateur veut à se point se vendre à l’international qu’il efface autant que faire se peut ses origines ? « Vivement la version française » me suis-je même avoué, gêné par les nombreux « fuck » entendus ça et là. Passé le constat évident que ce projet sent la carte de visite et la roublardise à plein nez, une sorte de provocation mainstream comme une rébellion affichée ne serait en fin de compte qu’un fond de commerce – rien de nouveau sous le soleil - je me suis surpris à trouver, en grattant ce vernis, une œuvre – mineure - et un auteur. Ces scories difficilement assimilées, on suit avec un plaisir sadique, distancé et non sans humour, les aventures de cet homme qui a perdu la mémoire, ne sait pas qui il est, se rend compte que sa famille s’est faite massacrée et qu’il est pourchassé par un fou dont il ne sait rien. S’il souhaite sortir de ce cauchemar, nous, on ne l’accompagne pas. Le plaisir est bien là mais ludique, uniquement. Des réveils placés un peu partout dans la forêt, des indices qui ne sont là que pour lui nous placent assez vite sur une piste classique : celle du twist à venir, qui va changer la donne. On sait dès lors, habitués que nous sommes à ce nouveau sous-genre qu’est le film à twist, que tout peut arriver. Remember le norvégien
Babycall, grand vainqueur à Gérardmer l’an dernier, très sympathique « cliché » du genre « je vais te surprendre ! » mais en fait pas du tout. On ne cherche même plus à deviner le pot au rose : on s’en cogne. On a vu tout et son contraire. Peut-être est-ce un rêve ? Ou l’antichambre de la mort ? Ou alors ce mec là est-il un fantôme ? Ou alors… sans me vanter – je ne fus pas le seul - , je devinai assez tôt une partie de « l’arnaque » mais à la décharge de Joko Anwar, dans le détail elle s’avéra beaucoup plus perverse que ce à quoi j’avais pensé de prime abord. Et de me dire en bout de course que pour inventer une histoire pareille, avec une distanciation pareille et un tel humour noir, il faut être un brin psychopathe dans l’âme. A vouloir toujours surprendre son monde et faire le malin, on en oublie de raconter une histoire qui serait autre chose qu’un délire jetable.
Je ne suis peut-être pas une lumière, encore moins une flèche, mais je suis équipé !
Anwar parvient épisodiquement à faire tenir l’ensemble avec quelques meurtres gratinés et, surtout, lors du basculement, nous gratifie d’un final excellemment bien construit, planant, complètement « autre », qui nous emmène aux côtés d’un bad guy dans sa voiture, longtemps, très longtemps, avant qu’il ne poursuive son office sanglant. La scène fait figure de transition narrative et sensorielle sans user d’une autre transition que la longueur de ce seul et même plan. On traverse le miroir dans le sens du retour sans en voir un seul, de miroir. Le temps de ces quelques instants l’on pense autant à Weerasethakul qu’à Fincher, et les derniers plans du films n’effaceront pas cette impression. Le talent déployé sur la mise en scène, la photo et le son atténuent le manque de budget évident (les scènes de vomi sont craignos, quelques meurtres ont des effets très proches du Z) mais la beauté des plans joue peut-être, aussi, en la défaveur de l’immersion. Car on est loin du craspec en 16mm à la
Maniac ou
Massacre à la tronçonneuse. C’est beau, la HD. C’est sympa sur la chaîne National Geographic mais sur des films d’horreur, franchement ? Plus généralement, avec l'avènement de la belle image en haute définition me manque de plus en plus cette brume à la
Youri Norstein, ici ou ailleurs. J’ai revu
The Hobbit il y a peu. J’adore toujours mais cela manque un peu de cette brume, c’est évident. Tout montrer étouffe l’imaginaire. Bref. Reste que Joko Anwar s’en sort très correctement sur ce projet multifonction. Il a un sens du cadre évident, insolent. L’expérience n’est pas désagréable, c’est globalement bien fichu mais j’aimerais davantage de sincérité, d’empathie, de respect pour les personnages, ici tous méprisés. Derrière ce cynisme qui, ne lui en déplaise, côtoie malheureusement le tout venant de la production horrifique actuel, on perçoit parfois un discours plus émouvant, que le sieur n’ose pas – encore ? –exprimer. « Encore », cette fois, parce que je ne connais pas la filmographie de ce réalisateur, largement encensée ailleurs. A suivre, donc. Parce qu’il va de l’avant, le bonhomme ! Comme un
Takashi Miike ?…
Motus Operandi
Joko Anwar est de retour sur le grand écran après quelques nouveaux (petits) rôles dans les films des autres, l'adaptation d'une comédie musicale et beaucoup de temps à chercher les financements de ses nouveaux projets. Ancien fer de lance, ses frasques (quelques campagnes de "buzz" savamment montées via twitter), paris osés (tourner des films très différents de ce qui était convenu avec ses maisons de production) et quelques caprices (le jeune homme a pris un tout petit peu de melon depuis ses débuts dans le métier) l'ont contraint à prendre un peu de distance et l'actuelle fragilité de l'industrie cinématographique indonésienne ne lui permettent plus les coups d'éclats de ses débuts.
C'est donc avec une idée relativement simple, qu'il revient sur le devant de la scène, en réalisant un thriller d'action / d'horreur en une petite dizaine de jours avec 8 comédiens en tout et pour tout (dont un en permanence à l'écran) dans une forêt à quelques heures de Jakarta. Pas de grande équipe technique non plus et le partenariat avec une marque de camera pour tester ses limites en tournant dans cette forêt de nuit. On en voit d'ailleurs rapidement quelques limites avec des parties pas toujours très lisibles et une lumière approximative, malgré le bon travail du chef-op' sur l'ensemble du film.
Quant au scénario, il repose donc avant tout sur une idée, simple, mais tordue – avec cet homme amnésique traqué par un mystérieux tueur dans un sous-bois. Le spectateur est immédiatement mis à la place de cet unique (premier) rôle, ne sachant pas ce qui se passe et ayant au moins autant de questions que ce pauvre quidam, traqué, harcelé, paumé avec tout un tas d'éléments totalement incompréhensibles, comme ces réveils dispersés à tout bout de champ. Quelques scènes sont franchement très fortes, comme celle des flèches ou (quoique un peu absurde) de la malle en feu – un beau moment de claustrophobie et d'angoisse.
Tout se dénoue donc dans les dix dernières minutes du film – dont il serait criminel de souffler le moindre mot pour ne pas gâcher l'effet de surprise.
En revanche, une seule idée suffit rarement à faire un film – du moins pas un long – et c'est ainsi que malgré sa durée relativement courte, MODUS ANOMALI se traîne par pleins de moments et qu'une fois le gimmick relevé, on se dise "tout ça pour ça" (tandis qu'une seconde vision révèle rapidement les incohérences, raccourcis et facilités scénaristiques de toute cette entreprise).
Joko Anwar surprend donc une nouvelle fois en réalisant une œuvre que l'on n'attendait pas forcément – et qui tranche justement par cette "pauvreté" scénaristique vis-à-vis des films précédents extrêmement denses. Il se fait avant tout plaisir, en expérimentant image, son et procédé – mais on reste tout de même plus proche de ses courts pour son propre plaisir (il en a certainement une bonne dizaine, qu'il n'ait jamais montrés). On reste donc un peu sur sa fin / faim.