A la recherche du shmilblick
En 2000, c’était le premier film thaï que j’ai vu de ma vie. Depuis, j’ai compris que tout le cinéma thaï ne ressemblait pas à ce, heuh, truc, qui porte merveilleusement son magnifique titre : c’est un mystérieux objet, qui n’a pas d’équivalent, sinon peut être l’
Evaporation de l’homme d’Imamura. Depuis, j’ai essayé de retenir le nom de son réalisateur, mais désolé, c’est tout de même un des noms les plus imbitables de la planète cinéma. Il faudra pourtant s’y faire, car depuis le bonhomme a fait du chemin (
Blissfully Yours) et représente à lui tout seul un genre. Mystérieux objet à midi est irracontable, puisque le film n’a pas d’autre sujet que celui choisi par les villageois. Il fallait un dose énorme de culot et d’humilité pour faire un film sur le principe du cadavre exquis avec des amateurs. Le résultat est jouissif, particulièrement à la fin. Au passage, c’est un documentaire qui nous plonge au fin fond d’une Thailande d’un autre âge. Mais attention, le film est tourné en image crade noir et blanc, soumis aux aléas de l’improvisation. Il faut être curieux, parfois patient, souvent indulgent et se laisser porter par la folie du projet. Un tel film peut ravir à la fois les cinéphiles purs et durs qui ne jurent que par les Straub et Huillet, les artistes férus de surréalisme, les ethnologues, et les fans de série Z déjantée.
Objet surprenant
Après Tropical Malady, Mystérieux Objet à Midi confirme que les débats passionnés autour du cas Weerasethakul ont tendance à occulter ce qui en fait un des cinéastes asiatiques les plus excitants du moment. Soit on loue sa radicalité, les ponts jetés par son œuvre entre cinéma et art contemporain. Et on le proclame grand cinéaste d’avant-garde. Soit on le rejette en lui reprochant de faire un cinéma élitiste et hermétique quand on ne l’accuse pas d’esbroufe. Il est vrai que c’est par Blissfully Yours, film où primaient surtout les travers auteurisants de son cinéma, que Weerasethakul s’est fait un nom auprès de le critique française.
Mettons donc de côté toutes les pistes de réflexion théorique que pourrait susciter le dispositif brouillant paresseusement la frontière fiction/documentaire de Mystérieux Objet à Midi. Mettons aussi de côté ses caméras à l’épaule en forme de néo-académisme du cinéma d’auteur. Mettons de côté sa tendance à se reposer sur ses longs passages contemplatifs respirant la pose artiste. Car ils font oublier à quel point ce projet de cinéma est aussi un projet de cinéma populaire. D’abord parce qu’il s’agit d’un cinéma sur le peuple. Chacun des « participants » à ce cadavre exquis appartient ainsi à cette Thailande des villages, des coins reculés que le film sillonne. Et on sent là dedans un regard du cinéaste d’une profonde affection sur le petit peuple thaïlandais. La tradition orale en action que le film donne à voir est d'ailleurs tout autant quelque chose permettant au dispositif du film de fonctionner qu'un élément de la culture populaire d(')u(n) pays. Populaire, Mystérieux Objet à Midi l’est aussi parce que malgré ses longueurs il correspond aussi à une idée du cinéma populaire déjà entrevue du côté de Hk comme de Bollywood. A savoir naïveté, incapacité à reculer devant le n’importe quoi et goût du rebondissement aussi inattendu que jouissif.
Des surprises, Mystérieux Objet à Midi n'en manque pas. Surprises dans les réactions des interviewés, dans ce qui est raconté oralement ou en images, dans la manière dont les personnages le racontent. Surprises parfois hautement jouissives: les gamins qui se mettent à broder une histoire d'extraterrestres, le speech du gouvernement thaïlandais demandant aux prostituées de faire des tarifs préférentiels aux touristes américains comme gage de réconciliation avec les Etats-Unis, les personnages qui "mettent en musique" ce qu'ils racontent... Ou touchantes comme les sourdes-muettes racontant leur propre version du récit. SPOILERS Et un Apichatpong Weerasethakul ne serait pas un Apichatpong Weerasethakul sans son fameux tic auteurisant du double générique. Une amorce de générique de fin surgit donc une fois que le film a épuisé son "pitch". Mais le film continue... Remplissage que cette prolongation du film par une partie de football? Probablement mais elle est assez inattendue pour faire son petit effet d'étonnement. Et pour faire du film une oeuvre qui surprend alors meme qu'elle était censée etre déjà achevée. FIN SPOILERS Comme Tropical Malady, ce Mystérieux Objet à Midi est donc l’œuvre d’un cinéaste qui aime aussi bien la culture populaire de son pays que le cinéma expérimental. Et qui les mélange sans passer par la case postmodernité.
Ce qui s'est d'ailleurs confirmé avec The Adventures of Iron Pussy concentrant la composante « culture populaire » de son cinéma comme Blissfully Yours en concentrait le versant auteurisant. Et celui qui veut qu’on l’appelle Joe annonce déjà que son prochain film ne comportera que des animaux. On rêve déjà d’un croisement entre Annaud, Mekas et Jeff Lau. Tout en pensant qu’il en serait tout à fait capable…
Tout simplement prenant
Premier film/documentaire du génial cinéaste Apichatpong Weerasethakul, Mystérieux objet à midi sonne le renouveau du cinéma thaï alors guère convoité à l'époque par les festivaliers. Il faudra attendre le particulier Blissfully Yours pour que le cinéaste thaïlandais se fasse remarquer et remporte ainsi ses premières récompenses méritées. Méritées car même si l'aspect "film d'auteur et rien d'autre" sort le plus souvent de Mystérieux objet à midi ou Blissfully Yours, ils n'en demeurent pas moins audacieux, originaux et décalés dans le sens où peu de cinéastes ont osé une telle démarche. Déjà le pitch du film évoque une certaine idée de liberté à la fois de ton et de mise en scène puisqu'on ne sait jamais sur qui l'on va tomber. Le fait est qu'ici, ce sont les villageois qui font le film par leurs récits hauts en couleurs, souvent imaginatifs ou alors complètement à l'opposé du réalisme, notamment cette dernière invention des enfants, superbe de naïveté et de naturel capté sur l'instant. Un sentiment de "live" accentué par le micro du preneur de son, s'installant tranquillement devant l'objectif comme si de rien n'était, ces personnes qui rient de leurs propres récits, cette sensation d'être en face un film/documentaire vivant masque l'absence de réelle mise en scène ou de projet artistique.
Mais on s'en fiche, Weerasethakul aura tout le temps pour s'y consacrer à l'avenir, notamment avec son chef d'oeuvre Syndromes and a century, aboutissement formel et narratif à tous les niveaux, adoptant divers points de vue et niveaux de lecture qu'il en devient fascinant par ses images qui hantent votre esprit des semaines après. Cette marque de fabrique emmène Weerasethakul au rang de grand cinéaste et sûrement le plus important de son pays à ce jour.
Un OVNI exigeant
Il faut être préparé mentalement avant d’affronter ce
Mystérieux objet à midi, pur objet filmique non identifié qui ne ressemble à rien de connu, stupéfiant quand on sait que c’est le premier long métrage de son auteur. Weerasethakul a en effet osé l’écriture de scénario participative en demandant à des villageois d’imaginer petit à petit, devant la caméra, une histoire autour d’un jeune garçon et de sa professeur, et en mettant en scène progressivement les pistes soumises. En Noir et blanc sale et en 16 mm, le résultat est surprenant mais très exigeant. Une oeuvre à réserver aux cinéphiles à la recherche d'expérimentations dans le 7ème art, car les autres risquent de rapidement s’ennuyer et de décrocher.
cadavre exquis
'Mystérieux objet à midi' se présente au départ comme une sorte de documentaire (tourné en noir et blanc) qui sillone la Thaïlande et rencontre ses habitants du nord au sud. Pour dire son pays et ses habitants, Apitchatpong Weerasethakul leur fait raconter une histoire sur le mode du cadavre exquis : l'histoire, qui part du récit (tiré d'une légende collective) d'une commerçante rencontrée au début du film, est poussée un peu plus loin en prenant des directions imprévisibles au fil des rencontres. Le film est réllement fascinant comme le documentaire et la fiction (le récit en train de se développer, conduit par les habitants) s'alimentent l'un à l'autre. Jusqu'à donner le sentiment que ce qui était a priori donné comme un documentaire est en fait moins un documentaire qui deviendrait une fiction, qu'une fiction qui tend au documentaire : comme pour affirmer que l'on ne dit (documente) pas mieux les êtres (et un pays, sa culture comme ses réalités socio-économiques) qu'en leur (lui) faisant raconter des histoires, qu'on ne les révèle pas autrement qu'en faisant parler leur imagination (son imaginaire), leurs désirs et leurs frustrations, qui constituent bien la seule réalité qui soit. Le meilleur documentaire, c'est la fiction.
Patchwork imaginaire
Rare exemple d'une active réflexion dans une culture cinématographique autrement moribonde et populaire thaïlandaise, "Mysterieous Object..." se place d'emblée comme l'une des plus poignantes expérimentations visuelles et mondiales de ces dernières années. Un très grand film, d'autant plus remarquable à ce que se soit le premier du réalisateur.
La maîtrise de son montage et l'audacieuse structure narrative sont génialement pensées. Issu de l'art contemporain, le réalisateur a sur établir le parfait pont entre les deux courants d'art. L'idée en elle-même (demander à différents thaïs de continuer une anecdote commencée par une poissonnière en début du film) est déjà assez originale en elle-même; mais le réalisateur ne se contente pas de mollement enchaîner les séquences d'interviews, mais de reconstituer lui-même des parts de l'histoire avec des acteurs, puis par des figurants rencontrés au gré de son périple (narrateurs ou pas). Magnifiques séquences d'une troupe d'acteurs amateurs chanteurs, ou d'un personnage handicapé ou des deux adorables fillettes sourds-muets...jusque dans son dénouement dans une école, où l'arrière-plan regorge de meilleurs moments que la suite imaginée de l'histoire en elle-même.
Rares sont les exemples au cinéma d'un documentaire fictif (ou d'une fiction documentariste) et l'originalité en fait un réel objet de curiosité.
Les longs plans (typiques du réalisateur) reflètent magnifiquement la Thaïlande elle-même.
En revanche, le film est vraiment adressé aux seuls amoureux du 7e Art ou curieux d'expérimentations visuelles; tous les amoureux du film d'action ou commerciaux risquent d'être sérieusement désarçonnés et de ne savoir que faire du présent film. (Ceci sans préjugé, ni arrogance aucuns - juste que le film est un réel exercice de style assez hermétique).