Xavier Chanoine | 2.5 | Dépaysement sanglant |
Ordell Robbie | 3 | Démarquage bondien correct du genre. |
Avant d’être reconnu au Japon comme un auteur de vrais succès commerciaux, notamment avec la série culte Abashiri Prison, Ishii Teruo donnait pourtant dans le cinéma de genre populaire avec une autre série, sans doute moins connue du grand public, celle des Gyangu amorcée au tout début des années 60. La série propulsait sur le devant de la scène des gueules comme Takakura Ken ou Tamba Tetsuro, même si ce dernier connaîtra une carrière de plus grande envergure avec une collaboration régulière auprès de certains maîtres du cinéma japonais tels que Kobayashi Masaki, Fukasaku Kinji ou encore Gosha Hideo. La principale qualité de Narazu-mono est de confronter une nouvelle fois ces deux acteurs au fort potentiel charismatique dans un film de genre médiocre mais contenant suffisamment de petites qualités artisanales pour se démarquer du tout venant grand public. Chez Ishii Teruo, les excès gores ne sont pas une première, et force est de constater que certaines fusillades font valser les coulis de tomates sur les vitres comme pour signaler aux yeux de tous, la marque de fabrique qui rendra les films de ce cinéaste bisseux, intéressants à défaut d’être très prenants d’un point de vue cinématographique.
Car outre une mise en scène appliquée et des situations que n’auraient pas reniées les adaptations de James Bond, les séquences dialoguées dans un mandarin maladroit (le film se déroulant à Hong-Kong puis Macao), les tirs de pistolets dignes d’un calibre de fête foraine ou encore certaines séquences improbables font de cette œuvre une curiosité à défaut d’autre chose. On est loin des expérimentations formelles du meilleur de la Nikkatsu, et il faudra attendre Fukasaku pour avoir droit à plus d’audaces de ce côté-là à la Toei. Ishii Teruo fait ici davantage figure d’enfant pas tout à fait terrible mais raffolant de présenter son œuvre comme étant plus ou moins subversive, mais définitivement cruelle, face à la masse des films de genres tels que le polar que les grands studios produisent à la chaîne. Il n’est donc pas rare de sentir dans Narazu-mono un parfum de misogynie et de vilaine cruauté dès le premier tiers du film, où une jeune employée d’hôtel se ferait liquider très rapidement, une autre assassinée ou encore s’étouffant avec son propre sang. La figure masculine, quasi machiste, prendrait la jeune femme agonisant dans ses bras pour lui aspirer le sang contenu dans sa gorge et le recracher pour la sauver. Cette situation improbable permet néanmoins à Takakura Ken d’être le tueur glacial du début qui fonderait petit à petit face aux beautés fatales, et de s’affirmer comme un acteur charismatique aux yeux du public. Le jeu tout en ambigüité de Tamba Tetsuro sera plus tard utilisé à la perfection au cours de sa carrière, son physique et sa diction l’aidant pour beaucoup.
L’intrigue prenant lieu et place à Hong-Kong et Macao, Narazu-mono expose un visage peu reluisant de ces deux ex-colonies, parfois cliché. D’abord ce Hong-Kong où les grandes enseignes traditionnelles de couleur rouge ne masquent pas l’ampleur de la pauvreté affichée, malgré ces hôtels dits « de luxe » tenus par des vieilles exploiteuses. On verra également à Macao des hommes se laver de façon précaire et une police très présente. Hong-Kong semble également abriter quantité d’hommes peu scrupuleux attirés par les armes et le trafic de drogues en tout genre pour faire fortune, l’une des babioles reçues par Takakura Ken après avoir gagné à un jeu de précision renferme par exemple une drôle de poudre. C’est cette poudre et le cadavre d’une jeune femme qui lui attireront des ennuis. Le film réussit alors à allier interprétation de qualité –malgré des chinois interprétés par des japonais à l’accent loin d’être formidable, mais qui en tenait compte ?- lors des nombreuses séquences dialoguées impliquant un Takakura Ken en pleine discussion sentimentale avec les femmes qu’il rencontre, quel tombeur malgré tout, et les scènes d’action restent suffisamment bien montées et filmées pour susciter un minimum de suspense et de puissance graphique, même si le film est souvent entaché par un esprit bis pas à la hauteur de ses ambitions gangsteriennes avec des bruitages lamentables (les coups de feux en fin de métrage, les sirènes de police) et une violence primaire pas tout à fait justifiée, plus racoleuse qu’autre chose. On est tout de même loin de ce que fera Ishii Teruo durant l’âge d’or de la Toei décadente de la fin des années soixante, début soixante-dix. Sans être un film marquant, Narazu-mono laissait entrevoir un Ishii Teruo plutôt sombre, qui confirmera cette donne un an plus tard avec le culte Abashiri Prison.