Une statuette en or
1963 voit la naissance du nouveau héros d'une série longue de quatorze épisodes à venir sur les grands écrans nippons : Nemuri KYOSHIRO. A jamais immortalisé par l'inimitable interprétation de la vedette Raizo ICHIKAWA, le fin bretteur rônin était un mélange réussi entre les nihilistes productions chambara et les produits d'exploitation. La série a connu une fin précoce à la mort prématurée de l'acteur principal en 1969.
Le genre particulier du chambara (film-sabre) est né au cinéma japonais dès 1917 sous l'impulsion de Shojiro SAWADA, qui a su donner une représentation bien plus réaliste de l'ancestral kabuki théâtral. Interdit par l'instauration du Comité de Censure par l'occupant américain à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le genre connut un brillant renouveau à la fin des années 50 suite au laxisme progressif. Le début des années 60 marquait le fort renouveau du genre et les studios surenchérissaient pour tenter de trouver les faveurs de leur public. Parmi les nombreux personnages créés à l'époque, Zatoichi deviendra assurément l'exemple le plus réussi avec pas moins de vingt-sept films cinématographiques à ce jour et une série télévisée comptant 100 épisodes au total. Dans le sillage de cet illustre modèle a suivi le personnage de Nemuri KYOSHIRO. Inventé de la plume du populaire romancier Renzaburo SHIBATA – également à l'origine de quelques films de Kenji MISUMI, tels que Tuer ou La lame diabolique – le succès public était surtout dû au rôle principal tenu par Raizo ICHIKAWA. Superstar de l'époque aux côtés d'un Toshiro MIFUNE (Sept Samouraïs) ou Shintaro KATSU (Zatoichi), seule sa mort prématurée (cancer du colon) mettra prématurément fin à sa fulgurante carrière en 1969. Les deux derniers épisodes de la série des Nemuri, tournés avec le remplaçant Hiroki MATSUKATA dans le rôle-titre, ont été un échec, le personnage du fin bretteur étant à tout jamais indissociables du charismatique ICHIKAWA. Pourtant, Nemuri Kyoshiro n'a rien de bien original face aux nombreuses autres productions sorties à la même période. Se référant au nihilisme inhérent du genre dès les années 20 (Orochi aka Le Serpent), ICHIKAWA interprète le rôle d'un rônin (samouraï déchu) refusant de se soumettre aux normes d'un système corrompu. Miroir d'une société en plein changement, bon nombre de chambara faisaient l'apologie de ces personnages isolés ne se soumettant à aucune forme de discipline, sauf à leur propre code d'honneur. Personnage de son époque – un Japon en plein chamboulement économique et sur le point de devenir la première puissance asiatique – Nemuri n'a pour but que de vivre l'instant au présent. Il se sait / croit invincible, grâce à la particulière maîtrise de son coup d'épée du "coup de la pleine lune" (ou "du cercle complet"). Il a fait fi de tout sentiment de remord ou de culpabilité et met son habilité combative au profit de sa lutte personnelle contre la luxure et le désir au sein d'une société corrompue. Parallèlement, il n'aura de cesse de découvrir la vérité quant à ses obscures origines. Son air androgyne et sa chevelure teintée d'un roux inhabituel pour un japonais le font douter quant à son appartenance.
Le premier épisode assoit les principales caractéristiques de son personnage. Dès les premières images, la supériorité technique au combat de Nemuri est démontrée dans son combat contre six ninjas passablement énervés. Il en vient à bout en quelques coups de sabre. S'ensuivent des dialogues échangés avec d'autres personnages, qui mettent à jour une certaine arrogance due à sa très forte estime de soi et à son imperturbable confiance en ses prouesses combatives. D'autre part la forte attirance qu’il exerce sur les femmes est mise en avant – ce qui n'est pas sans arranger la haute estime de lui-même… Son implication dans une sombre affaire de règlements de comptes entre deux anciens partenaires de trafic de marchandises renforce son côté indépendant, puisqu'il ne prendra finalement partie pour aucun des camps. Au contraire, il condamne l'avidité des hommes et n'est pas dupe de la nature de l'espion envoyé à ses trousses. Justement, son rapport ambigu avec la traîtresse Chisa est rapidement désamorcé et bientôt se crée une durable histoire d'amour entre les deux personnages. Tous deux orphelins, la femme finira par connaître ses origines, alors que le rônin n'aura encore aucune réponse quant à ses origines. Le bretteur solitaire va également rencontrer son adversaire récurrent de la série : NOBUNAGA, un expert en arts martiaux,. Tous deux respectueux d'un certain code d'honneur, Nemuri laisse la vie sauve à son mystérieux adversaire avec la promesse de se mesurer à nouveau dans un proche avenir. L'intrigue en elle-même n'est pas d'une grande originalité et est interchangeable avec d'autres personnages principaux des productions concurrentes similaires. Le seul charisme de la vedette Raizo ICHIKAWA doit être à l'origine du large succès remporté, alors que tant d'autres projets de même type n'ont pu se poursuivre à cause de leurs échecs immédiats. Partant sur des bases classiques, la série ira en se bonifiant avec le temps, personnages s'étoffant et messages sous-jacents étant d'une rare intelligence pour une production de ce genre.
Curieusement, les auteurs entrent de suite dans le vif du sujet (Nemuri étant attaqué par une horde d'ennemis dès l’entame de film) comme s'il ne s'agissait pas d'un premier, mais déjà d'un énième épisode aux protagonistes bien installés et connus du public. La suite est du même acabit, les auteurs semblant tabler sur une immédiate identification avec les personnages principaux en ne donnant des détails quant à leur personne que tardivement dans le film. D'un autre côté, Nemuri Kyoshiro ressemble tant à d'autres productions de même genre qu'il n'est franchement pas difficile de s'immerger dans un univers aux codes immédiatement identifiable. Ancien assistant réalisateur d'Akira KUROSAWA ou de Kenji MIZOGUCHI (respectivement sur Rashomon et Les Contes de la Lune Vague après la Pluie) – Tozuko TANAKA est un habitué des studios de la Daiei. Réalisateur attitré de leurs séries phares, il met également en scène quelques épisodes des véhicules pour Shintaro KATSU Zatoichi , Tough Guy ou Hoodlum Soldier. Sa réalisation s'adapte parfaitement dans un moule donné, sans grands éclats, ni génie personnel; l'important étant de filmer au mieux la vedette ICHIKAWA. La superstar porte justement le film sur ses épaules. Son arrogance aristocratique colle parfaitement aux besoins de son personnage qui dégage un charisme palpable; son fameux "coup de la pleine lune" est d'une mortelle précision pour tous ceux tentant de s'interposer sur son chemin. Face à lui, WAKAYAMA Tomisaburo (future star des séries Gokuaku Bozu ou de Baby Cart) surprend par sa lourdaude apparence et son crâne rasé. Curieux choix également de lui donner le rôle d'un spécialiste du combat à mains nues, alors qu'il maîtrisait déjà parfaitement le jeu d'épée.
Enième série d'un rônin bretteur hors pair, la série des Nemuri Kyoshiro connaît des débuts en demi-teinte. Allant en se bonifiant au fur et à mesure des épisodes, le succès immédiat doit beaucoup à l'importante popularité de son interprète principal charismatique.
(critique déjà publiée sur
EIGA GO GO !!)
Un premier volet sympathique mais faible en émotion
"Nemuri Kyoshiro 1 - Sappocho" aka "La Statuette de Jade"... Difficile de se démunir d'une certaine émotion à l'entame du premier volet d'une série aussi mytique que celle-ci. Las ! L'émotion du début ne fait pas long feu et laisse peu à peu la place à un intérêt poli par la faute d'un scénario au ton hésitant, mal soutenu par une réalisation sans invention.
Déjà sur le héros, Nemuri Kyoshiro le nihiliste magnifique, cynique ambigu et humain attachant... Dans ce premier volet, on le trouve rieur et sur de lui mais comme détaché de toute histoire personnelle, celle-ci n'étant évoquée qu'au minimum syndical et sur un ton trop affecté pour que l'émotion ne prenne. On imagine (ou on connaît) son potentiel dramatique mais il reste ici encore trop mal défini (quid des origines bâtardes du héros) ou esquissé d'une manière trop convenue pour que l'empathie s'instaure. Hésitation ensuite sur le ton global du film, basculant par l'intervention de certains personnages vers l'intermède de comédie évoquant d'avantage le serial familial que le pur chambara nihiliste à la "Baby Cart".
Quant aux combats, ils s'avèrent particulièrement décevants pour un film de 1963. Tant dans leurs chorégraphies que dans leur réalisation cinématographique, ça sent le manque de travail avec un Nemuri Kyoshiro / Raizô Ichikawa semblant juste faucher quelques herbes inertes à la manière d'un explorateur en pleine forêt vierge et un Chen Sun / Tomisaburou Wakayama certes puissant mais peinant à évoquer la souplesse d'origine Shaolin de son Shorinji Kempo. Pour l'année de production et avec de tels interprètes, on pouvait attendre mieux que ce bâclage en règle qui constitue une authentique faute de goût dans un chambara finalement assez peu digne de ce nom.
Au final, ce premier "Nemuri Kyoshiro" restera une relative déception dont le manque d'originalité ne permet même pas l'excuse d'une ambiance qui se cherche. Reste un gentil divertissement familial, quoiqu'un peu longuet, et la présence charismatique de Raizo Ichikawa... Sympathique mais sans grand rapport avec la puissance de certains des épisodes à venir.