Les joutes de la pleine lune
Suite au succès du premier volet, les studios de la Daiei mettent rapidement en chantier ce second volet pour tirer profit de l'engouement populaire. Si le personnage de Nemuri Kyoshiro gagne en profondeur, il fait preuve d'un certain positivisme inhabituel dans son comportement – une aubaine pour l'interprète Raizo ICHIKAWA ainsi invité à nuancer son jeu. Enfin, le complexe scénario politique se réfère à d'importants faits historiques japonais du Japon, rare dans ce genre de productions populaires.
Si la précédente aventure du mystérieux rônin regorgeait déjà d'allusions historiques, cette fois l'intrigue croule sous les détails d'importance. Se passant sous le règne du onzième Shogun Tokugawa Ienari (1787-1837), la période relativement stable est pourtant marquée par les frasques dépensières du dirigeant du pays. Aimant les festivités et la luxure, il est peu regardant sur les coûts, lui suffisant d'élever les taxes pour renflouer ses caisses. Son train de vie est pourtant un mauvais exemple, les envieux Seigneurs voulant bien évidemment imiter l'illustre modèle – ne serait-ce que pour leur notoriété. L'effet est pervers, les charges du petit peuple servant du coup autant à palier aux excès des Seigneurs de leurs terres qu'à financer ceux de leur Shogun. Pour pallier au manque à gagner, un financier notable avait eu pour idée de produire de nouvelles pièces de monnaie en ferraille de moindre valeur; une action qui avait permit à court terme d’éviter à la crise , mais qui sur le long terme affecta sérieusement une économie fragile. Le clivage naissant entre riches et pauvres est donc à plusieurs reprises évoqué au cours des dialogues, notamment par la complainte du collecteur du fonds s'inquiétant de l'augmentation du nombre des gens des terres venus chercher fortune dans les villes. En n'ayant très peu à faire du supposé respect à montrer à l'égard de la fille du Shogun, Nemuri Kyoshiro conserve donc l'une des principales caractéristiques du premier épisode : il n'obéit qu'à ses propres règles et n'a de comptes à rendre à personne. En se rebellant ainsi contre le pouvoir en place, il fait déjà partie de l'ère moderne à venir quelques décennies plus tard, signifiant la chute du shogunat et l'ouverture à la prospérité économique; fin d'une ère largement motivée par les frasques d'un Shogun trop insouciant. En revanche, le personnage du rônin sans foi, ni loi montre de nouvelles facettes inédites et totalement insoupçonnées par rapport au précédent épisode. Bien plus abordable, il est même prévenant en prenant sous son aile protecteur le vieux collecteur de fonds. Il tombe également amoureux d'une honnête fille et se fend à deux reprises d'un large sourire…surprenant par rapport au sombre personnage nihiliste des débuts.
Pas étonnant de trouver à la réalisation un réalisateur chevronné du genre du chambara : Kenji MISUMI. Fort de ses récents succès de la trilogie du Passage du Grand Bouddha (ayant déjà Raizo ICHIKAWA pour personnage principal) et la mise en route de la longue série culte "Zatoichi", il démontre sa propension à insuffler des changements perceptibles au sein de séries similaires, une démarche qui trouvera son apogée dans le futur "Baby Cart". Sachant s'effacer derrière les codes obligatoires du genre public, il aime pourtant à se jouer des rigidités. Se retrouvant à devoir réaliser une intrigue assez complexe et très bavarde, il va oser s'emparer du personnage de Nemuri Kyoshiro pour le dépeindre à sa façon et ainsi éviter que la série ne tombe trop dans les stérotypes. Dès le premier épisode, il était clairement perceptible que Kyoshiro était le type même du taciturne rônin arrogant sans foi, ni loi, qui savait terrasser ses personnages par dizaines grâce à son unique mouvement de sabre; le parfait calque du personnage de Miyamoto Musashi ou de celui du "Grand Passage du Bouddha". MISUMI – et les scénaristes – vont "casser" les stéréotypes donnés sans toutefois toucher à l'essence même du héros.
Ainsi, Kyoshiro garde de son arrogance jubilatoire et de sa malicieuse mesquinerie – comme le prouve d'emblée la scène d'introduction. Prenant sur les faits une jeune voleuse, il lui règle son compte en quelques coups de sabre… la mettant littéralement "à nue" parmi une foule compacte de badauds. Ensuite, il teste l’honnêteté d'un jeune garçon devant lequel il laisse tomber son portefeuille. Il enchaîne par un duel, réalisé dans les règles de l'art: devant témoin et en se consultant avec son adversaire au préalable pour déterminer les condition du combat. Il peut se montrer dédaigneux envers les pouvoirs en place, mais respecte un code d'honneur envers son prochain. Le cours de l'aventure va également ressusciter ses vieux démons. D’apparence redoutable avec sa fameuse technique de "la pleine lune", le personnage n’en reste pas moins fragile et en proie à de forts tourments intérieurs.
Bien que difficilement perceptible pour celui qui n'aura pas vu la suite (et notamment le quatrième épisode), ses aventures sont d'ores et déjà truffées de nombreuses indices quant à sa vie passée. Plus encore : alors qu'il avait déjà rencontré son double en la personne de Chisa – une jeune femme orpheline – il va cette fois faire la connaissance d'Uneme, qui – elle aussi – partage plus d'un point en commun avec le fin bretteur, sans que ce dernier ne s'en doute encore. En revanche, contrairement au premier épisode, Kyoshiro apparaît cette fois comme un joyeux luron, qui ne cache pas ses joie et malice et fait preuve d'une grande humanité envers la petite marchande de nouilles et le vieux collecteur de fonds. Comme pour se justifier de cette double personnalité révélée, MISUMI va à plusieurs reprises montrer les "deux visages" de son personnage principal : fermé et blafard le jour où il a tué quelqu'un, il est calme et détendu les jours sans avoir usé de sa lame. Misumi abuse même d'un éclairage jaunâtre pour accentuer les traits enragés de son personnage principal lors des duels. Ce second épisode est étonnamment bavard et d'autant plus avare en combats; ce qui n'empêche Nemuri de se battre en duel et contre de nombreux adversaires au cours de mémorables affrontements – bien que loin des prouesses combatives d'un Shintaru Katsu (Zatoichi) ou – surtout – Tomisaburo WATAYAMA (Baby Cart).
Critique auparavant publiée sur
EIGA GO GO !!
Plus accompli que le 1er de la série
Tant dans la forme grâce a à l'excellent travail de Misumi que dans l'histoire, assez complexe.