Ordell Robbie | 4.25 | Quel chemin il m'a fallu parcourir pour arriver à toi... |
Yann K | 4.75 |
Tourné en deux semaines et en ne faisant qu'une prise de chaque scène, Okaeri n'en est pas pour autant baclé loin de là. Il est plutôt un témoignage de la capacité de certaines conditions d'économies de moyens à pouvoir aboutir à la création d'une oeuvre majeure.
La première force du film est décrire avec une grande minutie l'installation progressive de la folie à l'intérieur du quotidien d'un couple: Yukiko commence d'abord par accueillir son mari à son retour de travail -le fameux "Bienvenue à la maison" du titre- dans le noir, se met à regarder fixement à travers la fenetre, dit à son mari qu'elle doit patrouiller pour lutter contre une organisation qui voudrait du mal à leur couple. L'irrationnel trouve ainsi progressivement sa place au milieu d'une description réaliste du quotidien du couple et de la routine du travail d'un professeur. Cela permet d'amener naturellement des passages moins réalistes -les moments où Yukiko regarde à perte de vue l'horizon au milieu d'une étendue désertique-. De même, le film nous montre d'abord Yukiko se mettre en colère de façon rentrée -notamment à propos de son mari qui veut ouvrir un paquet contenant un "talisman"-, nous préparant ainsi à la vraie explosion de folie de la scène du vol de voiture. La révélation progressive par le film de certains "indices" -le passé de pianiste de Yukiko-, bien loin d'éclaircir les choses, amplifie le mystère du moment où les premiers symptômes du déraillement apparaissent. Ce déraillement à l'origine de quelques grands moments de cinéma: la discussion sur un banc avec un vieil homme qui se plaint d'être pris pour un dragueur par les jeunes femmes et qu'elle quitte étonamment, Takashi mettant un imper sur son pijama pour aller épier sa femme puis revenant chez lui à toute vitesse une fois qu'il la voit rebrousser chemin, la course poursuite à pied puis à vélo entre Takashi et la voiture volée de Yukiko et enfin l'évanouissement de Takashi devant sa porte suivi d'une scène où sa femme le transporte comme un cadavre.
Mais Okaeri est aussi un bel hymne au refus de dramatiser incarné dans le film par la superbe prestation de TERAJIMA Susumuen Takashi. Car en toutes circonstances Takashi reste maître de lui-même: lorsqu'il demande pardon pour les fautes de sa femme, lorsqu'elle se met en colère contre lui. Certes, il est parfois inquiet mais jamais au point de dramatiser. Son calme permanent contraste avec la plongée progressive dans la folie de sa femme comme s'il était conscient que seul son sang-froid pourrait la sauver. Car sur un sujet à fort potentiel dramatique, Okaeri réfléchit sur la notion de concessions à l'intérieur du couple. La folie de Yukiko est une bouée lancée à son mari histoire qu'il essaie de faire les concessions minimales permettant à leur couple de survivre et c'est en le poussant à bout qu'elle crée les conditions d'émergence du changement chez son mari (ce qui pourrait servir de métaphore d'une certaine idée du cinéma incarnée par le film, à savoir que les contraintes de tournage les plus drastiques et limitées peuvent créer l'avènement d'une oeuvre libre et grandiose). Et c'est ce petit changement -l'évanouissement de Takashi suivi de la prise de conscience du désir d'un léger plus d'attentions de la part de celle qu'il aime- qui va donner lieu à un final poignant au milieu de l'étendue désertique qui s'est fleurie: il a fallu pour le couple passer par le surnaturel pour récréer une entente simple, cette folie douce qu'est un couple heureux.
Le style d'Okaeri est dicté par l'urgence de son tournage et l'économie de moyens: le film est composé de longs plans fixes hypnotiques qui rendent d'autant plus frappants les quelques effets de stylisation (enchaînements de plans de plus en plus rapprochés, utilisation de la caméra portée pour dynamiser la course-poursuite). Le travail sur le son souligne quelques bruits d'ambiance (les sons mécaniques de piano ou les bruits de voiture par exemple) qui nous font pénétrer dans la prison mentale des personnages, l'utilisation de la Sonate au Clair de Lune de Beethoven amène un peu de mélancolie au film.
Okaeri est unique et ne dépareille pas parmi les films sortis en salles en France au cours d'une année 1997 pourtant pas avare en grands moments de cinéma -Kitano et Wong Kar Wai à leurs sommets entre autres-. Shinozaki Makoto aura offert au cinéma japonais des années 90 un premier essai en forme de coup de maitre. Espérons que la suite de sa carrière ne suive pas une pente à la Ayoama Shinji.