Xavier Chanoine | 4 | Amour, vengeance et règlements de compte pour un grand Fukasaku |
Ordell Robbie | 3.25 | Auto-contrefaçon |
Superbe plongée dans un Japon marquant et marqué par son abondance de sales gueules peu fréquentables, Outlaw Killers de Fukasaku est l'un de ses meilleurs films du début des seventies. Tout son cinéma est déjà là, présent dans notre coeur depuis un Guerre des Gangs à Okinawa correct mais pas surprenant, et sa ressemblance avec Okita le pourfendeur est carrément visible. Si ce dernier représente la quintessence du film de sang et de poussière d'un cinéaste aussi libre comme l'air et non conformiste, Outlaw Killers arrive à sa cheville, d'une part parce qu'il est réalisé la même année et d'autre part parce qu'il est habité par une morale dangereusement amoureuse et optimiste annonçant un énième chaos. Il n'y a pas cette drôle de sensation d'être en face un Bonnie and Clyde des temps modernes, mais Fukasaku semble s'intéresser d'avantage aux personnages féminins. Si au départ les femmes sont traitées comme des moins que rien, réduites à de basses généralités, "prostituée ou hôtesse de bar, quelle différence?", elles prendront d'avantage d'importance, c'est le cas du moins d'une jeune femme muette en l'apparence, bientôt aimée par Gondo.
Les rapports sont donc sauvages au premier abord, pour tomber dans le larmoyant sentimental presque inhabituel chez le cinéaste. Des petites attentions comme ce vêtement donné en cadeau, ou cette soupe aux ramens démontrent que le yakuza le plus timbré du Japon a aussi un coeur. Mais Fukasaku pointe du doigt la mise à mort d'un gang par son principal meneur, du fait de ses nombreuses crises de violence. Gondo tue mais ne réfléchit pas, des actes qui pèseront lourd sur la balance comme la mort provoquée de son meilleur ami. Outlaw Killers c'est aussi une accumulation de scènes bluffantes avec entre autre un spectaculaire sacrifice avec en fond sonore le bruit assourdissant d'un train qui passe, des bagarres anthologiques dans un night-club ou dans les rues tard la nuit, mises en scène par un Fukasaku récitant ses gammes comme un élève modèle. Tout y passe, les célèbres plans en diagonale caméra sur épaule, les zooms et dézooms successifs pour souligner l'action, montage cut et psychédélique. Un récital annonçant ses futures bombes même si dans l'ensemble on sent que Fukasaku en a encore sous le pieds. Les éternelles mises à mort en image fixe annoncées par la trompette de ses compositeurs ne sont pas tout à fait présentes, tout comme les informations textuelles à l'écran qui se font ici tout simplement absentes. Qu'importe, Outlaw Killers est l'un des meilleurs Fukasaku, toute l'essence de son cinéma est là, sa rage évocatrice, son anarchisme absolu, ses personnages cabotins à outrance, ses femmes mystérieuses mais importantes en font un classique du film de yakuza. Tout simplement génial.
Tourné la meme année qu'un Okita le pourfendeur, Outlaw Killers: 3 Mad Dogs Brothers semble reconduire la formule artistiquement gagnante de ce film-là. Sauf que l'absence de surprises est largement compensée par des qualités préfigurant celles des sommets seventies futurs de Fukasaku.
On retrouve donc Sugawara Bunta en yakuza seul face aux gangs, brutal, sans manières et désireux de survie au mépris de la morale et du code d'honneur. Il est déjà d'une autre époque, en décalage complet avec un milieu ne souhaitant désormais pas faire de vagues dans le Japon économiquement prospère. Son caractère bien trempé donne lieu à quelques moments de cinéma mémorables (les bastons, le refus de couper son doigt) meme si Sugawara Bunta n'évite pas le cabotinage. Il s'agit pour son personnage de Gondo de faire équipe avec d'autres marginaux comme lui (son meilleur ami et le yakuza solitaire au serpent) comme on se soude dans ces temps où seule la survie compte. Peu importe dès lors pour lui de violer une vierge qu'il a jetée dans la prostitution après qu'elle se soit rebellée contre ses clients. Jeune femme qui après l'avoir quittée pour aller hors la marge, dans le Japon du miracle économique, revient parce qu'elle est sans emploi. Et jeune femme qui est aussi comme lui figure de survie. Spoilers C'est d'ailleurs cette communauté de situation qui fera qu'elle pleurera après avoir vu son cadavre en fin de film. Il l'a humiliée, ne l'a pas respectée mais il voulait aussi survivre. Tragique? Oui mais chez Fukasaku rien de ce qui est fait par vitalité, par soif de survie n'est vain. Fin Spoilers Reste que le film souffre de la meme limite qu'Okita le pourfendeur: ces thèmes-là déjà esquissés dans les Fukasaku précédents n'ont pas encore l'ampleur offerte par l'inscription sur une longue période de temps des chefs d'oeuvre à venir.
La maestria formelle n'a elle par contre rien à envier aux réussites futures et elle réussit à compenser partiellement l'impression de déjà vu. On y retrouve l'art décomplexé du décadrage du cinéaste et ces caméras capables de se mettre au diapason de l'énergie de ses héros comme d'etre parfaitement synchrone du chaos d'une bagarre. Enfin, un score magnifique de coolitude porte le film d'un bout à l'autre. Pour du Fukasaku pas encore au sommet mais marquant déjà le yakuza eiga seventies.