Nouvelle Vague
1956: Kisses de Masumura Yasuzo n'est pas encore sorti pour qu'Oshima Nagisa puisse en faire le porte drapeau d'un cinéma en rupture avec le système des studios. Sauf qu'il y a déjà un parfum de Nouvelle Vague dans le cinéma japonais au travers de ce Paradis de Suzaki dont on n'a pas grand peine meme de nos jours à deviner l'impact qu'il a pu avoir en son temps. Quels personnages le cinéma nippon montre-t-il alors à l'écran? On a d'un coté les samourais (Kurosawa), les héroines de mélodrames en costumes (Mizoguchi), le monde du tertiaire et la famille japonaise typique (Ozu, Naruse). Kurosawa a bien dépeint un univers fait de voyous et de marginaux avec ses polars mais il laisse quand meme aux personnages incarnés par Mifune une dimension héroique. Chez Kawashima, point de héros mais des femmes déterminées, des hotesses, des prostituées, des musiciens de rue, des etres cherchant à joindre les deux bouts, des hommes profitant du chaos du Japon d'après-guerre pour faire fortune, des hommes à la dimension burlesque aimant les femmes et l'alcool en bons vivants qu'ils sont. Des femmes déterminées, il y en avait déjà eu dans le cinéma japonais mais surtout dans les mélodrames qui exaltaient leur lutte, leur fidélité à elles-memes. Ici, point d'exaltation, point d'héroisation de la femme mais une description de leur combat au quotidien pour survivre durant les périodes de crise. Dans le couple vagabond, le courage est clairement du coté féminin, c'est la jeune femme qui décide au début qu'elle et son compagnon se "poseront" à Suzaki, elle qui décide de travailler comme hotesse de bar d'abord sans coucher avec les clients puis d'aller plus loin dégoutée par l'incapacité de son homme à se prendre en charge pour s'assumer professionnellement et par gout pour la grande vie -son amant incarnera la réussite facile par la vente de postes radios-, elle qui n'a pas peur d'imposer ses décisions à celui qu'elle aime.
D'un autre coté, son amoureux refoule tant bien que mal son coté possessif, est terne, sans motivation dans la vie car il n'est pas comme sa "compagne" animé de l'instinct de survie à tout prix. Son personnage fait écho à celui du mari de la tenancière du bar qui l'a quittée pour une prostituée du lieu pour concourir à la description d'une certaine lacheté masculine dans les rapports humains. La grande force du film, c'est d'etre une plongée dans le Tokyo des quartiers pauvres et de la prostitution -alors que les lois antiprostitution viennent d'etre promulguées- comme en témoigne le long travelling d'ouverture sur une longue rue où l'on voit les prostituées au bras de leurs clients sur fond de pianos et de percussions africaines que l'on retrouvera durant tout le film avant de s'achever sur l'intrusion de musiciens de rue -qui jouaient le thème du générique- dans le cadre. Le désir d'aller ailleurs de la jeune "compagne" s'incarne très vite dans le film au travers des plans de la rivière traversée par les habitants du quartier et du plan de l'écriteau donnant son titre au film symbole de la grande vie dont elle reve et que pourrait lui offrir la prostitution. La mise en scène renforce le coté "témoignage d'époque du film": les cadrages contemplatifs mais rapprochés, les raccords hasardeux, la simplicité des choix de mise en scène -l'enchainement plan large/gros plan entre autres- participent du coté frais et pris sur le vif que dégage le film. Cette vivacité se retrouve dans la légèreté de ton apportée à un sujet à fort potentiel mélodramatique: certains personnages sont investis d'une vraie dimension burlesque, les personnages du peuple sont dépeints comme des figures vitales capables de secourir un homme qui tombe à terre ou d'aider un homme en difficulté pschologiquement non par désir de se distinguer mais parce que c'est naturel pour eux.
Un univers frais, drole, ancré dans le réel se met en place et il n'est pas étonnant qu'Imamura s'en soit souvenu: il filmera à son tour avec amour des femmes figures de vitalité dans des périodes difficiles, des hommes bons vivants en poussant encore plus loin la rupture avec le cinéma de l'age d'or.
Un vrai choc !
Une fois de plus, le cinéma japonais nous prouve qu'il a été - et il le demeure - un incroyable vivier de talents, une source de plaisirs cinéphiles inépuisable.
Nous suivons le parcours d'un jeune couple désargenté qui échoue à la lisière du quartier de prostitution de Suzaki à Tokyo. Elle forte, tenace, déterminée à s'en sortir, lui découragé, faible, un peu lâche. Ils s'insèrent dans la vie d'une petite communauté... Le ton de Kawashima est alerte, un peu loufoque. Il caractérise à merveille ses personnages pleins de vie, sa mise en scène fluide nous les montre souvent en mouvement, le film est très dynamique.
Le drame n'est pourtant jamais loin, comme chez Ford le film peut basculer en un plan. La palette de Kawashima est large et il peut jouer sur tous les tableaux émotionnels.
Tout dans le film, scénario, mise en scène, jeu des acteurs, est brillant et nous montre que nous sommes bien dans l'âge d'or du cinéma de studio japonais, pourtant nous sommes à l'opposé de la conception du cinéma du Ozu d'après guerre. Un souffle de liberté, un grain de folie, comme chez Masumura, annonce la nouvelle vague.
Un cinéma léger, rythmé, loufoque mais qui n'occulte rien de la réalité sociale qui'l dépeint... On croyait l'oeuvre d'Imamura un peu à part, unique dans l'histoire du cinéma japonais, on découvre au long du film qu'il avait un père :Yuzo Kawashima, celui dont il fut l'assistant et coscénariste.
Vivement la suite !