Rentrer dans l’univers de Yoshida Kiju c’est oser défier le temps, l’espace et l’Homme sous sa plus simple enveloppe. Plus qu’un simple mélodrame sec, pesant et sexuel, Passion ardente c’est une sorte de conte où l’amour tient une place centrale. Pas l’amour que l’on entend au sens propre, pas un amour de conte de fée, mais un amour difficile, pas tout à fait assumé, entraînant alors de sérieuses complications pour celle qui est au centre des « affaires », Oriko, jeune femme mal à l’aise dans son couple parce que son mari lui reproche sa froideur, comme si elle ne l’avait jamais aimé. Tout d’un coup étrangement intéressée par l’amant de sa mère (décédée il y a plus d’un an), cette dernière le rencontre dès le début de métrage comme pour signifier ou mettre en avant son désir d’aller plus loin avec lui. De drôles de choix vont alors empêcher Oriko de mener une vie tranquille : doit-elle se laisser aller au désir d’aller voir « chez l’autre » ou continuer sa relation de femme malheureuse avec son mari libertin qui la possède comme un écho renvoyé d'une certaine idée de la femme d'un Japon d'antan ?
La notion de possession chez Yoshida est évidente et ne relève même pas de théories dont il est maître en la matière. Ici le mari évoque clairement sa suprématie sur Oriko car il la « possède » en tant qu’épouse. Étrangement le film n’est pas aussi pénible que certaines de ses œuvres dites de « Nouvelle vague », d’abord parce que les longueurs inévitables dans un tel métrage se voient adoucies (endurcies ?) par une plastique redoutable de précision et d’audaces en tout genre. Bien plus que ses premières œuvres se contentant de faire un travail propre mais classique (là où la forme ne prolongait sûrement pas assez les audaces narratives inhérentes au cinéma de Nouvelle vague), depuis Histoire écrite sur l’eau Yoshida a su explorer de nouveaux horizons esthétiques au service d’une narration éclatée. Sa réflexion sur l’image pouvait dors et déjà relever la paresse de certaines séquences de discussion qui s’étirent trop en longueur, et dieu sait qu’elles sont nombreuses ici, mais le procédé de filmage soulignant à merveille la tension moite de la plupart des séquences importantes du film (la virée rock’ n’ roll de nuit, les pulsions sexuelles du jeune agresseur de Yuko, la pierre sculptée, les explications entre Oriko et son mari, la rencontre à trois en fin de métrage…) apporte une toute autre dimension biscornue davantage présente qu’avant et permet ainsi d’insuffler au métrage une vraie tension dramatique tout en faisant de la transgression plastique une des nombreuses grandes qualités d’un film que l’on pourrait juger de paresseux.
Et lorsque la plastique audacieuse fait office de liant d’une narration centrée sur une certaine liberté sexuelle, celle de Oriko et de ses deux prétendants, l’utilisation du son apporte au film une toute autre dimension d’étouffement pouvant apposer à ce dernier deux univers bien distincts : l’un, déroulé dans l’actuel est fait d’un réalisme froid tendant au malaise, l’autre, passé, est explicite par ses nombreux flash-back mettant en scène la mère d’Oriko et les situations douteuses qui ont entrainées sa mort accidentelle (ou non ?) et relève plus du fantasmagorique, de l’idée vague, de la possibilité que du concret. L’utilisation du montage apporte aussi son lot de questions et de réflexion sur ce qui s’est réellement passé voilà une ou plusieurs années. Et comme à son habitude, la fin du métrage dispose de plusieurs niveaux de lecture très intéressants quant à l’avenir de Oriko. Que va-t-elle faire finalement ? Revenir voir son mari, démarrer une aventure avec un homme qui risque d’être impuissant ? Se jeter sur les rails qu’elle parcourt souvent ? Passion Ardente est une grande réussite d’un Yoshida Kiju qui aura trouvé avec cette deuxième production indépendante (née de la société Gendai Eigasha fondée avec sa femme) une vraie liberté de filmage et de ton autorisant des expérimentations qui auront clairement fait sa marque. Un grand plasticien pas toujours facile d’accès mais passionnant.