Faux polar pour vrai drame
Voir ce film, c'est en premier lieu découvrir (du moins en ce qui me concerne)
TAMBA Tetsuro dans le rôle d'un enquêteur des années 70. Habitué que je suis à l'apercevoir grimé en samouraï et sabrer des malotrus avec un haussement de sourcil intimidant à la François Mitterand, le voir ici revêtir la chemise/cravate d'un policier contemporain fait comme un choc. Passée cette expérience traumatisante de transformisme involontaire, on le découvre très crédible en flic simple, humain, très motivé dans sa tâche et plutôt inspiré. Avec son jeune acolyte, il va devoir résoudre une histoire de meurtre plutôt étrange. Pas de chichis ni de stéréotypes dans le binôme vieux flic/jeune flic, ce dernier n'étant pas l'habituel faire valoir d'un Clint Eastwood ambulant mais bien une aide précieuse respectée du début à la toute fin pour sa présence constructive et indispensable au dénouement de l'affaire.
Le réalisateur Nomura Yoshitaro prend son temps (143 minutes) pour raconter cette histoire. Le rythme du film est d'abord lent, les rebondissements difficiles à suivre, tout est à propos d'histoire et de géographie japonaise en passant par des dialectes obscures et beaucoup (beaucoup) de personnages. Même la police japonaise a du mal à s'y repérer alors imaginez le téléspectateur occidental. Puis arrive la seconde moitié du métrage et son basculement très réussi dans le drame total. Hommage aux films muets, aidé en cela par une musique magnifique de AKUTAGAWA Yasushi, ce clin d'oeil appuie les flashbacks et souligne les différentes générations de l'histoire de façon directe et efficace. Le mélange des genres est étonnant et l'émotion au rendez-vous.
Sous le sable
De l'avis de nombreux critiques japonais, The Castle of Sand serait une des grandes réussites du système de studios nippon. De notre côté, on aurait plutôt tendance à penser que seule sa seconde moitié mérite un minimum d'éloges. Ce n'est pas que la première soit totalement indigne d'intérêt. TANBA Tetsuro en flic avec un acolyte qui est tout sauf un faire-valoir, l'acteur fétiche d'OZU RYU Chishu au casting. Une plongée dans un Japon rural, profond dans une ambiance caniculaire. Le coupable apparaissant très vite à l'écran et se devinant très vite, déplaçant du coup le suspense sur la recherche du mobile du crime (élément classique chez l'écrivain MATSUMOTO Seicho ici adapté). Tout ceci est aussi alléchant sur le papier qu'ennuyeux pendant la première moitié du film. La faute à une lenteur rythmique insupportable et une mise en scène d'une platitude de téléfilm n'en sortant que pour quelques affèteries d'époque (les gros coups de zooms).
Ensuite, le film relève la tête pour se transformer en un drame des plus poignants. Le thème classique du film noir de l'être prisonnier de son passé acquiert une saveur particulière lorsqu'il s'agit de dresser en filigrane tout un tableau du Japon de l'immédiat après-guerre. Narration et montage jonglent alors magistralement avec le passé et le présent, l'alternance de points de vue narratifs et la musique n'étant pas en reste pour évoquer l'itinéraire d'un individu et d'un pays qui voudraient faire comme si leur passé douloureux n'était pas. Contrairement à d'autres NOMURA scénarisés par HASHIMOTO Shinobu (ici secondé par YAMADA Yoji à l'écriture), les jeux temporels évitent ici le procédé, la déclinaison light de narration Rashomon. Et là où l'emphase pourrait se révéler un piège au vu du sujet, elle fonctionne ici parfaitement tandis que la réalisation est cette fois d'un bon service minimum artisanal. Que signaler d'autre? Un OGATA Ken n'ayant pas encore toute la présence qu'il aura des années plus tard chez NOMURA (The Demon) et IMAMURA (La Vengeance est à moi).
Ceci dit, on a tendance à préférer quand une idée ambitieuse thématiquement du cinéma populaire s'accompagne d'une vraie ambition formelle. Comme dans le cinéma américain de la même époque. Voire chez d'autres cinéastes nippons de l'époque (ITO Shunya, FUJITA, FUKASAKU, HASEGAWA) à nos yeux plus méritants.
A la fois polar classique et drame dénonciateur
L'une des forces de Nomura, ancien assistant réalisateur chez Kurosawa, c'est sa faculté à transgresser les codes de l'angoisse et du suspense par l'utilisation admirable des décors. Comme dans
L'été du démon, autre oeuvre maîtresse du cinéaste, la mer et la puissance des vagues représentent une certaine forme de violence à l'écran. L'écume qui s'éclate contre le sable n'est que la représentation dans le champ du meurtre qui eut lieu hors champs, meurtre sur lequel enquêtent deux inspecteurs de police. De même que la forêt, élément intégrant du récit adapté de Matsumoto, représentant cette fois-ci le trouble de l'enquête et les difficultés pour progresser, véritable labyrinthe dont les deux héros auront du mal à s'en sortir sans l'aide précieuse des habitants peuplant la région au nord de Tokyo, ces habitants dont on se moque du fait de leur accent incompréhensible. Sans forcément rentrer dans les détails critiques, Nomura expose les différences qui existent entre la "ville" et ses habitants éduqués, et la "campagne" exposée comme refuge de gens dont on se moque sans gêne. Structuré comme un pur polar,
Le Vase de Sable met l'accent sur la récolte de témoignages, seules sources pour faire progresser l'enquête. Les deux inspecteurs passent leur temps à voyager de régions en régions, nuit et jour, uniquement pour clore un dossier compliqué, un homme admirable aux yeux des proches, retrouvé mort sur une ligne de chemin de fer. Le seul indice, on aurait entendu un "Kameda" prononcé avec un accent du nord au moment de sa mort.
Nomura revisite donc à sa sauce le polar classique avec recueils de témoignages et reconstitutions de preuves grâce aux dires des habitants. Rythmé comme un bon vieux polar des seventies, cadré en scope à l'italienne, Le Vase de Sable se démarque par son approche différente du genre. Si sa grosse première moitié est bien travaillée, sans bousculer les codes du genre, le film change de ton dès lors que l'identité du tueur est quasiment trouvée. Nomura s'attarde à cet instant sur le passé du tueur et explique ses agissements au travers d'un portrait plutôt émouvant. Ces séquences, logiquement tristes, relèvent plus du pathétique que du larmoyant. On y retrouve en effet les clichés d'une famille d'opprimés, rejetés par une poignée de bambins lanceurs de cailloux (rappelant étrangement la séquence du zinzin du train dans le début de Dodes'kaden), traqués par la police cherchant à les expulser de la région. Mais ces clichés sur papier sont relevés par la musique travaillée et imposante de Akutagawa Yasushi, transformant alors ces séquences en vrai mélodrame, masquant le dialogue et créant une véritable rupture de ton avec la première partie. Et à Nomura de s'éclater visuellement car même ses plans sont superbes, bien aidés par la somptueuse photo de Kawamata Takashi, la mise en scène au sens stricte du terme reste bien trop classique pour marquer.
Jolis passages
Beau film, en couleur, malgré ce que la pochette du dvd peut laisser penser.
De très jolis passages dans le film, récits de moments passés très touchants. Cependant, enquête manquant d'explications à mon goût.
Passage préféré: le périple de l'enfant avec son père lepreu.
Polar social
Cinéaste prolifique avec plus de 70 réalisations, Yoshitaro Nomura a cependant acquis une reconnaissance par son approche du registre policier, adaptant des classiques locaux du genre, et collaborant en particulier avec le grand romancier Seicho Matsumoto, (surnommé en Europe le « Simenon japonais », formule réductrice mais pas totalement fausse), pour une série de cinq projets communs, dont ce CASTLE OF SAND, dont la traduction française du livre donne LE VASE DE SABLE.
Un cadavre est retrouvé à Tokyo, celui d’un ancien policier retraité vivant dans une région éloignée, et deux enquêteurs vont alors parcourir de nombreux kilomètres pour reconstituer un puzzle complexe à l’origine du crime, au centre duquel un pianiste de grande renommée joue un rôle essentiel.
Le film joue à fond sur la sobriété et le souci de véracité, laissant de côté toute fantaisie pour présenter des enquêteurs d’une banalité totale évoluant dans une réalité sociale parfaitement présentée.
L’énigme policière est importante, mais la description d’un univers donné et d’une destinée l’est encore plus.Nomura choisit avec raison de rester fidèle à l’esprit et à la lettre du roman originel, le passage à l’écran se révélant exemplaire. Car Matsumoto s’intéresse toujours largement autant aux motivations de ses personnages, coupables, victimes ou policiers, à leurs aspirations et leur place dans le milieu ou ils évoluent ou souhaitent évoluer, qu’à vraiment savoir qui a tué. Ainsi dans ce film, le meurtrier est rapidement percé, pour mieux lui donner de l’épaisseur et de la complexité et pour découvrir son passé, sous les yeux d’un inspecteur de plus en plus humain au fur et à mesure du déroulement du scénario qui fait cumuler tâtonnements, fausses pistes et tout l’ingrat travail d’investigation.
La caméra sait utiliser des gros plans révélateurs d’un visage expressif, ou au contraire isoler ses personnages dans un décor naturel vu au grand angle pour ajouter à sa fragilité et la précarité de sa condition. L’absence de glamour se révèle payante pour l’intérêt du spectateur, très vite pris par le rythme lent de ce polar à connotation sociologique et psychologique qui devient passionnant dés les premières minutes de projection.
La dernière partie du film, dévoilant les tenants et aboutissants de l’enquête, est d’une rare puissance émotionnelle. Le flic dévoile ses découvertes et ses conclusions devant ses collègues, pendant qu’un long flash-back bouleversant raconte l’enfance du pianiste et ses origines, scènes du passé appuyées par sa dernière et superbe création musicale. Ce final admirable amène au dénouement attendu, mais chacun en aura appris sur la nature humaine, à commencer par les deux enquêteurs très touchés par cette affaire hors du commun.
L’équipe d’acteurs très crédibles dans leurs rôles permet de retrouver des fidèles du cinéaste, et aussi des visages plus connus des occidentaux, comme Ken Ogata qui travaillera pour Peter Greenaway et sera surtout le MISHIMA de Paul Schraeder, et interprète en flash back la future victime du meurtre.
CASTLE OF SAND est une réussite complète qui dépasse très largement du cadre du polar pour explorer avec une grande acuité la société japonaise et, au-delà, nous entretenir de la condition humaine. Ou comment un cinéma authentiquement populaire et de divertissement s’avère d’une richesse et d’une profondeur constantes, à l’instar des bouquins de Matsumoto.
Quelque part entre Hector Malot et Simenon
Etrange objet que ce long film policier (2h15) qui fut, nous dit-on, l'un des plus grands succès du box-office japonais des années 1970. Le film est composé de deux parties strictement disctinctes. Après un très beau générique, la première partie (1h30) nous dépeint une fastidieuse enquête policière, qui n'échappe à l'ennui que par une admirable photographie et une mise en scène classique et de bon aloi (encore qu'y existent quelques scories des 70es comme ces panoramiques présentant le décor avant qu'un zoom avant brutal ne nous rapproche de l'action). Une fois le tueur trouvé, on bascule dans un étonnant flash back de 45 minutes, formellement plus audacieux et qui arrache littéralement des larmes. C'est peu dire que le début du film, qui rappelera certains films poussifs des Granier-Defferre, Robert Enrico ou Jacques Deray de la même époque, ne nous y avait pas préparé. L'avantage, c'est qu'on conserve une bonne impression finale de ce film au fond assez indigeste.