I am legend
La littérature thaïe est difficilement accessible ; la première difficulté en étant sa traduction. Langue difficile, de nombreux dialectes, de fortes et récentes évolutions et la tardive invention de son écriture (estimée - à ce jour – à environ huit siècles à partir de la dite première œuvre littéraire ‘’Traiphum Phra Ruang’’ par Phaya Lithai en 1345) font qu’une grande majorité de textes anciens restent à ce jour inédits en-dehors de son pays d’origine.
C’est à l’initiative du Prince Prem Pu-rachatra, que le peuple thaï à pris conscience de cette lacune. Ce membre royal s’était attelé dès son plus jeune âge à traduire quelques œuvres majeures en anglais et incitait ses contemporains à faire de même. Ses travaux ont remporté de succès importants – notamment en Angleterre – et ont fait découvrir des classiques thaïs à travers le monde. Parmi ses traductions, celle de ‘’Phra Aphaimani’’, œuvre maîtresse du poète Sunthorn Pu (1786-1855) en 30 000 vers.
Pu est parmi les écrivains les plus réputés de la Thaïlande, sa reconnaissance lui ayant même valu la construction d’un monument à son effigie (District de Klaeng).
La rédaction de ‘’Phra Aphaimani’’ lui aura pris plus de vingt ans. Inspiré après une visite sur l’île de Ko Samet et narrant les péripéties du prince Apai Mani, Sunthorn Pu s’inspire des grandes odyssées grecques ou romaines mêlant adroitement mythologie fabuleuse et légendes locales thaïlandaises. Accusé d’avoir bâclé son ouvrage (de par une fin abrupte) et de ne l’avoir écrit que dans un seul but commercial, force est de constater à sa lecture qu’il s’agit bel et bien d’un ouvrage majeur de la littérature mondiale. Les préjugés sont sans doute motivés par le mépris du fantastique par une intelligentsia littéraire réductive ; mais c’est totale injustice, la complexité et la structure narrative étant parfaitement maîtrisées. Pu fait même preuve d’une clairvoyance scientifique surprenante en prédisant – avec des décennies d’avance – l’invention de la mitrailleuse et des progrès maritimes et aéronautiques vérifiés depuis.
En s’attaquant à ce mastodonte de la littérature, le réalisateur Chalart Sriwanna ne relève donc pas le plus facile des paris et c’est sans doute plus le mega-succès de la trilogie du ‘’Seigneur des Anneaux’’, que son scénario adapté qui a dû motiver quelque producteur ; car l’adaptation est bien loin de l’original.
En vue de la longueur du matériel d’origine et de sa complexité narrative, impossible de ne pas effectuer de coupes, de resserrer l’intrigue ou de ne réaliser qu’une version partielle. D’ailleurs, a été réalisée une première version en 1976. Premier long métrage animé, sa conception avait mis plus de deux ans à se terminer dans de conditions extrêmement précaires. Son réalisateur, Payut, ne s’était attaché qu’à narrer les aventures que d’un seul des personnages du roman originel, celui de Sud Sakorn, fils d’Apai Mani et de la sirène.
Sriwanna décide de s’attaquer au premier quart du roman (la suite est PA-SIONNANTE, mais bien trop longue à résumer ici) en puisant également des éléments ultérieurs, afin de pouvoir lier les premières aventures d’Apai Mani et de son frère. Il n’hésite pas à changer quelques éléments pour fluidifier l’intrigue, la rendre plus ‘’cinématographique’’ et de pouvoir conclure. Si Sunthorn Pu est accusé d’avoir bâclé sa fin, que dire de Sriwanna qui envoie son générique de fin au moment le plus inattendu et qui ne laisse que peu de place à une éventuelle suite telle qu’advenant dans le roman originel ?
Si le parti pris de réduire l’intrigue était du moins réaliste en vue de la longueur finale du métrage (88 mn), Sriwanna n’arrive pourtant pas à un équilibre satisfaisant. Trop – ou trop peu – est abordé et désarçonne tout spectateur ne connaissant le matériel originel. Si le début se focalise sur les deux frères, le personnage de Sri Suwan et de ses trois compagnons de route – pourtant tous quatre bien introduits en début de film – sont tout simplement évincés au profit des aventures d’Apai Mani. Ils auront effectivement une plus grande importance dans la suite du roman originel, mais Sriwanna aurait dû réduire leur temps d’exposition accordé dans la première partie du film.
Si le travail d’adaptation n’est donc pas des plus heureuses, Sriwanna ne dispose surtout pas de moyens nécessaires quant à une fidèle réalisation : manquant cruellement d’argent, ce sont avant tout les effets spéciaux qui en pâtissent. Absolument primordiaux, ils ramènent directement cinquante ans en arrière et renvoient aux grands classiques, tels que ‘’Jason et les Argonautes’’ ou ‘’Le Voyage extraordinaire de Sinbad’’, le génie de Ray Harryhausen en moins. Ou – plus proches de nous – l’adaptation des Shaw Brothers en quatre films de la légende chinoise du ‘’Roi Singe’’ dans les années ‘60s(‘’Monkey Goes West’’, ‘’Princess Iron Fan’’ ‘’Land of Many Perfums’’, ‘’Cave of Silken Web’’). Goût suranné particulièrement appuyé lors des longues passages mettant en scène la géante et tranchant singulièrement avec quelques effets spéciaux en images de synthèse plus modernes lors des combats.
Scènes d’affrontement honnêtement réalisés, ne manquant pas de violence, mais où des figurants en arrière-plan sont parfois bien passifs (se pensant sans doute hors champ à ces moments là). Sriwanna se permet même une incursion dans les chorégraphies câblés, malheureusement bien trop visibles.
Les acteurs ne sont pas très bons, peu expressifs et déblatérant leur texte sans grande conviction. A noter la présence de Panadda Wongpude - Miss Thaïlande 2000 - dans le rôle de la sorcière / géante.
Malgré toutes les critiques émises, le film reste un pur divertissement, traversé par une certaine franchise à vouloir bien faire. Le charme suranné finit par prendre et l’on se surprend à vouloir en voir d’avantage lors de la fin bien trop abrupte.
(Publié pour la première fois en 2005 sur le forum du site HKCINEMAGIC)