Ghost Dog | 3.25 | Novateur et imaginatif |
Xavier Chanoine | 3 | Une belle et étrange réflexion sur le silence |
Ordell Robbie | 4 | Une entrée en matière fracassante |
Le Traquenard balaie aussi différents genres, et lorsqu'il ne s'expose pas à l'enquête policière pure et simple, rappelant parfois les polars arides japonais de la même époque avec son lot de crapules en chemisette et ses ouvriers suspects, il fait montre d'envolées fantastiques déstabilisantes, grisantes : l'utilisation de l'image spectrale est ainsi une belle réussite et est plutôt bien optimisée même si les limites des moyens sont là, le mineur et la jeune femme manipulée évitant tout contact charnel avec les humains malgré leur rage. N'oublions pas que sont des fantômes et qu'ils sont donc totalement transparents, ce qui implique quelques limites au niveau du scénario. Mais ne cherchons pas la petite bête, Le Traquenard est une parabole intéressante sur les faux-semblants, doublée d'une enquête policière qui tient la route, au final désenchanté évocateur d'un chaos ambiant et dont le spectateur reste désarmé du début à la fin, à l'image des âmes errantes. L'absence de communication, l'impossibilité d'agir pour faire avancer l'enquête et l'individualisme des habitants de la ville fantôme sont autant d'éléments frustrants que d'outils maîtrisés par un Teshigahara déjà important.
Avis avec SPOILERS
Dès leur première collaboration, Teshigahara Hiroshi et Abe Kobo livrent déjà un bel OVNI cinématographique. Car the Pitfall est à la fois une satire sociale, un polar, un film fantastique et un sommet de l’absurde. Et c’est ce mélange réussi des genres qui fait que son hétérogénéité stylistique n’est pas préjudiciable au film. La mise en scène y alterne en effets plans distants et contemplatifs, gros plans sur des objets et des parties du corps, zooms créant le sursaut, caméras portées à l’aspect documentaire. Disons un petit mot d’un scénario tout sauf conventionnel : un déserteur postule pour un emploi à la mine et se retrouve tué suite à un traquenard organisé par un homme mystérieux en tenue de privé américain qui le suit en permanence; une femme assiste au meurtre et le « privé » la paye pour qu’elle donne comme signalement de l’assassin celui de l’assassiné.
Le récit, au lieu de basculer sur l’enquête policière classique, va avoir la formidable idée de montrer l’esprit du tué sa baladant au milieu des hommes sans qu’il puisse être vu ou entendu et spectateur passif de la poursuite du complot. D’un point de vue narratif, le potentiel de toutes les situations est exploité au maximum : un sosie du tué travaille effectivement à la mine, une autre victime du complot va se retrouver tuée et condamner à errer avec l’esprit du tué, les esprits errants commentent la complot se déroulant sous leurs yeux, échafaudent des hypothèses sur l’identité et le mobile de leurs assassins, essaient en vain de discuter avec les vivants pour essayer de trouver des explications. Chaque ressort dramatique potentiellement intéressant est ainsi utilisé. Il en résulte une œuvre imprévisible en permanence jusqu’à sa conclusion absurde. Parmi les éléments qui renforcent l’étrangeté, on a les plans d’animaux –une grenouille à la peau arrachée en gros plan- et d’enfant voyeur qui annoncent le cinéma de Kim Ki Duk et surtout le superbe score de Takemitsu Toru qui est pour beaucoup dans l’ambiance si particulière du film : accords glaçants, mortuaires et désincarnés, percussions prenantes, le score musical est un véritable personnage qui appuie sur l’étrangeté des situations et du film. Outre sa machination implacable, le film offre un regard sur la manière dont les déserteurs sont exploités au Japon et utilisés pour des travails miniers où ils risquent leur vie. La nature est filmée comme un lieu vide et désincarné se prêtant bien à une machination.
Le coup d’essai du tandem était déjà un coup de maître qui s’inscrivait parmi les premières œuvres les plus impressionnantes du cinéma japonais. On parle souvent du cinéma japonais récent comme d'un pourvoyeur d'OVNIS et de films barge mais c'est oublier que dans les années 60 un Suzuki, un Oshima ou un Teshigahara étaient déjà des pourvoyeurs de jamais vu. Les cinéastes récents s'inscrivent dés lors dans une tradition de l'imprévisible.