La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf
***ATTENTION SPOILERS***
"
Car quiconque s’élève sera abaissé; et celui qui s'abaisse sera élevé." (Lc 14,11)
Celui qui s'attend à un polar classique risque d'être déçu. En réalité, l'intrigue policière - d'ailleurs fort bien construite - sert simplement de trame à une réflexion bien plus large sur la vanité et les illusions humaines, sur l'orgueil, sur l'ambition désordonnée.
Une pluie sans fin est une fable, dont YU Guowei est l'antihéros. Enthousiaste responsable sécurité d'une aciérie de Chine populaire, celui-ci se voit mêlé à une enquête policière impliquant des salariés de son usine.
Bien qu'il dise le contraire à ses collègues après avoir été nommé "employé de l'année", cette affaire va le bercer d'illusions : YU va s'imaginer capable de la résoudre seul et se lance alors à la recherche du tueur en série, au nez et à la barbe du vieux flic qu'il prend pour un ringard.
Mais YU s'aveugle sur son propre compte. Il ne voit pas qu'il n'est qu'un petit responsable sécurité insignifiant d'une usine communiste non rentable et sans avenir, sur le point d'être démantelée par le gouvernement. Il fait fi des remontrances d'un flic qui lui rappelle qu'il y a une hiérarchie, et qu'il doit la respecter. Il n'en fait qu'à sa tête... il se monte le bourrichon...et ne va commettre que des catastrophes : entraîner son "disciple" dans la mort, pousser une prostituée/coiffeuse au suicide, tuer un innocent, passer 10 ans en prison.
Les personnages qui gravitent autour de lui ne valent pas beaucoup mieux. Yanzi, la prostituée suicidaire qui se fait passer dessus par les ouvriers de l'usine, se rêve coiffeuse dans la ville lumière de Hong-Kong qui s'apprête à redevenir chinoise (on est en 1997), au bras du flic autodidacte YU qui l'aura sauvée de sa triste condition.
Mais Yanzi n'est qu'une fille de joie parmi tant d'autres. Si toutes les filles de joie du continent pouvaient refaire leur vie incognito à Hong-Kong, cette pauvre ville croulerait sous la demande ! Alors évidemment, quand elle comprend que YU ne l'aime pas et se sert d'elle pour réaliser ses "rêves", elle retombe sur terre très violemment et, au comble du désespoir, en tire les conclusions qui s'imposent...
Même le vieux flic s'illusionne : il déteste la ville qu'il sert et se rêve retraité paisible dans son village natal. On le retrouvera agonisant à l'hospice.
La seule qui soit réaliste dans cette histoire, c'est la danseuse nocturne : lorsque YU vient lui présenter les résultats de son "enquête" en lui montrant la photo de "l'assassin", elle l'accueille avec un grand éclat de rire !
Entre deux événements climatiques exceptionnels (une pluie sans fin en 1997, une tempête de neige en 2008), tels deux parenthèses, cette sombre affaire de meurtres se résume à une bonne leçon de vie : reste à ta place et fais ce que tu as à faire, arrête de te croire plus malin que les autres.
En cela, ce film diffuse un message à l'exact opposé de celui de l'industrie cinématographique hollywoodienne, qui vend du rêve, des illusions et des idées subversives au monde entier. La sordide affaire Weinstein n'a fait que nous rappeler à la triste réalité : ce milieu pourri n'est composé que d'acteurs et d'actrices semi-prostitués prêts à coucher avec le plus repoussant producteur véreux pour "réussir".