Un pur moment de grâce, mais un John Woo difficile à d'accès
Avant de s'adonner aux polars classieux, John Woo baignait déjà dans le Wu xia et ici, le film opéra. Un style à des années lumières de celui qu'on lui connaît et suffisamment intéressant pour attirer toute personne curieuse dans l'âme n'ayant pas peur d'affronter pendant une heure quarante les histoires à l'eau de rose et de sang de deux tourtereaux marqués par la tournure que prend leur Empire. Car tout ce joyeux vacarme débute par une cérémonie d'épousailles interrompues par l'arrivée d'un clan adverse bien décidé à faire capituler l'Empereur, père de Chang Ping. Ne pouvant accepter que ses enfants puissent vivre dans le chaos, l'Empereur décide de leur donner la mort. Heureusement, la princesse Chang Ping survit de ses blessures et se fait alors enlever par un général et son fils qui projettent tous deux de la vendre plus tard afin de s'enrichir. Mise au courant, la princesse simule un suicide afin de se réfugier dans la montagne. Shih-Hsien, son promis, décide de mener sa petite enquête. L'on peut résumer ce film opéra à un vrai vaudeville teinté d'ambiances et de textures chinoises connaissant à cette époque un large succès. Oublions la comparaison/concurrence avec les films de la Shaw brothers, car hormis le joli travail réalisé par les décorateurs, n'ayant rien à envier aux meilleurs productions de Run Run Shaw, toute comparaison s'arrête à un stade purement visuel. Princesse Chang Ping c'est avant tout un film musical de part les voix extrêmement haut perchées des acteurs (tous issus du Young Phoenix Opera) et du ton employé particulièrement chantant.
Etant particulièrement friand des opéras chinois traditionnels, je savais à quoi m'attendre avant même de m'aventurer dans cet univers coloré et ostentatoire . Mais John Woo utilise suffisamment son talent de bon artisan de la mise en scène pour donner une certaine ampleur à son projet. Diriger pendant une heure quarante une troupe de comédiens (au sens propre du terme) pour le grand écran relève du défi dans la mesure où tout est "joué" comme au théâtre ou à l'opéra. Il ne faut donc pas voir son métrage en ayant au coin de sa tête l'idée de regarder un "film" à proprement parlé, mais plus un "spectacle", un "show" parfaitement ancré dans son époque et délibérément exagéré dans ses émotions. Il faut bien comprendre par là que chaque texte, parfaitement écrit, est chanté, nuancé et interprété par des petits génies de l'opéra. La performance, au-delà de l'aspect purement scénique, est à mettre à l'actif d'une vocale saisissante, mais contraignante voir particulièrement gênante pour le spectateur lambda 1) au cinéma Hongkongais et 2) aux opéras traditionnels. Saluons la beauté de certaines séquences, cadrées par un John Woo qui allait finalement atteindre son apogée dix ans plus tard. Le temps pour le cinéaste de nous raconter une histoire savoureuse, exigeante mais non dénuée de défauts, la faute à un premier quart d'heure délicat à appréhender. Si l'on réussit à passer "l'épreuve du premier quart d'heure", Princesse Chang Ping enchaîne les moments de grâce et les surprises, par l'intermédiaire de superbes plans et décors (l'extérieur du couvent dans les montagnes, le paradis) et d'une interprétation fidèle de l'opéra chinois traditionnel, qui aurait sonné encore plus juste si chanté et interprété en Mandarin. Une curiosité.
Dwing dwing dwing dwing dwing pong
C’est en voyant - entre autres - Princesse Chang Ping que l’on se rend compte du fossé culturel qui sépare l’Orient de l’Occident. L’opéra chinois a beau comporter de jolis costumes et de jolis décors, la déclamation extravagante de ses acteurs sur des textes exigeants (voix très aiguë, insistance sur les voyelles), les cymbales ponctuant chaque fin de phrase et le manque chronique d’action, même signé John Woo, risquent de faire fuir plus d’un novice au bout du premier quart d’heure. Les plus téméraires et les fans du maître des fusillades s’accrocheront, eux, à comprendre pourquoi ce dernier a déclaré que ce film était son préféré de l’ère pré-1986, et remarqueront sans doute le nombre et l’ampleur conséquent des ballets (ballets utilisés plus tard dans des œuvres très violentes comme Hard Boiled) ainsi que la prédominance de thèmes familiers comme l’honneur, la trahison ou l’amour. Côté mise en scène, c’est encore un peu pataud ; les 2 personnages principaux, à savoir la princesse et l’époux princier, ne ressortent vraiment du lot qu’au bout de 30 minutes, et certains zooms avant apparaissent plutôt maladroits.
Sur les 95 minutes parfois pénibles de cet opéra filmé, on retiendra surtout la scène chantée sous la neige entre nos deux tourtereaux tentant de recoller les morceaux de leur passion, de loin l’instant le plus magique et le plus enthousiasmant. Pendant un bref moment, on se retrouve hypnotisé devant l’écran, comme devant un mélodrame indien ou égyptien plein de couleurs. Cette scène justifie à elle seule que l'on range ce film au rayon des curiosités…
Pour les curieux/ses
Concernant l'avis de "White snake", plus haut : "Princesse Chang Ping" ne peut pas être estampillé comme nanar affligeant.
Car c'est une œuvre qui s'apprécie surtout en étant conscient que l'on va assister à un concept particulier et, à plus forte raison, appartenant à une tentative de modernisation (préservation ?) d'un art séculaire d'une tout autre culture.
Je ne suis aucunement et ne serrais jamais un réel connaisseur de théâtre asiatique, ce qui ne m'a pas empêché d'apprécier ce film-opéra.
Le fait que John Woo en soit le metteur en scène et les raisons du projet (expliqué dans les bonus vidéo et écrit de l'édition HK vidéo) m'ont poussé à tenter l'expérience.
"Princesse Chang Ping" m'a fait penser" à un passage de "Prodigal Son" de Samo Hung, celui voyant Yuen Biao (un "fils à papa" prétentieux) allez provoquer Lam Ching Ying (un artiste de troupe d'opéra incarnant un rôle de femme sur scène) alors en pleine répétition.
Vous y verrez, je pense, un condensé succinct mais suffisamment parlant de certaines particularités liées au language corporel et vocal de ce type d'opéra.
14 septembre 2020
par
A-b-a
^_^ Ridicule ! Affligeant ! Chef d'oeuvre de ringardise ?
Je ne sais pas comment appréhendé ce film. J'ai rarement autant ris mais je suis persuadé que ce n'était pas le but premier du film. On en parle comme d'un mélodrame alors que pour moi, les seules larmes qu'engendre le film sont celles que provoquent ces coups de symbales à trois secondes d'intervalles ( ? ), ces répliques censées être mélodieuses ( pour un occidental cela ressemble à un chat qu'on égorge ), une interprétation théatrale surjouée ( une réplique = une grimace ), quant à l'histoire aux décors et aux costumes, c'est sans commentaire. C'est nul, pourrie, tout ce que vous voulez mais c'est aussi le meilleur moyen de se marrer ! Un de mes nanars favoris !
De l'Opéra...du Scope...du John Woo...
Et du réussi, à mon avis...Quelle est la part, dans la durable fascination qu'exerce sur moi ce film, de l'exotisme sans aucun doute violent de ces chinois chamarrés en soie chatoyantes, tournicotant avec d'adorables affêteries leur interminables manches, tout en parlant-chantant sur fond de tsim-boing-boing les affres déchirantes du choix tragique quoiqu'un rien conventionnel entre amour et devoir ? Impossible de répondre sans posséder une culture plus approfondie du genre,l'opéra chinois, et de ses avatars cinématographique...ce qui me fait justement défaut.
Mais, à ne considérer que ce film, comment ne pas tomber sous le charme de ces acteurs, de ces décors à la tranquille joliesse artificielle, de cette musique présente longtemps encore après avoir gravi les marches du ciné (heureux choix du cycle John Woo qui tourne maintenant depuis quelques années d'avoir inclu ce film,et si je tape cette critique , c'est bien pour inciter ceux là qui se méfieraient comme je me méfiais de tenter le coup, de sacrifier une dixième vision de Hard Boiled à une seule séance de Chang-Ping), de ce cinémascope ahurissant d'équilibre et de beauté plastique, dont l'usage et la maîtrise suffit à briser la frontalité théatrale de la représentation pour transformer du théatre filmé en pur cinéma, des mouvements fluides de caméras ajoutant au ballet de acteurs celui de la mise en scène?
C'était un sujet pour John Woo, et l'occasion de se rendre compte, une fois de plus, de son talent de "sublimateur". Sa réponse à l'art surement ultra codifié de l'opéra chinois n'est pas d'introduire du "naturalisme", mais de sublimer les contraintes et convention d'un art scénique par les techniques de l'artifice cinématographique, affichés comme tels. Le miracle, qui sera celui des chefsd'oeuvres de sa période "classique" : ça marche, on est ému, on en chialerait tellement c'est beau.
Un mot pour finir, évitez à tout prix l'immonde vcd qui, passé le générique RECADRE en 4/3 et flingue absolument le film, rendu de toute façon incompréhensible par les s-titres débordants généreusement des deux cotés de l'écran...
Ronan
19 février 2003
par
Ronan
Shadows Of Autumn
John Woo, c'est connu et vérifié, est un adepte du mélodrame. Avant d'exprimer magnifiquement ce dernier à coup de gunfights et d'envolées lyriques, il s'adonna le temps d'un film à l'Opéra tragique (genre qui regroupe ses thèmes de prédilection), et cela avec sa maestria habituelle.
On reconnait "ici et là" quelques-uns des effets favoris de l'homme, qui feront plus tard son inimitable style (travellings, sens aigü de l'émotivité des protagonistes....) mais là n'est pas, je pense, l'essentiel de l'oeuvre.
La mise en scène, belle et stylée, s'effaceant au profit de ses interprètes (la Troupe du "Young Phoenix Opera Group"), cherchant à magnifier chacuns de leurs gestes et parôles (Woo aime rendre ses personnages beaux, comme il le dit lui-même) sans s'automagnifier. Le réalisateur ne cherche dès lors pas à prendre le dessus ou à créer un axe commun entre son travail et l'ensemble, il laisse la magie opérer et vivre par elle-même, bercée par le talent des interprêtes et l'imagerie théâtrale qui découle du genre (magnifique duo féminin, car oui l'Amant s'avère joué par une femme, au phrasé et à la gestuelle remarquables). L'exemple type de l'effacement de l'artiste face à son sujet (bien qu'il soit possible d'argumenter sur le fait que John Woo n'était pas à cette époque ce qu'il est devenu plus tard).
Ainsi, "Princess Chang Ping" n'apparait aucunement comme du John Woo que l'on pourrait qualifier d'habituel, même pré 80s (sa "Dernière Chevalerie" de 1978 ou son "Hand of Death" de 1976, bien qu'à moindre mesure pour ce dernier, n'allant pas dans ce dit sens d'effacement), où les effets stylistiques côtoient et soulignent le lyrisme des héros, où la caméra joue littéralement avec les corps.
En définitive, ni un film totalement wooien, ni un opéra chinois traditionnel (beaucoup plus lent et moins grandiose), mais tout simplement une oeuvre orchestré par un metteur en scène soucieux de la rendre belle (à ce titre les décors et costumes touchent au sublime), crédible, dramatique, flamboyante.