Un film somme des obsessions imamuriennes
Après le Pornographe et l'Evaporation d'un homme, Profonds désirs des dieux (1968) est le troisième film des productions indépendantes Imamura. L'échec de cette oeuvre ambitieuse (2h50) conduira au semi-oubli des années 1970, marqué par de nombreux films documentaires, avant le spectaculaire rétablissement de la Vengeance est à moi (1979) puis les chefs d'oeuvre des années 1980.
Profonds désirs des Dieux est vraiment un film exceptionnel, somme de toutes les obsessions d'Imamura. Le pitch est relativement simple : une île de pêcheurs misérables, qui a abandonné ses traditions (la riziculture) pour profiter du développement (la canne à sucre). La sécheresse qui paralyse l'île conduit à un dilemme entre recours à la technique (un ingénieur, envoyé de Tokyo) et la culture (en appeler aux Dieux immémoriaux). Au milieu de cette communauté assez originale, une famille particulièrement tordue. Le grand-père est incestueux ; sa fille, prêtresse traditionnelle, a été vendue comme concubine au chef de l'île ; son fils essaie de creuser un trou pour enfouir un monstrueux rocher déposé par un raz de marée ; la petite fille est simplette et nymphomane ; le petit-fils est le seul à peu près équilibré. J'oubliais : le fils est entrâvé de chaînes pour cause de braconnage (pêche à l'explosif) et est passionnément amoureux de sa soeur (non sans être soupçonné de toucher sa fille aussi à l'occasion...).
On retrouve donc toutes les obsessions d'Imamura : le sexe comme élan vital qui ne mérite aucun interdit de classe ou de sang (l'inceste du frère et de la soeur; la liaison de l'ingénieur et de la simplette); l'opposition entre le peuple doté d'une nature saine, vulgaire et paillarde et les élites ankylosées; la culture et la nature; la technique et les traditions païennes... Le film nous présente tous ces thèmes avec aisance, avec ce fil narratif très relâché qu'affectionne Imamura (le rythme rappelle Dr Akagi ou Eijanaika ; les thématiques sont très, très proche de la Ballade de Narayama, auquel il ressemble beaucoup, la dimension tragique en moins). On y trouve aussi quelques plans sublimes (on sent qu'Imamura a adoré filmer cette île) et sans doute les plus belles images d'insectes, de minéraux et de végétaux que le grand entomologistenous ait données.
La conclusion du film (la fuite des deux amants en pirogue) touche carrément au sublime.
Black Hole Sun
Version de 2h55:
"Profonds désirs des Dieux "est le troisième – et dernier - chef-d'œuvre d'Imamura dans sa carrière. Une œuvre sommet, fruit de toutes ses obsessions et réflexions. Tout ce qui viendra par la suite ne sera que répétition de ce qu'il avait déjà fait. En bien – mais jamais aussi définitif, que celui-ci.
"Profonds Désirs" et l'œuvre sommet de la fascination d'Imamura pour les racines japonaises ("La Femme Insecte" étant celui de l'homme/femme face à l'Histoire et "Evaporation de l'homme" de sa quête d'entremêler fiction et réalité).
Inspiré de "Chronique du soleil à la fin de l'ère Edo", co-écrit avec son réalisateur mentor Yuzo Kawashima, puis peaufiné dans sa pièce de théâtre "Paraji" (Consanguinité, Dieux et cochons"), "Profonds…" est le résultat de sa fructueuse collaboration avec le scénariste Keiji Hasebe. Ce dernier avait motivé Imamura à "creuser" l'origine de ses personnages – et donc de l'humain lui-même. Se documentant sur les origines (mythiques) des japonais – et notamment les peuples Ryukyus – Imamura livre donc sa propre interprétation du temps des origines. Sur une île isolée du reste du Japon et – pour l'instant – préservée de toute capitalisation, survit une petite communauté toujours profondément ancrée dans al tradition et les croyances passées; mais déjà les premières brèches apparaissent à al surface: l'arrivée d'un architecte pour "moderniser" leurs installations primaires pour al culture du sucre de canne est une bénédiction; et les dollars apparaissent littéralement dans les yeux du chef de village, quand le citadin est nommé "chef de tourisme". Les dernières heures de l'île paradisiaque ont sonné, bientôt la forêt vierge de toute perversion humaine fera place au bitume des pistes d'atterrissage d'un aéroport touristique.
Le choc des cultures aura irrémédiablement lieu: l'architecte, "vomissant ses tripes" à son arrivée sur l'île en extériorisation de son parfait rejet du lieu au premier abord va petit à petit trouver ses marques, s'accoutumer à l'eau "salée", endurer la chaleur et trouver du bonheur dans une passion charnelle illimitée dans les bras dune "enfant bâtarde", résultat d'une relation incestueuse entre frère et sœur. Rien n'arrêtera pourtant le progrès, ni même les nombreuses mises en garde des divinités célestes. La modernité fera son entrée sous couvert de l'argent (le vieux conteur prend désormais quelques centimes pour chacune de ses chansons) et du coca-cola (une énorme pancarte gâche le paysage de l'île et les passagers sont accueillis par des vendeurs de la boisson gazeuse). Pourtant, les divinités demeurent; telles les superstitions tenaces du feng shui ou des nombreux autels toujours érigés dans les grands centres nippons pour rendre ne serait-ce qu'un discret hommage aux Dieux. Telle Toriko courant le long des rails pour toujours garder une longueur d'avance sur les machines inventées par l'homme.
"Profonds désirs…" est un film qu'il faut vivre. Une expérience unique, auquel le cinéma de Kusturica doit tout. Une incroyable œuvre ambitieuse du plus naturaliste de tous les réalisateurs. L'expression de tout ce que Imamura avait à dire. Grandiose.