Mode d'emploi pour la réunification d'un pays divisé
Il fallait certainement beaucoup de courage pour oser réaliser un film qui présente des communistes comme des êtres humains dotés eux-aussi de sentiments. L'histoire se présente comme une sorte de métaphore de la situation coréenne durant la guerre, en prenant pour idée de départ la cohabitation pas très aisée entre deux familles, qui vont par la suite chacune prendre parti dans le conflit, ce qui provoque alors, comme on peut s'en douter, une situation explosive. Ce qui est très intéressant, c'est de constater que ces familles ne rejoignent leur camp non pas par affinités aux idéologies capitalistes ou communistes, qui les dépassent complètement, mais plutôt afin de soutenir leurs fils, très impliqués dans les combats. De même, les villageois accueillent à bras ouverts aussi bien les troupes nord-coréennes que les forces du sud. Même s'il faut bien reconnaître que lorsque les soldats communistes repartent du village, ils y laissent quand même de nombreux cadavres...
N'empêche qu'on est bien loin des œuvres de propagande, on ne ressent pas trop de parti pris, et le sujet principal du film reste la division sociale. Première victime de cette rupture, et même carrément personnage principal du film, puisqu'il représente le seul vrai lien entre les deux familles, l'enfant ne se soucie que de pouvoir jouer librement dehors. Il ne comprend pas que ses deux oncles puissent appartenir à deux camps opposés se livrant une guerre terrible, et encore moins les enjeux politiques, ce qui l'amène à mettre en danger sa famille et à se faire priver de sortie. L'histoire est vue presque entièrement par ses yeux, ainsi le film s'ouvre sur lui et finit avec lui, dans une très belle scène finale. Yu Hyun-Mok résout ce conflit interne en proposant la réunification entre les deux familles, et du pays, grâce à ce qu'ils partagent de profondément coréen, comme ici le chamanisme. Parfaitement maîtrisée de bout en bout, cette œuvre est assurément un indispensable de la filmographie sud-coréenne.
Très bon traitement du sujet, surtout pour l'époque
Arriver à parler du communisme sans le caricaturer et le diaboliser à mort, en 1979, ce n'est vraiment pas courant. Mais c'est ce qu'arrive à faire Yu Hyun-Mok, en mettant en scène l'histoire de deux familles, vivant sous le même toit, qui voient leur fils entrer dans l'armée au cours de la guerre de Corée, mais pas dans le même camp. Alors que leur amitié est forte au début, qu'ils font même parti de la même famille puisque l'un a épousé la soeur de l'autre, l'idéologie vient à bout de leur relation, ce qui crée la scission entre les deux familles, qui ne restent liés jusqu'à la fin par le fils de l'union entre les deux familles. Ainsi, bien avant JSA et Welcome to Dongmakgol, Yu Hyun-Mok montre la cohabitation temporaire entre les deux idéologies coréennes opposées, dans une sorte de boite, dans laquelle les règles extérieures ne s'appliquent plus. Il intègre également énormément d'idées religieuses, via le shamanisme, qui dépasse également la barrière idéologique entre le nord et le sud. Bien interprété, souffrant en outre de quelques longueurs, on a quand même du plaisir à voir que même sous le dure répression politique de la dictature, il était possible de parler objectivement du clivage nord-sud, et de ne pas diaboliser vainement les communistes qui sont fatalement humains eux aussi. Il rappelle en ce sens le film plus récent Les Partisans du Sud qui, sans être réalisé dans une période tout à fait libre question censure, dépeignait avec beaucoup d'humanité une troupe de communistes.
20 janvier 2007
par
Elise
Ceux qui ne sont jamais revenus
Durant la seconde période de sa filmographie, le réalisateur Yu Hyng-mok s'est davantage consacré à l'âme humaine. N'abandonnant ses thèmes de prédilection que sont la religion (une nouvelle fois abordée ici à travers le chamanisme) et le terrible conflit qu'oppose le Nord au Sud de la Corée, il signe un autre brûlot politique. Il ne faut pas oublier la période à laquelle ce film a été tourné, soit en tout début d'un nouveau régime militaire dictatorial fort répressif; même si le fort ressentiment anti-communiste avait tout pour plaire aux autorités de l'époque, la rage avec laquelle Yu s'éprend du thème devait certainement lui avoir causé certains démêlés à l'époque. Plus d'une scène restera gravé à tout jamais dans les mémoires de tout cinéphile, dont une terrible mise à mort d'un homme en le gavant d'alcool ou celle du jeune héros, qui tue les gens du village l'ayant côtoyé et/ou vu grandir avec une lance de bambou pour témoigner de son dévouement militaire.
La séquence finale est une scène d'un incroyable onirisme que n'aurait pas renié Shohei Imamura sur son segment de "11:09:01" – d'ailleurs les deux hommes ont été proches par le passé. Un autre incroyable tour de force par l'un des maîtres incontestés du cinéma coréen injustement méconnu.