Je me suis pris une vraie baffe en regardant Rebellion, tant ce film frôle la perfection à tous les niveaux. La narration tout d’abord, d’une limpidité telle qu’il semble facile et évident de faire du Cinéma, sait captiver l’attention en développant de manière crescendo la tension, une tension palpable et ébouriffante qui atteint son apogée lors d’un final à couper le souffle : on frissonne quand Sasahara (Toshiro Mifune), samouraï talentueux à la retraite qui a toujours été dominé par sa mégère de femme, élève la voix pour la première fois en traitant son fils d’imbécile qui ne doit pas rendre sa femme au Suzerain sous prétexte que c’est le règlement, quitte à provoquer la ruine de la maison ; on trépigne en voyant débarquer à grands pas dans son fief les émissaires du Chambellan, furieux et outrés de la résistance de cette famille à la volonté gouvernementale ; on s’esclaffe en contemplant Tatewaki (Tatsuya Nakadai) renvoyer dans les cordes le Chambellan qui lui demande de se débarrasser de Sasahara et de son fils. La force de toutes ces scènes est encore tirée vers le haut par une mise en scène et des cadrages impeccables, une interprétation grave et musclée dominée par 2 monuments du Cinéma Japonais, et surtout des dialogues ciselés dont chaque mot, précis et soupesé, tranche comme la lame d’un sabre.
Cette résistance héroïque face à l’ordre établi et à cette société procédurière, hiérarchisée d’une telle force que des décisions égoïstes et inacceptables peuvent être prises sans que personne ne les remettent en cause (le début du fascisme ?) est salvatrice, tant elle fait appel aux valeurs profondément humaines de chacun, et de l’âme nippone en particulier : l’honneur, la justice, le sacrifice de soi pour une cause noble. La voie du samouraï est ici magnifiée même si elle s’oppose à ses traditions séculaires : l’ordre, l’obéissance, et même le seppuku qui est rejeté d’un revers de la main (l’Honneur est plus justement défendu si l’on combat que si l’on se donne la mort…). Un film révolutionnaire et tout à fait incontournable de l’âge d’or nippon.
Avec Rebellion, Kobayashi continue magnifiquement son attaque contre les valeurs japonaises traditionnelles entamée dans la Condition de l'Homme et Hara Kiri. Rebellion critique violemment la notion japonaise de sacrifice au groupe et à l'intérêt national. Isaburo s'est élevé au sommet par ses seuls talents au sabre et son sens du sacrifice. Mais, dès que le seigneur essaiera de lui confisquer sa belle fille, il se rendra compte de la vanité de son existence : il n'a jamais accompli d'acte véritablement individuel et celui pour qui il s'est sacrifié veut disloquer sa structure familiale. La rebellion d'Isaburo est le seul moyen pour lui que sa vie ait un sens car, à l'instar du héros de la condition de l'homme, il s'élève contre des valeurs qui aboutissent en pratique à des situations d'une grande barbarie : le hara kiri est aussi cruel que l'obligation de mourir en kamikaze, l'obéissance absolue au chef conduit aux pires dérives dictatoriales et à une volonté inadmissible de régenter la vie privée de ses sujets. Le final montera la difficulté d'un être seul à s'opposer à l'injustice (thème déjà présent dans condition de l'homme).
Le film confirme la capacité du scénariste Shinobu Hasimoto à confectionner des récits capables de transcender les enjeux du cinéma de sabre : il avait co-écrit les 7 samourais ainsi qu'écrit 1 an auparavant un Sword of Doom déjà avec Mifune et Nakadai qui anticipait par certains de ses aspects le cinéma de Chang Cheh. Le final de Rebellion où Isaburo libère sa rage contenue durant tout le film fait écho à celui de Sword of Doom.
Comme à chaque fois qu'ils sont réunis à l'écran (Sword of Doom, Sanjuro), le tandem Mifune/ Nakadai fait des étincelles : Mifune est formidable de haine contenue face à un Nakadai incarnant la soumission froide à l'ordre établi.
Quant à la réalisation, elle intègre les acquis de la tendance réaliste du film de sabre de l'époque tout en ne faisant pas table rase des acquis kurosawaiens : si les zooms, les arrets sur image, les cadrages rapprochés, les caméras pivotant rapidement d'un personnage à l'autre expriment magnifiquement les haines et les frustrations des personnages, Kobayashi n'oublie pas de cadrer ses intérieurs comme une scène de théatre à l'instar du maitre. La mise en scène des combats qui crée magnifiquement la durée dans les confrontations ainsi que leur résolution très brève nous rappellent que le chambara n'est jamais que le cousin nippon du western. A l'instar de Ford et Hawks pour le western, les grands cinéastes japonais (Kurosawa, Kobayashi) ont utlisé le film de sabre pour proposer leur vision de l'existence et des valeurs fondatrices de leur nation. De par son charisme et son coté proche du Japon rural, Mifune a pu occuper dans le genre une place qui n'est pas sans rappeler celle de John Wayne dans le western.
Yoko Tsukasa y incarne une vibrante jeune épouse qui, si elle est condamnée à être un objet balloté, n'en garde pas moins une féroce indépendance qui scelle son amour avec force. Coincé entre le suzerain et sa cours, la famille peu compréhensive et une hiérarchie totalement hermétique aux sentiments, Toshiro Mifune lui ne désire plus qu'une chose, vivre ou tout du moins penser librement et faire éclater son coeur trop longtemps resté endormi, autant pour permettre à son fils et à l'amour qu'il porte pour sa jeune femme de s'affirmer avec force que pour lui-même, samouraï émérite n'ayant toujours combattu que pour les autres, de combattre enfin pour de bonnes raisons, quitte à porter ses convictions jusqu'à Edo si il le faut avec sa petite fille, et affronter le gardien de la frontière, Tatsuya Nakadai, son frère mais aussi son penchant soumis. Il s'agit bien de libérer son fils du joug féodal dirigiste pour qu'il évite de mener la même vie de servitude, mais aussi pour lui-même de libérer enfin sa conscience quitte à ruiner sa famille. Il s'agit aussi de dénoncer la pratique déshonorante du Hara Kiri avec splendeur et d'appuyer la notion de sacrifice dans ce qu'elle a de plus noble (quel final !).
Premier film coproduit par Mifune lui-même et tourné dans ses propres studios, on sent le grand monsieur très engagé dans ce drame historique et partout à la fois, aussi à l'aise en grand père attentif, père compréhensif que guerrier insoumis. Il reste une lenteur statique obligée et quelques dialogues qui peuvent friser la répétition et lèser un chouilla la grandeur de la chose mais bon, c'est du détail, en bref, de la bonne grosse claque.
Précision comique : Nakadai qui avoue tout sourire avoir été bien pinté le jour du duel final, tout comme Mifune qui lui aussi aimait chopiner. Chapeau les artistes !
L'art de Kobayashi est de constamment renouveler son travail formel, jusqu'à en tirer le nectar suprême. L'impressionnante maîtrise visuelle atteint donc son apogée avec Rebellion, grand film tragique sur le chantage et l'insoumission durant l'ère Edo confrontant deux clans, dont un aux méthodes vite expéditives (demande d'Hara-Kiri puis demande d'exile). Apogée stylistique évidente, Kobayashi multiplie les techniques de mise en scène pour rendre son oeuvre à la fois audacieuse et haletante, n'en déplaise à certains mais Rebellion est un film extrêmement exigeant et il fallait quelques grands moments de cinéma pour sauver l'ensemble de l'ennuie le plus total. La première heure est ainsi délicate, longue et ténébreuse, instaurant un climat étouffant au fur et à mesure que les langues se délient et que Isaburo se durcit dans ses positions. La mise en scène est aussi à l'image des protagonistes. Lorsque le chambellan lit une lettre envoyée par Isaburo, la lumière s'éteint, un spot lumineux braque le lecteur, une technique déjà utilisée par Kobayashi notamment dans le chef d'oeuvre du drame guerrier La condition de l'homme pour accentuer davantage cette tension, cette solitude au moment même de l'action.
Et Kobayashi réalise le sans-faute du point de vue formel, alternant les travellings, ouverture d'un autre décor au second champ, zooms d'une violence inouïe lorsque la cocotte-minute est prête à exploser, gros plans Leoniens pour capter -une fois de plus- la tension, le cinéaste étonne et réveille car la première partie fut longue, presque ennuyeuse. En revanche, rien à redire sur ce qui se passe par la suite, c'est juste du grand cinéma. Confrontation Mifune/Mishima par la parole à tomber par terre (pendant que Dame Ichi est prise en otage), prémices d'une séquence barbare opposant Mifune à une armée de samouraïs, et duel final tout simplement anthologique, aussi brutal et surprenant que celui de Sanjuro à un degré bien sûr différent. Le code d'honneur à son paroxysme puisque cinq minutes avant, Nakadai portait délicatement dans ses bras l'enfant de son duelliste à mort.