Akira, un vert, un vrai!
Je connaissais Kurosawa pour son humanisme et sa passion pour la peinture, mais je ne connaissais pas le Maître comme un fervent défenseur de la nature. Très âgé, il dépose les sabres (Ran étant son dernier Chambara) pour cueillir des fleurs. Rêves est un jardin plein de fantaisies fait de 8 sketchs ayant tous pour thème la protection de notre Terre.
"Soleil sous la pluie" est une petite histoire sur le mariage des dieux renards, le jour où la pluie et le soleil se cotoient. Sensible, court et plein de magie, il fait office de prologue.
Le verger aux pêchers narre l'histoire d'un petit enfant appelé par les âmes des pêchers détruits. Les ames sont représentées comme des êtres humains élégament habillés proposant une magnifique danse au petit garçon.
La tempête de neige est sûrement le sketch le plus terrifiant. Une poignée d'alpinistes se retrouve perdu dans une montagne. La mort approchant, une déesse vient à leur aide. Aveuglant, étouffant, la neige envahit littéralement l'écran (la représentation graphique est hallucinante).
Le tunnel est un vibrant coup de gueule à l'horreur qu'est la guerre. Un soldat rentre de bataille quand à la sortie du tunnel, il se retrouve nez à nez avec ses anciens soldats revenus d'entre les morts. Glaçant.
Les corbeaux est une déclaration incroyable à la peinture et surtout à Van Gogh, dont Kurosawa rend un véritable hommage en faisant pénétrer le personnage principal de cette histoire dans diverses toiles du peintre (interprêté par Martin Scorsese, c'est à souligner). Incroyablement esthétique, d'une beauté renversante, sûrement le sketch le plus impensable.
Le Mont Fuji en rouge installe un climat apocalyptique avec des villageois quittant les lieux à cause de l'éruption du Mont Fuji. Un homme, un chercheur, une femme et ses enfants se retrouvent alors seuls sur les lieux bientôt contaminés par les radiations. Une critique de la catastrophe de Tchernobyl, qui rappelons le a tout de même fait des dégâts monumentaux en 1986.
Le démon rugissant met en scène un homme perdu au beau milieu de montagnes desertiques. Ce dernier rencontre un "démon" se plaignant des ravages des bombes. Subsistent ça et là quelques fleurs et autres gigantesques pissenlits. Surréaliste.
Le village des moulins à eau ferme le bal par un récit nostalgique d'un viellard racontant à un touriste que la société japonaise n'est plus ce qu'elle était que ce soit au niveau humain ou naturel.
Voilà de quoi est fait ce sublime poème signé Kurosawa. Un joli pied de nez aux destructeurs de la nature, à ceux qui ne respectent plus rien dans la société. Réalisé avec un incroyable soin (certains plans sont parmis les plus beau que j'ai pu voir), teinté d'une poésie sans cesse contrée par les propos finalement graves, Rêves demeure un petit bijou de respect et de tolérance.
Mais n'était-ce seulement qu'un rêve?
Très beau et très (trop) contemplatif.
Les dialogues sont minimaux et n'existent que dans les "sketches" plus académiques qui semblent assez déconcertants et impromptus. Par exemple, le premier tableau, avec l'enfant, est très naïf ; "la tempête de neige" arrive vraiment à l'improviste (comme une tempête). "Le tunnel" n'offre rien de bien particulier, "le démon rugissant" est très très très lent. Pas d'histoire à proprement parler donc, mais une suite de puissantes métaphores sur l'homme et la nature.
Les tableaux sont inégaux en intensité et mes préférés sont sans conteste les plus visuels et surtout les plus lumineux : le dernier, le deuxième, "soleil sous la pluie", organisé tel un tableau vivant sur plusieurs strates et une ambiance nature au printemps et kabuki très paisible, et "les corbeaux", en fait tous sont d'une beauté graphique admirable. Mais bon, niveau rythme, faut être motivé.
pas un classique de Kurosawa mais un beau Kurosawa
Avec Reves, Kurosawa poursuit son attaque contre ce qu'est devenu le Japon durant les années 80 en rappelant ce qu'il a toujours aimé et défendu: le sens des choses vraies du Japon rural, la splendeur de la nature, la sensibilité de l'artiste, le refus de l'oubli des errements des leaders politiques japonais durant la seconde guerre mondiale et d'Hiroshima.
Les trois premiers sketches forment un bloc homogène sur la dénonciation des affronts faits par l'homme à la nature: l'enfant du soleil sous la pluie se voit sommé de se faire hara kiri car il a regardé la nature en voyeur violant son intimité, les parents du héros du verger aux pechers ont abattu des arbres, la tempete de neige bloque les alpinistes qui essaient de dominer la nature et s'arrete une fois qu'ils se décident à la respecter. Dans chacun de ces sketches, les forces incarnant la vision de Kurosawa prennent la forme de fantomes comme si l'Empereur était convaincu que les valeurs humanistes défendues par son oeuvre étaient piétinées par l'époque et n'avaient plus aucun sens pour les jeunes générations. A chaque fois, ce sont les fantomes révéillés par Kurosawa qui jouent le role de détonnateur de la prise de conscience et l'innocence de la jeunesse permettra à ses idéaux d'etre transmis. L'idée du fantome prend un ton plus grave dans le (magnifique et glaçant) sketche le tunnel: dans les autres sketches, les personnages voyant les fantomes n'avaient pas fauté en connaissance de cause. Ici, c'est une section fantome (avec un loup et des bruits de bottes évocateurs) qui demande des comptes à un capitaine rescapé qui les a envoyés au casse-pipe. Comme s'il voulait contrebalancer ce tableau réfrigérant, Kurosawa rend hommage à la peinture comme glorification de la beauté naturelle dans les corbeaux. Ce magnifique sketche projette le visiteur d'une exposition dans la France à l'époque d'un Van Gogh superbement joué par Martin Scorcese. Et le Kurosawa ancien peintre offre une belle leçon de vie: ce qui importe, ce n'est pas d'admirer l'artiste au travail (ce que fait le visteur qui s'attarde sur Van Gogh et son oreille coupée), c'est de regarder l'objet de son art, de l'avaler en soi pour ensuite le recracher à notre tour une fois sa beauté révélée. Cette idée se retrouve dans le superbe plan où le héros déambule dans les toiles de Van Gogh. Suit un dyptique sur le monde ravagé par le mal: le mont fuji en rouge montre un adulte responsable d'une catastrophe nucléaire fuir en irresponsable (Kurosawa s'y montre aussi doué pour filmer la foule paniquée que pour ses légendaires batailles), le démon rugissant nous projette dans le monde d'après la bombe devenu un enfer dantesque et une terre de mutations génétiques horribles des hommes et de la nature. Heureusement, l'humanisme triomphe in extremis dans le village des moulins à eau: le Japon rural chéri par le Maitre n'a pas alors une forme fantomatique mais celle bien réelle d'un centenaire heureux d'avoir refusé la modernité. La mort d'un homme ayant offert toute sa vie au service de la bonté et de l'effort est célébrée comme une fete. Là où les défilés de kabuki étaient fantomes au début du film, ils sont ici l'expression de la vie.
Que rajouter? Rien. Sinon que si Reves ne s'inscrit pas dans les classiques de Kurosawa du fait d'une réussite inégale des sketches: si le niveau d'ensemble est excellent, les quatre premiers sketches sont ceux où la Kurosawa's touch s'exprime le plus pleinement, de la théatralité des cadrages du soleil sous la pluie et du verger aux pechers aux brouillards de la tempete de neige et à l'ampleur des corbeaux, les autres sont globalement réalisés de façon un peu plus académique - si l'on excepte la panique des foules superbement rendue du mont fuji en rouge-. Mais qu'il s'agit malgré tout d'un moment de cinéma rare qui appartient au haut du panier du cinéma japonais des années 90.
Un moment de grâce dans un monde de brutes.
Kurosawa approche des 80 ans lorsqu'il réalise Rêves. Son dernier film, Ran, était le dernier
d'une longue et brillante série mettant en scène des samourais. Sentant sa vie en passe de se
terminer, il se lâche sur ses 3 derniers films, dont celui-ci. Et vu son âge avancé, il commence à
relativiser les choses, à prendre du recul sur la vie terrestre, et expose ainsi ses convictions
profondes pour un monde meilleur en 8 petites histoires d'un esthétisme à couper le souffle:
SOLEIL SOUS LA PLUIE
Cette histoire très courte fonctionne comme une sorte d'introduction. Guidé par une phrase de
sa mère lui apprenant que quand la pluie tombe alors que le soleil brille, c'est le moment
chosi par les renards pour se marier, un petit garçon s'aventure dans la forêt et assiste
au cortège (très inspiré par le théâtre traditionnel japonais, le Kabuki) caché derrière un arbre.
Mais il gêne l'intimité de ces pauvres bêtes qui, par le biais de sa mère, lui demandent de
s'ouvrir le ventre pour laver l'affront...
LE VERGER AUX PECHERS
Après les animaux, c'est au tour des arbres que Kurosawa rend hommage. Réunies en colloque sur
une colline composée de 4 étages, les âmes des pêchers abbatus convoquent le petit garçon dont
les parents sont responsables de ce massacre. Puisque le petit garçon n'y est pour rien, il
aura droit à une jolie danse... Deux idées intéressantes interviennent: tout d'abord, l'écologie
doit s'apprendre dès le plus jeune âge, il faut apprendre aux enfants à respecter la nature,
à leur rappeler qu'ils ne sont qu'un élément parmi d'autres, ce que s'emploient à faire les
âmes des pêchers. Ensuite, Kurosawa pointe du doigt la génération des 30-50 ans responsable
de la lente apocalypse de notre planète, et souligne positivement l'innocence des enfants
et la sagesse des anciens (dont il fait partie); ces derniers ont peut-être participé à ce
massacre collectif, mais ils en sont revenus depuis. On retrouve cette idée dans Rhapsodie en août.
LA TEMPETE DE NEIGE
Je considère ce court métrage assez hallucinatoire comme une transition entre l'hommage à la nature et le
traitement de problèmes beaucoup plus terre à terre. On est ici en présence de 4 alpinistes
qui galèrent en pleine tempête de neige. Mais comme ils sont respectueux de la nature, Dame
Nature leur viendra en aide et leur tiendra chaud pendant la nuit...
LE TUNNEL
Sans aucun doute le plus douloureux de tous les rêves. Un capitaine rentre de la guerre un
sac sur le dos et traverse un tunnel, tunnel qui va le faire replonger dans le passé. En effet,
à la sortie de ce tunnel, il va rencontrer un de ses soldats, du moins le squelette d'icelui.
Complètement désorienté, il ne sait même pas qu'il est mort et se réjouit de revoir ses parents.
La gorge nouée, le capitaine lui explique tout et le renvoie d'où il est venu. Mais il n'en
a pas fini avec les remords: c'est toute sa section (de squelettes!) qui se présente désormais pour lui
demander des comptes. Devant leur silence implacable, le capitaine se confond en excuse et
aboutit à la conclusion que la guerre est une absurdité et que jamais il n'aurait dû les envoyer
à la mort. Mais il fallait y penser avant...
LES CORBEAUX
Visitant une exposition de Van Gogh, un visiteur va être projeté en France plusieurs dizaines d'années
en arrière pour avoir le privilège de rencontrer le maître (interprêté par un méconnaissable
Martin Scorsese!). Une nouvelle ode à la nature et aux passe-temps nobles comme la peinture,
qui trouve son paroxysme lorsque le visiteur arpente chaque tableau de Van Gogh. C'est tout
simplement magnifique à voir.
LE MONT FUJI EN ROUGE
Deux cauchemars de suite à présent. Pour commencer, la vision apocalyptique d'un mont Fuji
rougeoyant par suite de l'explosion de centrales nucléaires aux alentours. La scène est
digne d'un film catastrophe à l'américaine, mais subitement il ne reste plus que 3 adultes
et 2 enfants baignant dans les fumées de Césium 137 et d'autres charmants atomes. L'un des
adultes est responsable de cette catastrophe (3 ans après Tchernobyl, tiens tiens...) et
a vite fait de se balancer dans le vide, laissant les 4 autres comme des âmes en peine!
LE DEMON RUGISSANT
On continue dans les choses pas gaies avec cette fois une Terre ravagée par les missiles
et les radiations, où vivent, en parfaite harmonie avec des pissenlis de 3 mètres de haut,
des démons cannibales au bord de la crise de nerfs ! Le long plan-séquence durant lequel
s'exprime le démon en guenilles est saisissant.
LE VILLAGE DES MOULINS A EAU
Heureusement, Kurosawa finit avec une note d'espoir en nous faisant visiter un petit village
tout droit sorti du moyen âge. Notre guide, un vieux monsieur de 103 ans en pleine forme,
regrette la voie que prend notre société, qui a perdu ses valeurs de tolérance et de respect
pour la nature. Suit ensuite un inoubliable cortège funéraire: on connaissait les joyeux
mariages du slave Kusturica, voici les joyeux enterrements de l'Empereur Kurosawa! Ce dernier
rêve est un pur moment de bonheur. Son réalisateur n'est ni rétrograde, ni has been, simplement
idéaliste et un peu naïf; peut-être même est-il conscient qu'il faudra bien un jour en revenir aux sources
si nous voulons continuer à vivre en paix sur cette planète. En attendant, on ne peut que
se courber devant tant de générosité, d'innocence et d'humaniste. Merci Monsieur Kurosawa
pour ces 2 heures d'enchantement et de nécessaire remise en cause de notre société.
Une succession de sketchs oniriques inégaux. J'ai bcp aimé Le Tunnel, j'ai trouvé le Corbeau original, et j'ai bien aimé Les démons gémissants. Globalement de bonnes histoires, écologistes, un peu trop long et contemplatifs néanmoins.
Tout est dans le titre
Ce n'est pas un film que je conseillerais forcément et je suis moi-même mitigé. Nous parlons ici d'un film à sketches et avec ce que cela implique ; à savoir une qualité inégale des dits sketches et cette arrière goût de plus visionner une compilation qu'une oeuvre. Cela étant dit, ce film est superbe... tout simplement. Bref, si vous aimez vous laisser porter par une beauté onirique, n'hésitez pas un instant. Dans le cas contraire, préférez-lui d'autres oeuvres du maître. Dans tous les cas il mérite d'être vu.
Le plus mauvais Kurosawa.
Pour moi la seule tache dans la carrière presque parfaite du maître japonais.
Bien sur, tout ça est très léché et le film est formellement splendide (Kurosawa n’a jamais été aussi proche d’un peintre que sur ce film) mais sinon quel ennui !
Le principal problème vient sans doute de la mauvaise idée de départ : filmer une succesion de rêves. A cause de cela Kurosawa se retrouve en face d’une difficulté insurmontable : La sucession de saynetes trop courtes ne laisse pas le temps aux spectateurs de s’interesser vraiment aux histoires racontées et aux personnages, sentiment multiplié par 1000 ici puisqu’on est en face de rêves donc de personnages fantaisistes.
Alors, que reste-t-il à Kurosawa ? Soigner la mise en image (coté particulièrement réussi du film, c’est vrai) et nous délivrer plusieurs message (sur la guerre, l’écologie, l’art...) d’une façon beaucoup trop didactique et simpliste pour convaincre (Mon Dieu, quelle succession de lieux communs, en particulier sur l’écologie !)
Reste le plaisir de revoir Chishu Ryu et l’amusement de découvrir Scorsese en Van Gogh... C’est bien peu...
Mouais... très lent, long, et à tendance un peu trop "artistique".
Mise à part un ou deux rêves, les autres histoires sont vraiment trop creuses pour être intéressantes. La poésie de certains est parfois un peu exagérée, la volonté de faire original s'est fait ressentir.
Selon moi, "Rêves" possède quelques bons points, mais rien qui de vraiment manifeste.
Que c'est bô.
"Rêves" est un Kurosawa que j'affectionne tout particulièrement. D'une part, le concept du "film à sketchs" permet ici au réalisateur de toucher à pas mal de ses thèmes de prédilection (rapport de l'homme à la nature, les regrets, etc...), en dénonçant au passage les horreurs de la guerre ("Le mont Fuji en rouge" ; "Le démon rugissant") et en se faisant la voix de la sagesse pour la jeune génération ("Soleil sous la pluie" ; "Le verger aux pêchés" ; "Le village des moulins à eau").
D'autre part, "Rêves" est une oeuvre d'art filmique, tant sa forme est travaillée. C'est bien simple, certains plans de "Rêves" sont parmi les plus beaux que j'ai pu voir dans un film : le petit garçon qui marche dans un champ fleuri avec en arrière plan un arc-en-ciel et les montagnes, dans "Soleil sous la pluie" ; ou encore les tableaux que traverse le personnage principal dans "Les corbeaux" (à noter dans ce "sketch" la présence de Martin Scorsese, incarnant Van Gogh).
Bref, Kurosawa confirme, après "Dodeskaden", "Kagemusha" et "Ran", son talent d'esthète et sa faculté à créer un climat onirique par le biais des images (les rêves étaient déjà présents dans "Dodeskaden" et "Kagemusha", là aussi avec des décors façon peintures qui rappellent le génie formel d'un "Kwaidan" de Kobayashi).
En résumé : à voir de toute urgence.
C'est beau....
Voici un genre avec lequel j'ai toujours du mal: le film à sketchs ! En effet, j'en ressors toujours avec l'impression d'avoir vu de bonnes choses, mais jamais un bon film...ce film (bien qu'il soit l'oeuvre du maître) n'échappe pas à la règle !
A voir pour la beauté hypnotique de certains plans....
18 octobre 2004
par
a woo
Enfin trouvé...
J'ai enfin réussi à mettre la main sur ce film hyper rare... en plus au cinéma (Strasbourg).
Il s'avère que le 8 court-métrages sont de qualités inégales.
Mais le film respire tout de même la beauté, la poésie...
Mes préférés des 8 sont le sketches en hommage à Van Gogh et le dernier court avec l'homme de 103 ans qui rend un dernier salut festif et rythmé à son défunt premier amour...