Xavier Chanoine | 3.25 | Une vraie personnalité au service d'une chronique amère sur la famille |
On aura beau écrire tous les papiers possibles et inimaginables sur Aoyama Shinji, une chose est à peu près sûre, il est un cinéaste surprenant à bien des égards. Il faut aussi se pencher sur ce que l’on entend par « surprenant », pas les grands tics et tocs d’un twist consistant à clouer le spectateur sur son fauteuil et lui faire comprendre qu’on l’a bien eu, pas cette faculté non plus à dresser des personnages déglingués au look de punk au-dessus des us et coutumes nippons, de même que la surprise qui passerait par une mise en scène volontairement hype histoire de masquer l’absence de point de vue du réalisateur. Non, Aoyama est surprenant dans le sens où il sait hypnotiser son spectateur des années après Eureka avec toujours les mêmes ingrédients, les mêmes clichés, les mêmes personnages rebelles, la même « lenteur asiatique », logique lorsque Sad Vacation est adapté de l’un de ses écrits, au cinéaste d’être alors libre sur tout ce qu’il touche. S’il décide de poser sa caméra à un endroit précis sans que rien ne s’y passe avant de voir débouler au loin dix secondes plus tard un type à droite de l’écran, ce type qui n’est autre que Tadanobu Asano, acteur régulier chez lui, il le fera pour signifier ce regard « distancier » face à la tragédie amorcée dès le départ. De même qu’après s’être fait tabassé par les chinois qu’il transporte en voiture, sa longue renaissance symbolisée par ce bain pris dans la rivière annonce un retour de Kenji à de plus grandes ambitions : protéger le petit réfugié chinois des griffes d’hommes peu scrupuleux, protéger Yuri, la sœur d’un de ses anciens amis yakuza tué par mégarde devenue à présent psychologiquement instable. Le spectre de sa mort rôde encore dans son esprit et c’est ce qui le pousse à prendre soin de ceux qu’il aime, à aller de l’avant après s’être fait abandonné par sa mère, Chiyoko, alors qu’il était encore gamin. Ne parlons pas de son père, il s’est pendu.
Mais un soir, alors qu’il s’exécute encore en tant que chauffeur pour divers clients, l’un d’entre eux le mènera à l’inattendu : sa mère, visiblement en bonne santé et qui a refait sa vie avec ce même client, patron de sa propre entreprise de transports. Kenji décide alors de retourner les voir, elle et sa famille, afin de renouer contact tout en ayant une autre idée derrière la tête. Sad Vacation aurait donc des allures de vraie fable amère sur la famille, sur la fracture des liens et les tentatives de les réparer. Mais ici point de bons sentiments, les personnages restant quoiqu’il arrive distanciés et ne pouvant voir qu’un reflet sans âme d’une certaine idée de la « famille au complet » menée par Chiyoko, personnage bizarre au sourire qui masque une folie peu apparente faite d’utopie et d’idéalisation. Elle croit en la bonté de son fils, en la sagesse de son mari, en l’avenir de son enfant Yusuke, tout en faisant de l’abandon de Kenji il y a des années qu’une simple erreur de parcours sans gravité : et c’est bien cette absence de remise en question qui poussera Kenji à détruire peu à peu le cercle familial, ce cercle qui fait le bonheur présent de sa mère qui ne le mérite sûrement pas. Les membres composant la famille sont aussi relativement discrets, pas si importants que ça quant à la cohérence du récit. Ils sont là sans l’être vraiment comme cet être fantomatique toujours aussi passionnant qu’est Miyazaki Aoi campant ici le rôle de Kozue, sorte de pendant féminin de Kenji dont le père est aussi décédé et qui garde en tête les souvenirs tragiques de la prise d’otage du bus survenue il y a plusieurs années qui renvoie en guise de clin d’œil à Eureka du même cinéaste. Et le fait d’être elle aussi sans parents lui fait trotter dans la tête l’idée de vengeance : mais si tous deux se disent qu’avoir des parents est inutile, pourquoi le désire de vengeance ? Carrefour de personnages discrets mais présents, Sad Vacation rassemble au sein du même toit travailleurs douteux et petites frappes sans avenir, comme le fils que Chiyoko a eu avec Shigeo, le jeune Yusuke vivant de vols en magasin et d’échappées en moto à peine dignes du rebelle de base qui souhaite en finir avec Kenji, qui lui veut le malheur de sa mère. On trouve aussi Gotoh (Odagiri Joe), autre petite frappe pas méchante qui fricote un peu trop près avec les yakuza sans en avoir la stature et qui aimerait bien avoir une relation plus grande que celle de voisins de chambre avec Kozue.
Le désire de rester dans une famille tranquille et de faire comme si de rien n’était est la motivation de ses membres, en témoigne la prise de décisions de Chiyoko en fin de métrage suite à l’homicide involontaire de Kenji : on y retrouve ce même sourire douteux, cette même vision idéaliste de la famille japonaise sans problème, ce sentiment de rester mère jusqu’à la fin même si l’un de ses gosses n’est plus de ce monde et que l’autre est derrière les barreaux. Tant pis, sa petite amie à présent seule est enceinte et le petit ne tardera pas à remplacer ceux qui ont quitté le cocon familial. Le but est de rester mère malgré les faux pas, d’où une vision particulièrement amère et désenchantée de la famille et une ironie absolue sur les « actes manqués ». En y repensant seule la petite amie de Kenji semble être l’être neutre par excellence malgré ce sentiment de la voir elle aussi bientôt perdue. Plus de nouvelles du petit réfugié chinois, des questions en suspend quant à l’avenir de Kozue, Sad Vacation est une œuvre pessimiste ? Sans doute si l’on en juge par le ton général du film. Mais Aoyama Shinji sait créer la rupture de ton avec des séquences d’une belle poésie, comme ces personnages paumés qui font des bulles, symbolique un peu bébête de la liberté et d’une certaine insouciance face au malaise véritable qui règne chez les Mamiya, ou même le dernier plan ironique et spectaculaire du film terminant les débats d’une touche venue de nulle part. L’utilisation de la musique parfois comique rappelle celle de L’Anguille niveau instrumentation, par sa fraicheur et son côté décalé, s’accordant plutôt bien au style adopté général : si les plans fixes parfaitement cadrés étirés sur la longueur créent la tension et exacerbent le sentiment de « messes basses » total, le montage ne mettra pas tout le monde d’accord où les plans parfois hachés relèvent plus de l’esbroufe qu’autre chose. Mais rien qui empêcherait Sad Vacation d’être un film à forte personnalité malgré son côté conventionnel mille fois rabâché aussi bien dans le style que dans le profil des personnages. On la tient la fable « surprenante »et douce-amère.