Le ton est donné d'entrée avec une séquence de meurtre particulièrement crue et réaliste. On est bien loin du Kurosawa poseur et propre sur lui, Rétribution n'a ni la lenteur ni l'obscurité de Loft : l'image est jaune, sous contraste, le grain est omniprésent voir décuplé lors des flash-back. Il suffit d'un petit quart d'heure pour avoir ses premières frayeurs (bien loin de la suggestion Loftienne) lorsque l'inspecteur Noboru Yoshiaka (excellent Yakusho Koji) scrute d'un regard inquiet les analyses d'empreintes digitales récupérées sur le corps de la victime, lui appartenant, cette inquiétude est due à la non compréhension de la chose et des évènements qui peuvent en découler (suspect?). Ce malaise suscité d'entrée est renforcé par la musique très Kenji Kawaiesque de Haishima (à qui l'on doit la bande-son de Spriggan) et la caméra discrète mais présente tout au long captant le moindre regard, la moindre goutte de sueur. L’art de la surprise, aussi, Kurosawa Kiyoshi s’en sort admirablement bien. Ce qui devait être, aux yeux du spectateur blasé qu’une simple intrigue en parallèle avec comme acteurs un médecin et son fils, se révèle finalement l’une des deuxièmes bonnes surprises : une discussion somme toute banale entre un père et son fils vire au cauchemar d’une immense froideur, non sans rappeler le retournement de situation brutal de l'épilogue d'Election. Un cauchemar sans retour pour l'un, le tout filmé en un plan séquence très théâtral (là où Loft restait concentré sur le réalisme plutôt que sur la théâtralité) avec agonie et résistance de la victime.
C'est à partir de ce moment que Rétribution prend véritablement son envol et l'on s'aperçoit qu'il n'y a pas que l'inspecteur Yoshioka qui est en proie à de désagréables hallucinations. Lors de l'interrogatoire du père devenu en l'espace d'un instant, bourreau de son fils, ce dernier commence à délirer sans crier gare sous la méfiance des interrogateurs dans la mesure où cette scène peut paraître "stratégique" pour un internement possible en hôpital psychiatrique et ainsi éviter les barreaux. Les inspecteurs ne sont pas dupes pourtant au départ, Noburo pense qu'il est concerné par le meurtre de la jeune femme sans en être convaincu (du fait de l'accumulation des preuves l'impliquant), puis accusera le médecin infanticide d'avoir confectionné des preuves de toute pièce pour le rendre suspect, pour ensuite reconnaître que quelque chose ne tourne pas rond surtout lorsqu'il découvrira qu'une jeune femme souffre aussi d'hallucinations. Toujours ce même fantôme, une femme en robe rouge s'apitoyant sur son sort et qui ne souhaite que vivre éternellement aux cotés de Noburo. Si son utilisation laisse place à quelques jolis moments de frisson, elle s'avère souvent inégale puisqu'elle relève de l'épate horrifique plutôt qu'autre chose. Mais cette épate est réussie et l'apparition du spectre n'a rien à envier aux fantômes de Nakata ou de Shimizu en terme d'épouvante : apparition progressive sous d'infâmes hurlements stridents, visage blafard et chevelure noire typique. La mise en scène fait la différence (là où les frères Pang se sont vautrés comme jamais avec The Eye) et hisse Kurosawa Kiyoshi parmi ses meilleurs représentants puisque certaines idées visuelles fonctionnent à merveille, comme le spectre fissurant le mur d'un appartement pour y en sortir, belle figure imagée de la séparation entre le monde des morts et des vivants ou encore cette tentative de sucide du médecin bourreau se jettant par dessus un immeuble de trois étages, le tout filmé en plan-séquence. Marquant.
Mais malgré tout, Rétribution souffre de grossièretés et d'un comique involontaire. On a rien contre lui, mais Odagiri Joe en psychologue, on n'y croit pas une seconde (tout comme ses séances de thérapie). De même que le surjeu parfois trop appuyé d'une poignée de comédiens, dont la jeune femme en seconde partie de métrage en proie à des hallucinations semblables à celles de Noburo. Le cinéaste semble pourtant s'éloigner de son fil conducteur d'origine (l'enquête, les meurtres et leur rapprochement) pour s'éterniser plus longuement sur la partie "fantastique" de l'enquête : Noburo rejette son insigne d'inspecteur de police pour davantage s'attarder sur ses hallucinations, et surtout, les comprendre. Le film perd pourtant en crédibilité lorsque ce dernier commence à se rapprocher du spectre féminin, jusqu'à le toucher et discuter avec comme une victime. Que dire aussi de cette séquence où le spectre s'envole dans le ciel comme un super héros? Au niveau de l'intrigue, le choix de laisser le spectateur sur sa faim est aussi parfaitement louable de la part de Kurosawa (comme il l'a fait avec Loft), mais nous ne relèverons pas le pourquoi du comment. Il faut juste savoir que la surprise ne sera pas au rendez-vous puisque Rétribution est avant tout un exercice de style opéré par Kurosawa, qui trouve racine dans son ambiance suintante et ses révélations intéressantes qui vont crescendo (les derniers flash-back sur le Ferry avec la silhouette de la femme en robe rouge que l'on devine derrière une fenêtre dégueulasse, installe un véritable malaise), totalement à l'opposé de son dernier film. Un changement de ton, un je-m'en-foutisme intégrale sur ce qui est vrai (les meurtres) ou pas (la disparition du jeune flic dans le bac d'eau sale, hallucinante), un suspense parfaitement maîtrisé malgré les inégalités d'interprétation, ce cadre glauque et étouffant, poussant ses acteurs (dont l'inspecteur Yoshiaka) dans la dépression et un stress permanent. Kurosawa semble bien parti pour diviser. Mais n'est-ce pas là, la vraie force d'un cinéaste? Savoir surprendre avec des ficelles classiques, c'est ce qu'on appelle le talent.
Ce grotesque Sakebi du stagnant (par le bas) Kiyoshi Kurosawa est une bien jolie perle du genre comique involontaire. Avec ses effets cheaps, un Koji Yakusho dépressif, et ces femmes qui flottent, on a l’impression de se retrouver soudain dans une version japanisante de SOS Fantômes. Yakusho côtoie la prestation de Bill Murray à chaque fois que l’autre gros boulet de fantôme vient squatter chez lui, idem quand on le voit dans la foulée s’affaler sur le fauteuil de son psy pour lui déballer ses délires. A nous alors de nous poiler franchement devant des dialogues assez gratinés, puisque le docteur n’aura pour seule réponse qu’un mémorable: « Vous êtes juste un peu stressé… ». Ben voyons. Le film, au scénario inepte, se termine sur le cri silencieux d’un fantôme. On dirait qu’il bâille… imitant ainsi parfaitement la tronche du spectateur lambda, épuisé par tant de bêtise. Cure et Kairo sont très loin.