Astec | 3.75 | Un chambara fantastique plein de qualités... |
Alain | 3.75 | Un agréable chambara mâtinée de fantastique pour les enfants(mais pas que...) |
Pour sa première incursion dans le domaine de la réalisation, le spécialiste des effets spéciaux Tomoo Haraguchi (la nouvelle série Gamera, Bullet Ballet...) se fend d’un essai transformé dans un genre délaissé par le cinéma japonais de ces dernières années : la fantasy. Par la grâce financière d’une collaboration américano-japonaise (Warner Bros, Towani et Toshiba), Sakuya, the Slayer of Demons semble donc combler une certaine attente du public local vu le succès rencontré lors de sa distribution en salles. Ce n’est d’ailleurs pas l’unique réussite de ces deux dernières années dans le domaine du chambara fantastique, puisque d’autres productions comme Red Shadow, Gojoe ou encore Ojimanji (pour lequel Haraguchi s’est occupé des sfx) sont venus relancer l’intérêt des japonais pour le genre. Mais ce qui différencie avant tout le film de Haraguchi des autres œuvres citées réside dans le public visé : Sakuya s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux adultes. En optant pour la formule « familiale » Haraguchi s’est donné toutes les chances de rendre son film performant au box office et l’actuelle préparation d’une séquelle, à laquelle il est attaché comme scénariste et réalisateur, lui donne finalement raison.
En s’attaquant au domaine de la fantasy le cinéaste ne voulait pas seulement ressusciter un genre moribond, mais également rendre hommage aux séries de son enfance qui firent les beaux jours du bestiaire typique du yôkaiden (folklore fantastique peuplé d’esprits et de démons). Tout le (trop) court passage dans la forêt, lors du voyage de Sakuya et Taro (l’enfant Kappa/tortue qu’elle s’est choisie comme frère) en direction du mont Fuji, est ainsi construit comme une référence directe à ces légendes. Ce sont d’ailleurs ces moments qui sont le plus manifestement adressés aux enfants puisque les démons qu’on y voit paraissent tous ce qu’il y a de plus amicaux, ce qui permet de contrebalancer l’effet négatif des démons « méchants ». La galerie de monstres satisfera d’ailleurs tous les goûts puisqu’en plus du Kappa, de Karakasa l’ombrelle sur patte à la langue bien pendue, d’Amura Sumashi au corps vert et à la tête fortement proportionnée et d’autres encore, on y croisera quelques personnages un peu moins engageants (tout du moins pour les plus jeunes) comme ceux de la femme Chat ou de la Reine Araignée. Tous ces êtres sont aussi l’occasion d’apprécier le travail soigneux effectué sur les costumes des monstre et les maquillages, rehaussé par la qualité de la photo qui privilégie des couleurs appuyées pour accentuer l’aspect fantastique de l’aventure : « pour créer tous ces personnages bigarrés et étranges, je me suis inspiré de très beau films de la Daiei, 100 histoires de Yôkai (1968, de Yoshiyuki Kuroda), produits il y a une quinzaine d’annéesn ( !), et par quelques peintres de l’époque Edo, spécialistes dans la représentation de héros fabuleux et de bestiaires fantasmagoriques. Pour le reste, j’ai puisé dans mes rêveries et mes souvenirs d’enfance. » (T. Haraguchi).
Si la mise en scène de Sakuya, avec son histoire construite comme un sérial (présentation des personnages clés, structure « épisodique » du récit), souffre d’une certaine linéarité (public jeune oblige ?) et manque d’un vrai sens épique apte à happer le spectateur adulte, elle possède néanmoins une dose de poésie féerique plutôt séduisante. Mais c’est bien entendu dans le domaine des effets spéciaux que se manifeste tout le talent d’un Haraguchi fort d’une expérience éprouvée dans les techniques classiques (maquettes de décors et costumes à la kaiju eiga) ainsi que numériques (trilogie Gamera). Bien que ces dernières soient relativement discrètes et particulièrement réservées aux effets lumineux, elles s’intègrent harmonieusement avec l’ensemble du métrage tout en rehaussant l’aspect spectaculaire de certaines scènes, à l’image de celles de l’éruption du mont Fuji, de la disparition des monstres ou dans le final opposant Sakuya, armée de son épée magique tueuse de démons Vortex, à la Reine Araignée. C’est d’autant plus appréciable que les séquences s’apparentant à de l’action « pure », les combats à l’arme blanche notamment, se présentent comme les « parents pauvres » de ce spectacle et démontrent l’absence d’une approche chorégraphique dans leur conception : deux, trois câbles par ci, un beau mouvement de sabre par là, aucun coup de pied, voilà tout ce que l’amateur aura à se mettre sous la dent. Mieux vaut être prévenu donc, les montées d’adrénaline ne faisaient vraisemblablement pas partie du cahier des charges. On se rattrape tout de même amplement sur les vertus visuelles du film ou des trouvailles comme les deux ninjas avec leur bazooka en bambous qui font honneur aux figures de style du genre.
Et puis l’histoire se révèle somme toute assez intelligente pour ne pas offrir aux enfants une vision manichéenne de l’opposition Bien/Mal en colportant son petit message de tolérance (les monstres/autres aussi on des sentiments), incarné par les deux personnages antinomiques que sont l’enfant kappa adopté par Sakuya et le collectionneur de marionnettes, un humain aussi terrifiant que les monstres et efficacement joué par le réalisateur Shinya Tsukamoto (Tokyo Fist, Gemini...). Haraguchi nous livre finalement une œuvre plaisante et avant tout destinée aux plus jeunes mais qui ne devrait pas pour autant laisser insensible les amoureux de fantastique...