Xavier Chanoine | 3.5 | Une belle réussite formatée |
Sandakan n°8 a tout du film exotique parfaitement exportable à l’étranger et surtout plaisant à l’œil des hautes instances Hollywoodiennes qui l’auront, en toute logique, sélectionné pour la course à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1974. Difficile ensuite de s’étonner qu’un film comme Mémoires d’une Geisha ait fait la tournée des festivals et autres évènements cinématographiques du fait d’un scénario qui tend à proposer la même matière, à savoir les souvenirs d’une ancienne prostituée (contre une geisha chez Rob Marshall) interprétée par une admirable Tanaka Kinuyo. Avec un postulat de départ fleurant bon le « souvenir d’une époque », parfait pour la clientèle occidentale curieuse qui plus est lorsque le film se déroule à Bornéo et plus particulièrement dans la ville de Sandakan avec des prostituées japonaises au centre des débats, Sandakan n°8 semble être calibré pour marcher à l’étranger. On retrouve effectivement tous les éléments d’une narration basée sur le souvenir, celui d’une ancienne prostituée, Osaki, vivant à présent reclus dans une pauvre cabane et qui réussit à survivre grâce aux sous de son fils. Elle aime aussi le goût de la cigarette qu’elle confectionne elle-même faute de mieux. Keiko va l’apprendre rapidement au détour d’un café, pour la suivre jusqu’à chez elle. En effet cette jeune femme journaliste venue tout droit de Tokyo est arrivée sur l’île pour rencontrer des femmes âgées afin d’y glaner des informations quant à l’écriture d’un article ou d’un livre à ce sujet. Mais Keiko ne semble pas être une jeune femme comme les autres, du moins elle n’est pas effrayée face aux insectes grouillant sous le bois d’une cabane somme toute rudimentaire mais bien suffisante pour la sagesse de la vieille femme.
La vieille femme espère bien rester en compagnie de la journaliste. Cette dernière accepte de revenir un peu plus tard pour passer plus de temps avec elle. Osaki en profitera pour lui raconter ses souvenirs d’ancienne prostituée du bordel n°8 de Sandakan. Le film opte alors pour une structure très classique faite de flashback au fur et à mesure que le récit d’Osaki avance dans le temps, parfois entrecoupé d’éléments plus ancrés dans le présent encore bien qu’ils ne sont pas particulièrement passionnants. Effectivement après une première demi-heure longue et ennuyeuse suivant les pas de Keiko sur l’île de Bornéo en compagnie d’un guide japonais, jusqu’à la rencontre avec Osaki, le film prend un véritable envol avec les débuts du récit de cette dernière, de son enfance jusqu’à l’âge adulte qui lui fit connaître un certain standing chez les prostituées. Et lorsque la superbe mise en scène classique de Kumai Kei est au service d’une narration passionnante, Sandakan n°8 s’inscrit tout droit dans les œuvres relativement importantes du cinéma nippon des seventies, qu’importe si l’histoire est traitée de façon académique. La réussite du film tient à peu de choses : ses sublimes décors filmés en studio ou dans la nature, l’immense performance de Takahashi Yoko dans la peau d’Osaki lorsqu’elle était plus jeune, ces portraits de femmes au service de maquereaux désireux de faire du business sous les tropiques, les différents contextes historiques en filigrane au fil des époques (du début du XXème siècle jusqu’à l’après-guerre), ces histoires d’amour qui ont forgé les souvenirs, cet ensemble forme un tout pas si marquant que cela mais de très haute tenue tout de même. Les petits reproches que l’on pourrait faire au film sont sans doute des pleurs un peu trop nombreuses, deux scènes bâclées (le suicide du frère d’Osaki durant sa jeunesse, les ravages de la guerre lors d’un traveling salement amoché par l’utilisation d’un filtre vert juste hors propos) et l’utilisation du format 4/3 qui donne au film une impression d’étroitesse alors qu’il vise l’ampleur absolue de part son écriture et ses ambitions.
Le film réussit néanmoins à être poignant, beau de retenue, une retenue incarnée par la géniale Tanaka Kinuyo qui arrive à être déchirante lors de sa dernière séquence. Un des beaux films des années 70 nippones à avoir gardé l’ampleur classique des chefs-d’œuvre du répertoire d'un âge d’or passé.