Xavier Chanoine | 4 | Exemplaire et bien ficelé |
Ghost Dog | 3 | Qui dit mineur ne dit pas forcément désagréable ! |
Ordell Robbie | 2.75 | Pétard (cinématographiquement) mouillé |
Dans les conditions où est sortit le film (sous la répression des Etats-Unis), on pensait y trouver en Scandale un bête film de commande et de propagande sur fond d'enquête policière histoire d'y glisser deux trois éléments scénaristiques. Et bien non, Scandale n'est heureusement pas ça, et prouve que même en temps de surveillance rapprochée sur les médias et les arts, chaque artiste a son mot à dire. Kurosawa critique dans Scandale l'univers des médias et de la presse à ...scandale. Un jeune peintre à succès (Mifune Toshirô) se voit être pris en photo à son insu avec une chanteuse à succès. Les paparazzi vont transformer ce qui n'était qu'une discussion basique autour d'une table en une affaire de coeur scandaleuse. Comme un goût de déjà vu dans notre fameuse presse nationale et internationale que sont les catastrophiques potins comme Voici, bons à satisfaire la ménagère de moins de 50 ans.
Scandale, en plus d'être une brillante satire des médias demeure aussi une drôle de vision sur la déchéance d'un homme, interprété par un brillant Shimura Takashi dans la peau d'un avocat complètement dépassé par les évènements. On y voit alors les caractéristiques du pommé de service avec la passion pour les jeux et l'alcool (hallucinante scène dans une beuverie pour fêter Noël). Le film se déroule en trois actes, avec en premier la parution de la photo scandale dans le magazine "Amour", en second lieu les recueilles de preuves et la recherche d'un avocat, et pour finir, le procès en lui même. Car il fallait s'y attendre, les victimes ne vont pas se laisser et vont traîner tout ceci en justice (quoi de plus normal). Les difficultés vont s'accumuler, la tristesse puis la mort de la fille de l'avocat ne va rien arranger, seul le courage pourra sortir vainqueur.
Mis en scène avec brio, Kurosawa n'omet aucun détail quant à la position de ses acteurs, tous cadrés avec rigueur (aucun ne parle en contre-champ) et ce, filmés dans des points différents pour rassurer et donner au spectateur le sentiment qu'il est partout et qu'il ne loupe aucune miette des décors et de l'univers qui lui est présenté. Un univers vache, dont les potins à la con ne font que le rendre encore plus pourris qu'il ne l'est.
Scandale est en effet un film mineur dans la somptueuse carrière de Kurosawa. Même s’il traite de grands thèmes comme la justice, la vérité, l’honneur et l’obstination, il ne possède pas les atouts d’un chef-d’œuvre et reste trop anecdotique. Le sujet est pourtant étonnement moderne puisque l’histoire oppose des paparazzi et des journaux à sensation face aux stars et leur vie privée, 50 ans avant l’affaire Lady Diana… Le duel au sommet entre Mifune et Shimura vaut également le détour : Mifune, la voix grave, joue un peintre bafoué dans son amour propre par des journalistes sans scrupules ; quant à Shimura, il interprète son avocat, un vieil ivrogne pas gâté par la vie qui voit dans le procès intenté par le peintre contre le journal une formidable occasion de se racheter.
Une fois n’est pas coutume, l’intrigue déçoit un peu par ses rebondissements un peu téléphonés. D’autre part, certaines scènes traînent vraiment en longueur et auraient mérité quelques coupes au montage (dans le bar ou chez le peintre par exemple). Mais le plus décevant, c’est sans doute le manque de dialogues percutants auxquels on aurait pu s’attendre dans un film à procès : je voyais bien en effet Shimura se réveiller à la fin et offrir un plaidoyer de toute beauté comme du temps de sa jeunesse, à l’instar d’un Michel Simon dans un film des années 50 dont le nom m’échappe. Au lieu de cela, l’avocat des plaignants se confond en courbette en présentant la preuve indiscutable de la culpabilité de l’accusé. Et n’oublions pas que la chanteuse salie par l’article mensonger est d’une rare transparence alors qu’elle est au centre du film…
Scandale fera donc passer un bon moment, mais sans plus. Il précède cependant un film autrement plus ambitieux sur le thème de la vérité, Rashomon, réalisé l’année suivante.
Scandale est un Kurosawa mineur tourné entre les deux réussites majeures que sont le grand polar Chien Enragé et le chef d’œuvre Rashomon. Ancien peintre sans succès, le cinéaste choisit cette fois un peintre dans la ligne de mire médiatique pour personnage principal. Dommage alors que ce dernier incarne une vision assez cliché de la création artistique. Il n’est pas non plus anodin que ce film de proçès ait été tourné juste avant un Rashomon qui traitera la question de la vérité avec plus d’ambition thématique.
Dans un contexte où la presse à scandale se développait au Japon, le film se veut une dénonciation des préjudices moraux qu’elle porte à la vie d’autrui. Mais en se voulant virulent à son égard Kurosawa dépeint les journalistes de façon caricaturale, tombant ainsi dans le piège du manichéisme. Certains rebondissements du film virent de plus à l’artifice scénaristique. Kurosawa n’arrive de plus pas à trouver suffisamment de solutions formelles capables d’apporter de la tension dramatique à une partie proçès manquant de rythme. Le film est également plombé par le jeu cabotin de Shimura Takashi. Tandis que les parties concernant la fille malade étalent un trop plein de bons sentiments et sont insupportables de mièvrerie.
Tout n’est pourtant pas raté dans le film. Mifune évite ainsi les travers cabotins qu’il a pu avoir dans d’autres Kurosawa. Et le film n’est pas dépourvu d’idées de mise en scène intéréssantes. L’ouverture passant d’un gros plan de roue à un plan d’ensemble de Mifune à moto pour poser le personnage d’un peintre en pleine fuite en avant dans sa vie. Un gros plan sur une clochette suivi d’un plan large de Mifune à moto à l’approche de Noel inaugure une seconde partie de film où il va finir par relever la tete. Des superpositions d’images montrent elle la propagation de la rumeur de la presse à scandale dans la population japonaise. Les gros plans d’articles de journaux parfois séparés par des fondus enchainés scandent parfois la progression du récit. Enfin, les gros plans sur les caméras et les crépitements de flashs pendant le proçès, l’image plein écran diminuant de taille pour révéler que la scène du proçès est un extrait d’actualité ont le mérite d’exprimer visuellement l’idée de justice spectacle.
L’année suivante, Kurosawa fera un spectaculaire retour en forme en offrant avec Rashomon son premier chef d’œuvre et le film de l’explosion mondiale.