Xavier Chanoine | 2.25 | Pas convaincant et assez difficile. |
Ordell Robbie | 2 | un Miike sauvé du désastre par son dernier tiers |
Le cimetière de la morale de Miike n'est pas des plus palpitant surtout lorsque l'on entame une comparaison avec celui de Fukasaku tout de même plus brillant dans quasi tous les domaines. Non pas qu'il soit armé de prétentions insuffisantes, mais on ne distingue pas vraiment son métrage d'un autre yakuza eiga de gamme moyenne du style Shinjuku Triad Society réalisé quelques années auparavant et lui aussi de facture moyenne.
Cela n'empêche pas cette énième réalisation d'être particulièrement douloureuse du fait de ses nombreux plans explicites sur le duo amoureux désenchanté, armés la plupart du temps de seringues qu'ils se glissent gentiment dans les veines pour planer. Miike démontre alors par A+B (encore une fois) les méfaits de la drogue, car l'on voit clairement nos deux héros crever (ou pourrir) à vue d'oeil à cause de cette saloperie qui les obsèdent tant. Pire encore, l'on peut voir carrément Ishimatsu (fade Kishitani Goro) obliger Chieko (Arimori Narumi) à se piquer avant de faire l'amour dans une mise en scène bordelico-planante non sans rappeler la caméra sur épaule d'un Wong Kar-Wai; tout en restant bien loin d'un résultat final du cinéaste HongKongais.
On sent à plusieurs reprises la bonne envie de Miike à travers ces deux heures respectables mais hélas guère inoubliables, dans la construction fantaisiste de son récit (ça part un peu dans tous les sens, quand même), dans son approche radicalement exagérée du yakuza eiga traditionnel (règlements de comptes gores au possible, bagarres dignes de celles de Fukasaku) et surtout dans cette image du yakuza sans honneur (flingage de boss à tout va, drogue, misogynie absurde). Un triste portrait, dans une société qui ne l'est pas moins.
Esthétique : 2/5 - Bien que très mouvementée, l'ensemble est approximatif. Musique : 3.5/5 - Belle compo de Endô Koji, rappelant les sonorités sèches des Fukasaku 70'. Interprétation : 2/5 - Inégale, jusqu'à en devenir fatigante. Scénario : 3/5 - Drôle de descente aux enfers. Particulièrement nihiliste.
Cette nouvelle adaptation du roman de Fujita Goro après le chef d'oeuvre de Fukasaku avait tous les atouts pour faire partie des bons Miike (Bird People of China, Rainy Dog dans une moindre mesure), atouts malheureusement gachés par ce travers miikien trop fréquent qu'est la volonté proclamée d'ennuyer le spectateur pendant les deux tiers du temps afin de créer un contraste avec des fins plus enlevées.
Sans doute par respect pour le matériau romanesque original, Miike a mis ici en veilleuse son gout pour les idées délirantes pour offrir une oeuvre au ton inhabituellement sérieux pour lui, une oeuvre qui au moins dans ses intentions se veut sans concessions. Qui plus est, le scénario a la bonne idée de tenter de transposer le récit dans le Japon contemporain en le faisant se déployer entre la fin des années 80 et le milieu des années 90. Idée louable car tentant de créer un lien entre le destin individuel de son "héros" négatif et la réalité politique économique du Japon dans lequel il vit, bref d'évoquer en creux un Japon en récession comme Fukasaku avait pu le faire pour le Japon du miracle économique. Le problème est que ce lien n'est pas vraiment développé par un scénario ne soulignant pas assez l'environnement historique et qui du coup fait ressembler le film à un film de yakuza de plus, un récit de trajectoire gangstérienne pas palpitant de plus.
L'absence de charisme de Kishitani Goro, le fait que sans être mauvaise sa prestation n'est pas renversante n'arrangent rien et n'évitent pas aux deux premiers tiers du film de devenir très vite ennuyeux à suivre. A cela s'ajoutent un usage pas toujours judicieux du score jazzy, une mise en scène dans un style caméra à l'épaule pas vraiment convaincant et surtout un vrai manque de rythme. Mis à part quelques références wooiennes faisant sporadiquement irruption dans le récit, il n'y a pas grand chose à sauver des deux premiers tiers du film et on a le temps de repenser au Cimetière de la Morale, de se dire que la relecture miikienne est moins convaincante non parce qu'elle serait moins aboutie cinématographiquement (comme le montre le cas De Palma, un film n'a pas forcément besoin d'égaler ses modèles pour compter) mais parce que ses tentatives d'apporter autre chose au récit échouent.
Reste que lors du dernier tiers du film Miike évite enfin de couper ses plans trop tard et qu'on finit alors par se sentir émotionnellement par ce qu'on voit à l'écran. La sécheresse ainsi acquise donne enfin au film une noirceur qui n'est pas froide et le film y trouve une identité formelle le distinguant à la fois de l'adaptation fukasakienne du roman et de l'ordinaire du yakuza eiga. Dommage que le film se soit trouvé trop tard...