L’un des rôles de Jackie Chan les plus attendus de l’année n’est certainement pas son caméo dans le prochain film coréalisé par quelques grands noms (Chen Kaige, Peter Chan entre autres) pour célébrer les soixante ans du parti communiste chinois, non, mais bien celui pour le très sombre Shinjuku Incident du sympathique Derek Yee. Bien avant sa sortie à Hong-Kong (et son non moins sympathique score au box office si l’on tient compte des tendances économiques depuis un petit moment), le film faisait déjà parler de lui. Sorte d’œuvre sulfureuse avant l’heure formant déjà sa légende à grands coups de questions et de probabilités en tout genre, la violence du film prêtait également à débat chez celles et ceux qui persistent à voir en Jackie Chan l’éternel mec bon du cinéma d’action spectaculaire. Évoquons rapidement ce point, nul doute que le premier gus du coin qui a découvert le Drunken Master avec la diffusion de Jackie Chan dans le Bronx sur M6 tournera de l’œil en voyant dans Shinjuku Incident des mains découpées et des prostituées à cheval sur leur idole. Aussi sombre qu’une ruelle mal éclairée de Shinjuku, le film de Derek Yee n’a pas usurpé son étiquette de polars des caniveaux –que l’on visitera le temps de deux scènes clés- puisque, à l’image de la mafia, tout ce qui se trame est en général à l’abri des regards. D’où une certaine ambigüité autour des personnages qu’un spectateur plus ou moins attentif s’amusera à déceler, à relever, quitte à parier sur l’avenir de chacun. Les premières questions embarrassantes peuvent tourner autour du personnage de Jie, bonhomme pas tout à fait prêt à relever le défis de jouer les gros bras mafieux, fondant en larmes au moindre accès de peur ce qui est plutôt rare au cinéma, à l’heure où l’on se coltine quantité de frimeurs en costume trois pièces ne valant rien.
Shinjuku Incident dépeint des hommes dans leur plus simple enveloppe, et à Jackie Chan de mener la barque avec dignité et une peur constante : au départ la peur du sans-papier, celle d’être arrêté au coin d’une rue par la police, puis la peur pour sa vie lorsqu’il s’attaque à un palier qu’il ne pensait sûrement pas atteindre avec sa montée en puissance. Avant cela il aura fallut gagner une confiance et un respect arrivés un peu par hasard en sauvant un inspecteur de police de la noyade (impeccable Takenanak Naoto) et un parrain d’un guet-apens orchestré par un type énervé de la machette. Jackie, ici Steelhead, a bravé les intempéries pour rejoindre l’archipel nippon dans le but de retrouver sa petite amie, à présent mariée avec ce même parrain. Entre fraternité, pouvoir et stratagèmes pour récupérer sa belle, que prévoit Steelhead ? La première qualité du métrage est d’impliquer une nouvelle fois Jackie Chan dans un rôle encore plus frustrant ici. Si la comparaison n’est pas des plus judicieuses il est vrai, Jackie Chan en personnage réfléchi et surtout fébrile rappelle le Johnny Halliday acteur chez Johnnie To, tous deux gardent cette image d’acteur martial pour l’un et braillard de publicité pour l’autre. Difficile de s’en détacher malgré les efforts déployés pour laisser cette image de côté, et sans surprises, le Drunken Master reste le Drunken Master, l’acrobate au grand cœur reste le personnage sympathique que l’on a connu et qui a forgé une partie de notre cinéphilie : difficile donc de croire pleinement en ces larmes chaudement versées dans un instant où la lucidité demeure absente. Pourtant, très peu de réactions au final, Jackie ne flanquera pratiquement aucune baffe de tout le film. Jackie reste le conseiller, l’homme qui débarque entre deux frères pour calmer les ardeurs et prêcher la bonne parole, la plus juste possible. Jackie n’accepte donc pas d’argent, souhaite la paix et conseille à ses frères d’apprendre le japonais pour mieux s’adapter dans cette société entachée par des vagues de racisme qu’un Derek Yee souligne à la limite de tomber dans la caricature, sorte de cahiers des charges lorsque le film parle d’immigrés chinois au pays du soleil levant.
Heureusement que cette thématique est correctement abordée puisque Shinjuku Incident n’apporte rien au film de mobs, constat d’autant plus rageant au vu des ambitions du film. Derek Yee a beau filmer la nuit avec une précision rappelant la Milkyway des années 2000, les fondements même sont du niveau d’un téléfilm ou d’un bon épisode de feu Hollywood Night. Téléphonées également ces séquences impliquant un excellent Takenaka Naoto dans la peau d’un inspecteur terré dans l’ombre, la nouvelle facette de Jie en gouape un peu lâche devenue camé qu’un groupe de visu rock ne voudrait même pas, ou encore le bon samaritain pris à son propre piège en fin de métrage. Sans surprises, mais les accès de violence soudains sauvent le film de la noyade et les seconds rôles souvent attachants de la première moitié du métrage apportent un vrai vent de fraîcheur, où se côtoient amitié face à l’adversité et fraternité face aux yakuza. Sans aucune surprise également la relation Steelhead/Lily/Xiu Xiu, personnages féminins éclipsés en fin de métrage dans une précipitation incompréhensible. Film d’hommes avant tout ? L’inquiétant et étouffant climax de fin aura raison de toute envolée romantique comblant les baisses de rythme et justifiant la venue de Jackie au Japon. Reste qu’en hésitant un peu trop entre clownerie assumée (passages gores gratinés, cabotinage) et peinture dark de la pègre, il est difficile de prendre ce conte désenchanté autrement qu’en instant juste divertissant.
Voilà un Jackie Chan une nouvelle fois dans une veine sombre après le culte Crime Story et le très distrayant New Police Story, un Shinjuku Incident qui vient là avec cette chouette idée de causer de l’immigration illégale de chinois au Japon via la naissance d’une triade chez les yakusa.
Sans doute trop acquis dès le départ à la cause, j’ai un peu déchanté devant l’objet : musique kaboom honnête mais mal placée, narration en dents de scie (en scie dents = incident ?), personnage de Jackie trop instable : est-il un gentil ? Est-il un méchant ? Aucun point de vue clair ne ressort qui plus est de cette histoire, malgré cette impression qu’il y a bien une morale dans tout ça. Mais laquelle ? Comble du marchage sur œufs afin de micheldruckerer chinois et japonais : lorsque Jackie parle d’aller « pilonner le Japon », il s’en va aux putes et s’enfile une occidentale. Bravo le pilonnage ! Gaffe à la boulette et à la déclaration de guerre ! De son côté, la mise en scène oscille étrangement entre le franchement chiadé et le pauvrement télévisuel.
Pour le reste, c'est pô mal : Yee fait là un bien bel hommage au cinéma de Kinji Fukasaku, en particulier son Combat sans code d’honneur abondamment cité avec cette guerre sans fin des clans et, également, ce bras formidablement tranché. La violence est épisodique mais barbare, jusqu’à un final chaotique assez énergique.
Si « tête de fer », le perso de Jackie, n’apparaît pas comme cinématographiquement cohérent avec son mélange de naïveté et d’esprit d’initiative aussi aimable qu’assassin, d’un point de vue plus réel il tient la route. Point de manichéisme ici, le crime naît d’un besoin et non d’un esprit intrinsèquement mauvais. Tête de fer fait son taf, se bat pour lui et pour les siens, et du reste la perversion, le mal, naissent toujours d’une naïveté trahie, d’un monde qu’on fait s’écrouler aux yeux de quelqu’un de fondamentalement bon.
En terme de jeu, même si, finalement, je le préfère comme clown, un des derniers grands encore en activité d’ailleurs, le Shanghai Kid s’impose là dans le registre dramatique. Sa rencontre avec son ex, celle avec son rival, sont autant de démonstrations nuancées plutôt rares chez le bonhomme.
Ajoutons à cela un Jack Kao qu’on a toujours plaisir à revoir, un Lam Suet qui, chez Yee, ne fait pas office de faire-valoir comme chez Johnnie To mais apparaît comme un charismatique roublard pro du système D - c’était déjà le cas dans One Night In Mongkok – ainsi qu’une très belle photographie nocturne et on obtient une étude ambitieuse et intelligente de ce mélange pan-asiatique (même si, en l’absence de point de vue, je préfère le documentaire), doublé d’un correct épisode de la très longue carrière de Monsieur Chan.
Jackie Chan délivre une performance bien plus nuancée qu'à l'accoutumée et prouve qu'il est capable de jouer un personnage réellement scripté tout du long. L'action, courte et chorégraphiée de façon la plus réaliste possible (pas de cascades ni bastons ultra-ludiques qui ont fait une partie de sa réputation), laisse très largement la place au développement du récit. Le casting va de bon à excellent avec un Jackie Chan aux antipodes des longs métrages qui l'on propulsé au sommet incarnant le rôle le plus travaillé d'un point de vue de l'écriture et de l'interprétation (avec "Police Story Lockdown" et "The Foreigner"). Reste quelques petits problèmes de rythme.
Derek YEE est un réalisateur qui ajoute souvent une dimension sociale dans ses films. C'est une chose assez rare à HK et même si Derek ne fait pas partie des réalisateurs "cultes", il nous a tout de même sorti des films comme THE LUNATICS, PEOPLE'S HERO, VIVA EROTICA ou encore ONE NIGHT IN MONGKOK.
Une fois encore, il veut traiter un thème "social", à savoir l'immigration chinoise au Japon. Le film commence pas trop mal et on suit sans peine la vie de cette communauté du bas de l'échelle sociale. Mais le développement met à jour les limites du film, que ce soit au niveau scénaristique ou au niveau des personnages: tout cela véhicule beaucoup trop de clichés et sans finesse de surcroit, à l'image du personnage et du jeu de Daniel WU par exemple.
Voilà donc un film mitigé, pas trop mal fait mais clairement simpliste et caricatural. Jackie n'a pas encore trouvé sa voie dans sa carrière post-acrobatique.
Jackie Chan. Un nom qui évoque tellement de choses. Si Mickaël Jackson était un éternel enfant, qui ne voulait pas grandir, Jackie Chan est un homme qui ne veut pas vieillir. L'homme a toujours mis toute son énergie pour créer et entretenir son mythe, y comprit en mentant.
Une fois devenue star, c'est cette image qui a suplanté la personne, comme en témoignent nombre de ses films dans lesquels ses personnages ne portent même plus un nom différent du sien.
Ce n'est pas un acteur qu'on allait voir quand on regardait le "dernier jackie", mais bien Chan lui-même, la star dans toute sa splendeur. Cette image de bonhomme souriant, maladroit et acrobate, il l'a chérie des années durant. Mais une fois enfermé dans ce carcan, la star a décidé de prouver qu'elle était plus qu'une image. Entre les tentatives pas tout à fait audacieuses ("the myth" et sa moitie de film très chanienne) pour s'éloigner de son style devenu propret, et ses frasques en dehors des plateaux (la démonstration ivre au concert de jonathan lee, ses déclarations politiques..), l'homme a du mal à gérer cet enfermement.
Qui d'autre alors que Derek Yee et ses univers parfois si sombres et si désabusés pour offrir une grande prestation à Jackie? Une de celles où on pleure, où on crie... car dans la plupart de ses déclarations, celles où il lance "je veux être le De Niro chinois", Chan explique qu'il peut pleurer, comme si cela faisait une prestation dramatique.
Le problème dans les prestations dramatiques, c'est que la limite entre l'intensité du jeu et la caricature, ou du moins le surjeu, est parfois très mince, comme il l'a déjà prouvé dans "heart of dragon", où sa prestation était parfois excellente, et sombrait parfois dans le surjeu pur.
Dans "Shinjuku incident", Chan pleure et va voir des prostituées. Chan tue et se salit les mains. Sa prestation est plutôt sobre, mis à part LA scène où il pleure, dans laquelle ses vieilles habitudes reprennent le dessus, mais son jeu est sans éclat. Car l'objectif de la star n'est pas de faire vivre son personnage, mais de prouver qu'il sait jouer. Alors que sa prestation dans "crime story" était d'une intensité redoutable, car il était là pour jouer, il n'arrive pas à nous surprendre ici. Et malgré ses efforts pour sortir de son personnage, son steelhead reste trop positif, manifeste trop de remords, balance trop de beaux discours et de jolis sourires dans des situations qui ne s'y prêtent pas pour qu'on oublie la star au profit de l'acteur.
Sa performance n'est donc pas la plus mémorable de sa carrière. Car on veut changer, choquer son public, mais il y a des limites quand même! Par exemple, Jackie Chan ne peut pas vieillir, et en conséquence, il continue d'être le petit ami de jeunes actrices qui pourraient être ses filles, voire ses petites filles.
L'influence de la star sur le film se sent par contre nettement moins que sur ses autres productions. Exception faite de cette touche destinée à rendre le personnage symapthique envers et contre tout, on est bel et bien dans un film de Derek Yee, et non pas un film de de Jackie Chan réalisé par Derek Yee.
Le réalisateur de "one night in mongkok" nous offre presque deux films en un. La première partie, qui raconte l'errance des immigrés chinois au japon, est prenante. Le quotidien de ce groupe est dépeint de façon sobre, mais on s'attache à ces visages qu'on connaît bien, et qu'on a pourtant l'impression de redécouvrir. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, même cette première partie, qui sert finalement plutôt d'introduction, ne fait pas dans le contemplatif. Le rythme est tès nerveux, avec une accumulation de scènes très courtes, les événements s'enchaînent à toute vitesse et les protagonistes se multiplient.
Ce quotidien, pourtant si crédible, qui nous amène à comprendre les choix de vie un peu limites des personnages, va perdre de son poids quand le destin va s'acharner de façon grand guignolesque sur un seul et même personnage jusqu' le rendre fou. Le film a alors atteint le point de non retour. "Shinjuku incident" devient un film de mafia comme il en existe des centaines. On pense rapidement à "Aniki", et pas seulement pour la présence de Masay Kato. Pire, un saut dans le temps de quelques années vient saper le développement des personnages patiemment construit jusque-là pour les rendre mono-dimensionnels, jusqu'à un climax dont le chaos rappelle celui de "school on fire", en moins percutant.
Seule scène d'action du film, elle bénéficie d'une chorégraphie minimale de Chin Kar Lok, pour coller aux exigences de réalisme. Ce final est malheureusement un peu vite expédié, et même s'il est assez cohérent, il ne tient pas la comparaison avec son modèle.
D'où une impression de gâchis au final. Entre une star qui veut changer mais qui a peur de prendre trop de risques, et un scénario aux raccourcis trop nombreux, "shinjuku incident" décolle mais redescend vite dans sa deuxième partie, divertissante, mais tellement en déça de ce qu'a établi l'équipe jusque-là. Pas un mauvais film, loin de là, mais également loin de ce qu'on pouvait attendre.
Dans sa volonté annoncée de "changer de rôles et de registre", notamment pour pallier à sa jeunesse et ses capacités martiales évanescentes, Jackie Chan endosse donc la défroque d'un immigré clandestin chinois, venu chercher l'eldorado au Japon. Un rôle donc bien loin de ses habituels cabotinages dans des sous-productions US ou encore de celle de l'amoureux transi dans l'involontairement comique "Gorgeous" (dix ans déjà…). Un rôle curieusement plus proche de celui de son flic au bout de rouleau de "Crime Story", peut-être l'un des tous meilleurs films de Chan, qu'il a voulu renier par la suite et a réussi à faire planter la carrière (du moins hongkongaise) de Kirk Wong.
Jacky s'applique, maos prouve une nouvelle fois combien il est difficile de se défaire de son image de marque. Difficile donc, dès sa première apparition, à ne pas repenser à ses meilleures œuvres et l'on guette ses légendaires coups de poings envoyés ou – mieux – galipettes martiales avec les objets l'entourant.
Jacky non plus n'arrive pas vraiment à sortir du personnage, qu'il aura forgé tout au long de sa carrière. Nourri au burlesque, il en fait toujours des tonnes, mouline des bras, quand il est en déséquilibre et ponctue chaque émotion avec maintes expressions faciales inutiles. Sobriété, connaît pas.
On tente donc de se consoler côté histoire; une historie inhabituelle pour le cinéma hongkongais, dur, rugueux…mais plombé par l'habituelle réalisation proprette de Derek Yee.
Derek Yee est un réalisateur intéressant, qui va très certainement à contre-sens des canons habituels de son industrie et tente d'injecter de fortes doses de socialisme et de réalité dans ses films…Mais voilà: nourri au cinéma local et aux productions hollywoodiennes, il ne peut s'empêcher d'en faire des tonnes, lui aussi. Quand le malheur frappe ses personnages, il les assomme, écrabouille et les piétine encore dix fois, alors qu'ils sont déjà à terre. Sobriété, là encore, connaît pas. Tout est donc réellement over-the-top, aidé par des comédiens cabotins (Daniel Wu…) et des décors et costumes trop bien comme il faut: les égouts suintent, les fringues sont fripés comme il faut…mais tout fait un peu trop toc.
Alors, on se met à rêver d'une vraie production indépendante, qui aurait eu des couilles à entrevoir l'image de vrais immigrés chinois dans un style quasi-documentaire, avec un Jacky Chan dirigé par une main de fer, poussé à bout, tel un Harvey Keitel dans un "Bad Lieutenant" ou un Charlie Sheen dans un "Apocalypse Now" pour soutirer la prestation hallucinée, qu'aurait demandé sa participation. Au lieu de cela, le film progresse gentiment du point A au point Z avec une dernière scène tire-larmes redondant par rapport à une scène antérieure. Toute proprette, à l'inverse même ce que le l'idée même du film voulait véhiculer.