Un "classique" du cinéma coréen nineties manquant d'étincelles
Une carte de visite, A Single Spark en a une belle catégorie futures figures de premier plan du cinéma coréen: Lee Chang Dong qui coscénarise et n'était pas encore passé derrière la caméra, Hur Jin Ho aussi coscénariste qui se fait la main comme asistant-réalisateur et Moon Seung Kun qu'on a plaisir à retrouver dans un role autre que ses prestations chez Hong Sang Soo.
Considéré en Corée comme un classique du cinéma coréen des années 90, ce film financé par souscription publique suscita de violentes controverses en son temps et fut un très gros succès public tout en raflant les récompenses aux Korean Film Awards. Vu la corde sensible de l'histoire de la Corée touchée par le sujet du film -la figure de Jeon Tae Il, un ouvrier militant des années 60 qui se suicida pour protester contre l'exploitation de la classe ouvrière en Corée, ce qui n'est pas un SPOILER vu que cette histoire fait partie de la mémoire collective coréenne et est connue de tous en Corée du Sud-, on pourrait meme parler d'effet Peppermint Candy avant l'heure pour qualifier le retentissement qu'a eu le film en Corée en son temps. Reste que l'intéret purement cinématographique du film n'est pas totalement à la hauteur de son intéret culturel indéniable pour ce qui est de la place des intellectuels dans les grandes luttes sociales de l'histoire coréenne récente. D'un point de vue scénaristique, le film laisse déjà une impression mi-figue mi-raisin. D'un coté, un film ayant par certains aspects une ambition digne des grands auteurs asiatiques: lier le destin d'un individu à celui d'une nation, une structure narrative qui va bien plus loin que le cliché narratif inutile qu'est trop souvent la juxtaposition narrative d'époque censées communiquer entre elles dans le cinéma commercial coréen puisque donnant à réfléchir sur la manière dont on peut maintenir l'héritage d'une lutte sociale, d'une certaine vision de l'intellectuel et les faire fructifier dans le présent. Ce qui fait la richesse de la structure narrative, c'est aussi la manière dont le passage d'une époque à l'autre dans le film se fait: par la rencontre de personnages ayant vécu les années 60 donc la mémoire des etres mais aussi par la mémoire des lieux rendus porteurs des blessures de l'histoire coréenne récente.
Et par le parallèle dressé entre un jeune homme des années 60 ex-vendeur de rue de parapluies luttant pour les droits des ouvriers textiles à une époque où la dictature militaire soutenue par les Etats-Unis demande au peuple de se sacrifier pour le boom économique (conditions de travail atroces, travail des enfants) et un intellectuel des seventies cherchant à écrire une biographie sur lui tout en subissant dans sa vie intime les conséquences de la dictature. Si l'on ne demande pas à un film coréen d'avant le grand boom récent une photo ultraléchée inappropriée ici de toute façon, on a en revanche le droit d'etre exigeant en terme de mise en scène: s'il y a de belles idées et par moments un vrai sens du détail, cela n'est pas non plus renversant et c'est parfois un peu maladroit. La musique fait elle un peu trop mauvaise série télévisée. Et puis il y a l'usage du ralenti dans la séquence du "sacrifice" final un peu contradictoire avec les propos du cinéaste disant avoir refusé d'évoquer les conviction religieuses de Jeon Tae Il (son geste de suicide par le feu serait inspiré des suicides des moines bouddhistes au Viet Nam) pour ne pas faire de lui une figure christique alors que le ralenti a tendance dans ce cas à iconiser. Ce point particulier a tendance à révéler que c'est bien plus un film de militant que de cinéaste: Park Kwang Soo fut un des chefs de file du renouveau du cinéma indépendant coréen à la fin des années 80 au travers de sa compagnie Seoul Film Group et un opposant majeur à la dictature militaire, quelqu'un qui dit en interview avoir fait ce film pour que les intellectuels retrouvent une volonté de protestation, de regard critique sur la Corée du Sud actuelle.
Et justement le film souffre énormément de deux des grands risques du cinéma social, celui d'etre démonstratif, de sombrer souvent dans le cours d'histoire et aussi de donner une vision trop manichéenne du patronnat. D'où un film plus intéréssant que le tout venant coréen mais pas aussi renversant qu'espéré.
Une étrange sérénité
Quand le film politique n’est pas trop sûr de son but, il devient un film sur le doute. C’est l’option cinéma américain des années 70. A Single Park, c’est l’inverse : un film absolument sûr de la justesse de son propos. Une telle assurance peut rendre les films insupportables, sauf dans les cas rarissimes ou le but est irréprochable et le film solide. Et il faut reconnaître que A Single Park est particulièrement bien ajusté. Park Kwang-su signe là un film plus fort que le trop rigide
La république noire, une œuvre à la fois ample et sobre dans ses effets. Les scènes réalistes sont très réussies et l'ensemble dépeint une Corée au décor sinistre, où les activistes se rencontrent dans les caves ou les terrains vagues près des bidonvilles, mais des Coréens fiers et beaux, sans qu'on vire dans la propagande soviétique non plus. Park Kwang-su et son scénariste Lee Chang-dong, sûrement déterminant pour la réussite du projet, oublient aussi parfois la grande politique au profit de leurs petits personnages très attachants. Le film est peu bavard, pas long non plus, économe, préférant quelques plans simples aux grands blabas qui plombent souvent le genre, et quelques étranges moments. Ainsi à la fin du film, quand, sur un quai de gare, le narrateur choisit de se montrer à la femme qu’il a aimé une fraction de seconde avant le passage d’un train. Comme un spectre, comme s’il n’était déjà qu’un souvenir à oublier, comme s’il n’était pas vraiment là, parce que sa vie est définitivement ailleurs. Ce personnage s’efface et même s’il est le narrateur, A single Spark raconte aussi comment un homme s’écrase devant la puissance d’un combat qui le dépasse. La dernière demi-heure dégage une étrange sérénité. Là où on pouvait attendre une apothéose révoltée, on a un sacrifice filmé dans un ralenti ouaté, avec une douce musique, sans aucune emphase, puis s’ensuivent quelques les quelques plans sur notre narrateur qui se fond dans les images du passé puis regarde ce que sont devenus les lieux où ont eu lieu l’immolation. Est-il perdu dans la contemplation du passé ? Est-il résigné par l’échec du combat révolutionnaire, puisque dix ans après il subit la dictature ? Ou, plutôt, il choisit in extremis de croire que la lutte passera par un plus jeune que lui. On peut voir dans cette fin un sentiment de fatalité -toute coréenne- par rapport à un combat sans cesse à mener, mais c’est aussi l’assurance que ce combat est le bon, quelles que soient les difficultés qui vont peser sur lui. Cette force tranquille vient sûrement de la façon unique au monde dont le film s’est financé : 7646 personnes ont apporté leur contribution, et leurs noms sont tous au générique de fin. D'où une impressionnante liste-pétition qui défile dans le silence, un acte politique bouleversant et enthousiasmant, le plus beau moment d’un des rares bons films politiques.