Xavier Chanoine | 3.75 | Un modèle de film à suspense réussi |
Ordell Robbie | 3.5 | No bullets over summer. |
Bande annonce
Comme quoi la réussite d’un film tient à peu de choses. Très peu car au final, le film de Nomura Yoshitaro est formellement sans surprise, mise en scène pétaradante de modernité et de fluidité et tout aussi bien cadré qu’un Entre le ciel et l’enfer (Kurosawa, 1960), belle référence du film à suspense. Il est également bien joué, Ohki Minoru en enquêteur charmant, Miyaguchi Seiji en inspecteur de police blasé par un tel temps, une Takamine Hideko qui simule les larmes avec une certaine réussite, difficile de trouver à redire à une époque où chacun confirmait l’étendue de son talent chez un cinéaste pas aussi proche qu’un Naruse ne pouvait l’être avec Takamine Hideko par exemple. L’art de diriger ses comédiens au service d’un scénario de l’immense Hashimoto Shinobu adapté d’un roman policier du non moins célèbre Matsumoto Seicho. On reconnait d’ailleurs la pate du romancier par ces nombreux plans de trains parsemant le film au gré des déplacements des deux enquêteurs. La longue introduction au sein d’un train est à ce propos un modèle d’ambiance moite désagréable, empaquetés comme des bovins dans des wagons aux sièges tous occupés, les enquêteurs passent le temps comme ils peuvent en attendant d’arriver à Kyushu : plans sur les masses transpirantes, les écriteaux des gares en approche, les éventails en mouvement ou encore ce qui semble être l’unique ventilateur du wagon. Le scénariste exploite d’amblé parfaitement l’étroitesse des lieux (le train, la chambre d’hôtel), alourdie par une chaleur omniprésente.
L’intérêt de Stakeout est également de ne pas se situer au niveau d’un film d’enquête mainstream. Ici, le cinéaste privilégie l’attente, la patience voir l’impatience, sans que le rythme ne s’en retrouve mis en pièce pour autant. Le sentiment de renfermement, de suspicion (les propriétaires de l’hôtel s’interrogent sur les actes de ces nouveaux arrivés) ou encore cette sensation de suivre une jeune femme, Takamine Hideko, somme toute normale et plus du tout liée au criminel renforcent les doutes de chacun, déjà bien assommés par un climat particulièrement lourd. Le temps n’aura pas pour autant raison des enquêteurs, bien décidés à camper une semaine pour mettre la main sur le criminel. Stakeout est à ce niveau un exemple de « grand petit film » : l’artisan populaire Nomura Yoshitaro ne brille pas ici pour ses audaces, mais pour son sens génial du rythme et du suspense. Si la musique annonce en général une situation tendue, c’est l’excellent montage et le côté contemplatif de la mise en scène qui posent les bases mêmes du suspense émanant de cette œuvre suintante : cette caméra distante d’une Takamine Hideko suivie de près –ou de loin- par Ohki Minoru et Miyaguchi Seiji, ce déluge de pluie qui permet à Ohki Minoru de se camoufler derrière un immense parapluie pour suivre la jeune femme ou bien l’effet de foule en guise de couverture. Tout l’art du cinéaste est de créer la tension et le suspense par le simple déroulement d’une journée, d’un changement climatique soudain, de gros plans sur les visages transpirants cachés derrière une paroi. Et qu’importe si la conclusion du film est expédiée, le but même du film était de jouer sur les codes tournant autour de l’attente aussi désagréable et ennuyeuse soit-elle. Sauf qu’ici, il n’est jamais question d’ennui.