Ordell Robbie | 4.25 | Eté unique |
Summer Soldiers est un film assez unique dans l'oeuvre de Teshigahara et dans l'histoire du cinéma japonais. Tout d'abord, il s'agit de son premier long métrage de fiction non scénarisé par Abe Kobo. Mais il est également unique parmi les films de la même époque évoquant l'occupation américaine. Car meme s'ils ne diabolisaient pas l'occupant, Suzuki, Fukasaku et Imamura se plaçaient côté japonais. Or ici le film est fait principalement du point de vue américain, mais pas de n'importe lequel: celui de déserteurs recherchés dans tout le Japon par l'armée américaine. Si l'un des déserteurs s'adresse à la caméra pour exprimer son dégoût de tuer et son regard critique vis à vis du Viet-Nam, les deux autres ont des attitudes diamétralement opposées: l'un choisit une vie de fuyard permanent tandis que l'autre essaie de se fondre dans la masse de la société japonaise. Ces trois voix, bien loin de donner une impression de film décousu, se complètent pour offrir un panorama fascinant du Japon occupé.
Et à l'instar d'un Immamura, Teshigahara va offrir un beau tableau de la détermination des femmes pendant les périodes d'instabilité historique. Comme chez son contemporain de la Nouvelle Vague, cette détermination des femmes s'incarne au travers de personnages de prostituées qui recherchent leur compagnon disparu, cachent leur Gi dans une armoire à l'arrivée des enqueteurs américains et l'aident à se fondre dans la masse en le mettant en contact avec des organisations d'aide aux déserteurs incapables de comprendre leur détresse. Et quand la lassitude ou le laisser-aller s'empare de leur compagnon, ce sont elles qui le rappellent à l'ordre, lui remémorent leurs sacrifices. En se plaçant ainsi du côté des réprouvés, Teshigahara se met hors de portée du risque d'une vision traitant de façon inégale occupant et occupé, ce que n'évitera pas toujours Kim Ki Duk dans son plus inégal mais notable Adress Unknown.
Côté réalisation, le filmage fait de caméras portées hésitantes et de cadrages parfois approximatifs devrait couler le film mais il n'en est rien: au contraire, ce filmage donne son cachet d'authenticité à l'oeuvre, souligne l'intention de Teshigahara de filmer l'occupant au plus juste, avec sincérité, sans préjugés. Le score de Takemitsu Toru offre un beau contrepoint aux vélléités réalistes du film en lui donnant un aspect étrange comme s'il se faisait l'écho de personnages au regard plein d'acuité mais hors la société. Summer Soldiers prend ainsi sa place parmi les grandes réussites de ce cinéaste issu du documentaire.