Xavier Chanoine | 2 | Un certain intérêt tout compte fait... |
Plus que tout autre film coréen, Sweet Dream possède une vraie valeur historique, ce dernier est en effet le plus ancien film coréen parlant à avoir été retrouvé par les maisons d'archives cinématographiques (en l'occurrence ici le China Film Archive). Les documents d'époque voyaient en Sweet Dream un film particulièrement choquant et peu commode dans la mesure où il dressait le portrait d'une femme fatale, Ye-Soon, qui préférait penser à sa petite personne plutôt que d'aider sa fille et chérir son mari autoritaire. La définition même de la femme fatale peut se ressentir dans une séquence où Ye-Soon espère trouver dans un luxueux magasin de vêtements la robe la plus chère possible, avant de tomber sous les charmes d'un gentleman criminel. Remettons-nous dans un contexte où le cinéma coréen n'autorisait guère pareille image de la femme, sûrement fallait-il attendre Madame Freedom vingt ans plus tard avant de voir pareil portrait de femme moderne bien décidée à l'ouvrir. Ici, Ye-Soon n'a que faire de la voix menaçante de son mari, ni même de la fragilité de sa fille, préférant trouver une vie plus excitante à Séoul dans les bras d'un type douteux. Coup de projecteur sur une femme moderne, agaçante dans son attitude et dans sa nonchalance qu'elle paiera d'une manière ou d'une autre. C'est aussi l'une des limites du cinéaste qui n'aura pas "osé" aller jusqu'au bout, préférant démontrer qu'une vie pareille mène forcément à l'échec, à l'autodestruction ou au pire des cas la mort, simplement pour avoir laissé de côté sa fille (symbole de la jeunesse à forger pour l'avenir solide du pays) et son mari. Et du fait que sa philosophie de vie soit toute autre que celle suggérée par la société, elle tient ici un rôle de femme méprisable qui doit forcément payer ses fautes, notamment dans une des séquences de fin où le taxi qui la transporte heurte sa fille de plein fouet. L'état critique de sa fille la poussera au suicide. Si l'on doit comprendre quelque chose dans le message véhiculé par Yang Ju-Nam, c'est sans doute que l'excès ou toute nouvelle perspective de vie qui s'éloigne un temps soit peu des coutumes du pays représente un danger, une erreur à ne pas commettre? Où critique t-il alors l'irrespect d'une femme pour sa famille, qui plus est entretenant une liaison avec un criminel et passant son temps à gaspiller son argent à droite à gauche? Les possibilités de lecture sont ainsi particulièrement nombreuses, notamment lors du plan final tétanisant (le dernier soupire de Jeong-Hee signifie t-il qu'elle ne respire plus?) où le mari de Ye-Soon se retrouve dans une position particulièrement inconfortable face à la destruction de sa famille.
Techniquement le film est plus intéressant qu'un Fisherman's Fire. Le cadre est davantage travaillé, la gestion du point donne lieu à quelques moments très esthétiques notamment lors d'une discussion où Ye-Soon au premier plan donne la réplique à un autre au second, totalement flouté. Essentiellement composé de vignettes fixes, le film joue la carte d'un certain classicisme formel n'ayant parfois rien à envier aux grands des studios nippons durant l'âge d'or. Les séquences en voiture donnent aussi un joli panorama du Séoul d'antan (la capitale ne s'appelait pas encore ainsi à l'époque) offrant par ailleurs un aspect quasi documentaire à l'oeuvre. Reste une nouvelle fois cette question sur le montage. Sweet Dream souffre moins du poids des ans qu'un Fisherman's Fire mais accuse quelques incohérences au niveau de l'intrigue, le satané syndrome de l'enchaînement de scènes sans grand lien logique pointe le bout de son nez plus d'une fois sans pour autant perdre complètement le fil. Reste que l'ensemble est bien plus regardable que le film de An Cheol-Yeong, charcuté dans tous les sens jusqu'à perdre une grosse partie de son intérêt à cause des pertes. Côté couac, Sweet Dream fait preuve d'une mollesse à toute épreuve, les séquences d'action en fin de métrage faisant légèrement pitié et l'interprétation générale oscille entre sale guimauve et surjeu dans le registre du mélodrame. On y trouve plus de choses dans la belle direction artistique et dans le filmage plus inspiré. Avouons tout de même que voir Sweet Dream est à présent une chance, à l'heure où une partie de la cinéphilie française (mondiale?) s'offusque face à l'absence d'intérêt porté au patrimoine cinématographique coréen.