Sous, les guerriers de la montagne de fric
« Enlève ton uniforme ! » conseillait à un ami le personnage joué par Tony Leung KF à la toute fin de A Better Tomorrow 3. Il est surprenant en 2015 de découvrir un film de guerre signé d'un artiste qui concluait ainsi un tel pamphlet antimilitariste. Datant de 1989, ABT3 faisait alors écho, dans la fiction, à l’histoire de Chine et au drame contextuel de la place Tian'anmen. Depuis, une rétrocession est passée par là et la concession bat son plein.
La bataille de la montagne du tigre. Tsui Hark a beau pondre ce remake un brin pompier du film originel – suranné et imbouffable - sous l'angle d’une certaine nostalgie, il exécute tout de même une œuvre de command(o) qui revêt les atours du film de propagande. Cette nostalgie partagée jusqu'aux larmes par les aficionados dès l’introduction, qui nous renvoie à notre propre nostalgie quant aux wu xia 90’s (de Tsui), nous surprend tout de même un peu, arrêtés que nous sommes à l’influence dominante - et cohérente - de King Hu.
L'aspect serial sauve les meubles et assure le show. Le talent formel indéniable et les brouzoufs – quelle 3D ! - nous en mettent plein les mirettes et équilibrent un peu ce blockbuster aux personnages archétypaux et au pathos risible. Si risible qu’on frôle par endroits la dernière boursouflure coréenne de Kang Je-Gyu (Far Away).
L’artiste nous présente des résidus d'un passé désormais révolu. C'est une lapalissade derrière laquelle (hum…) un enfant directement importé de The Blade observe son environnement. Voyeur usuel de la filmographie du maître. Mais, tout comme un héros glisse par terre « à la » Time and Tide dans une scène d’action, ça n'est plus qu'un décalque sans âme, un gimmick, une vignette. Tsui ne révolutionne pas le film de commando primaire non plus, à mon sens toujours dominé par le Eastern Condors de Sammo Hung, pas fin mais über fun, et même par le récent 47 ronins avec Keanu Reeves, peut-être plus culotté finalement. Car, un peu feignasse rayon martial, Tsui va jusqu’à snober les coups de tatane alors qu’il a Xing Yu sous le coude. Il choisit de s’en débarrasser salement sur la petite finale, ce qui est d’autant plus dommage que dans Flash Point son personnage s’appelait… « Tiger ». Au lieu de ça, il nous gratifie d’un héros barbu à lui seul symbole de la grande et fière Chine, qui rejoint le flic du dernier Johnnie To, Drug War, tout aussi dévoué à la cause. Il est aidé d’un brave soldat sympa prénommé… 203, qui n’est qu’un numéro, donc, ce qui lui convient parfaitement. "Jamais 203 !" dis-je. Plutôt 1984. Ou 1664, il fait chaud.
Patriotique à sa façon, le réalisateur de Green Snake tente bien la feinte en se moquant au 10ième degré de ce type de métrage, un peu comme le faisait Paul Verhoeven dans ses Soldier of Orange et Starship Troopers. Mais la nuance est beaucoup plus légère. On baigne ainsi dans une imagerie sciemment irréelle du début jusqu’à la toute fin. Par exemple, à des soldats heureux de trouver hordes munitions, Tsui Hark oppose un cuistot annonçant qu'ils n’ont plus rien à manger. Puis de servir la soupe à la Chine mainland en nonobstant tout ce que cela devrait impliquer sur le moral des troupes et leur implication dans ce conflit aux enjeux obscurs. Fait exprès ? Afin d'appliquer des stratégies confuses, les forces en présence échangent progressivement leurs uniformes au fur et à mesure que se déroule le film, de telle sorte qu'au bout du compte bien malin qui saura qui sont les méchants, qui sont les gentils. Sauf que les vilains sont moches, fument de l’opium et affichent des tatouages. Préférez-vous vous identifier à un brave soldat chinois obéissant au sourire colgate ou à un vilain bandit pas beau, tout aussi obéissant mais qui refoule grave du goulot ?...
Excellemment bien grimé, Tony Leung KF nous gratifie, lui, d'un bad guy mémorable qui inspire notre Dieu moustachu à chacune de ses apparitions. Ce vieux complice incarne toujours une partie de son âme. Dans Detective Dee, il figurait sa révolte violente, tempérée par cette autre plus pragmatique, posée, diplomatique et un peu louvoyante de Hark qu’était Dee. Sur un tournage, Tsui a toujours été réputé Tyran lui-même. Ambivalence. Ici, le personnage de TLKF, le roi des aigles – en passant : les CGI pourris de ROOT 2 sont bien loin ! - règne sur une institution parmi d'autres qui ne sont toutes qu'organes de pouvoirs divers et variés. Blasé, cynique, il en est conscient, et à Tsui, à doses homéopathiques, de suggérer à son public de prendre conscience à son tour de cette absurdité. Pour exister, est-on condamné à devenir le chef d’un micro-truc ? Est-ce là un hymne caché à l’entreprenariat, à la prise de décision, à la démoutonisation générale ? Ou plonge-je dans l’analyse typiquement française, de celle qui s’évertue à systématiquement rechercher un discours de gauche dans le dernier Clint Eastwood en date ?
S'il esquive de peu l’embrigadement abruti propre au film de propagande, il n’en demeure pas moins que ce bel objet de consommation issu de l’industrie du divertissement chinois n’apporte pas grand-chose au schmilblick pour le cinéphile lambda. Qui, lui, mange ce qu’on lui met dans sa gamelle. De la bouffe de substitution, du mouton cloné en tranches gavé d’opium.