Sonate vérité
Après s'être adonné de nouveau au film d'épouvante poétique avec son excellent et très surprenant Rétribution, Kurosawa Kiyoshi revient là où on ne l'attend pas, c'est à dire dans la chronique d'une famille japonaise moyenne en plein Tokyo. Le cadre est immédiatement posé puisque le cinéaste expose sa ville, son Tokyo par l'intermédiaire de plans aériens labyrinthiques de toute beauté annonçant à la fois l'avancée technologique du pays mais aussi son aspect compacté, replié sur l'extérieur, les seuls moments d'évasion étant symbolisés par les passages de trains rythmant le récit par son bruit et sa vitesse. Surprise de voir un Kurosawa à l'ouest de son domaine de prédilection (les films de genre, les films d'épouvante) démarrant sur un magnifique plan épuré qu'on aurait pu voir chez Ozu ou Naruse, où Megumi ferme la porte de sa maison suite à un début de tempête. Le spectateur, sans trop le savoir, vient pourtant de voir les premiers signes de l'explosion familiale qui trouve un début lorsque Ryuhei apprend son licenciement suite à la délocalisation de sa firme à Dalian (Chine). De tempêtes en naufrages, la famille tente pourtant de garder le sourire : Ryuhei n'a pas le courage d'avouer son licenciement de peur de perdre sa fierté et son autorité de père. Son fils Kenji vole l'argent mensuel de la cantine pour se payer des cours de piano en douce et Takashi l'aîné se fait de plus en plus en rare, après avoir distribué des tracts de publicité dans la rue, il souhaite quitter son foyer pour s'engager dans l'Armée aux Etats-Unis. Pendant ce temps là, Megumi prépare le repas tous les jours. C'est donc ainsi que l'on découvre cette famille japonaise tout ce qu'il y a de plus classique avec le salaryman, la femme soumise aux occupations ménagères, le plus jeune rêveur et le plus grand libre comme l'air et c'est à cause d'un simple licenciement que tout va basculer : peu fier de faire la queue à l'ANPE locale, Ryuhei continue de faire comme si de rien n'était en allant tous les matins au boulot et en prenant son repas aux cantines du peuple avec d'autres salarymen dans son cas. Le travelling balayant la queue devant le kiosque est édifiant : les salariés en costume côtoient les SDF.
Kurosawa Kiyoshi démontre aussi que l'honneur et la fierté sont des éléments indissociables dans la vie du japonais moderne, comme le collègue de Ryuhei lui aussi au chômage qui programme la sonnerie de son portable toutes les heures pour simuler un appel téléphonique et paraître ainsi "comme tout le monde" aux yeux de ses amis et de sa famille. Cette sonate n'a pourtant rien de très drôle malgré quelques passages savamment inspirés rayon humour. Les dégâts prennent de plus en plus d'ampleur à mesure que le mensonge se fait trop lourd et les liens intrafamiliaux perdent de leur solidité. L'absence de franchise ne fait qu'attiser le malaise et le mal-être du couple, notamment dans une séquence où Ryuhei met les pieds sous la table et ingurgite une bière sous le regard médusé de sa petite famille : les us et coutumes sont balayés en l'espace d'un plan, amusant certes, mais révélateur d'une situation qui n'est pas comme d'habitude. Cette habitude est pourtant nécessaire à la prospérité de la famille et ici ce ne sont pas les problèmes financiers qui détruisent le foyer, mais simplement le fait de ne pas assumer sa nouvelle vie : ne pas assumer de nettoyer la merde dans un grand centre commercial, ne pas assumer la perte de crédibilité aux yeux de sa femme et de ses enfants (par peur, Ryuhei utilisera la force pour faire parler son autorité déclinante auprès de son plus jeune fils) et le fait de ne pas vouloir changer sa mentalité sur la société actuelle. Pourtant promis à un bel avenir de pianiste, Kenji essuiera le refus de son père d'entrer dans un conservatoire de musique prestigieux. Le déclin de cette famille est finalement dû à l'absence de communication. Il n'y a pas de "c'est pas si grave", c'est tout ou rien, et Kurosawa signe une magnifique réflexion sur la société japonaise actuelle condamnée à la réussite. Pourtant, cette tempête ne débouche pas sur une structure narrative pessimiste malgré les nombreuses fausses pistes du cinéaste (l'accident de Ryuhei, l'arrestation de Kenji, la peur que l'aîné se fasse tuer à la guerre, la prise en otage de Megumi...), et le film de se terminer dans un élan d'optimisme confinant au "retour à zéro" un chouya moraliste mais droit sur ses épaules, dans la plus belle continuité de ce que nous venons de voir.
Le film rebondit d'ailleurs de plus belle lors de l'apparition hallucinante de Yakusho Koji dans la peau d'un criminel amateur illuminé. Et si son personnage est si mal, c'est tout simplement parce qu'il fait parti lui aussi des membres des "rejetés" de la société (chômage, pas de femme ni d'enfants) trouvant un semblant d'espoir en la personne de Megumi après une tentative de cambriolage et de rapt ratés. La séquence où il laisse Megumi aller seule au centre commerciale est remarquable de pathétique, accentuée par l'étrange et entêtante musique et par ces plans fixes à la Kitano. Saluons d'ailleurs une belle utilisation du hors champ et de l'ellipse donnant ainsi un aspect presque surréaliste à l'oeuvre (les traces de la 207 cabriolet en direction de la mer en fin de métrage) et un léger goût pour le fantastique (Megumi rêvant du retour de son fils après la guerre) et nous sommes bien en présence d'un film de Kurosawa Kiyoshi. Pourtant, si l'oeuvre arrive à être touchante du fait de ses vérités et du ton très épuré négocié par le cinéaste, elle trouve ses faiblesses dans l'épilogue de l'épisode Yakusho Koji, trop long et presque auteurisant dans son discour. Ceci étant dit le film est ponctué de moments de grâce comme ces superbes plans aériens de Tokyo ou le soleil se réfléchissant sur le visage de Megumi (impeccable Koizumi Kyoko), un procédé certes très appuyé pour signifier un "nouvel éveil", mais l'ensemble est si bien négocié que l'on pardonnera l'effet de manche un peu grossier et les quelques petites longueurs du film pour toute personne ne se sentant pas concernée par les remous de la société Tokyoïte. Beau parce que vrai, étalant les difficultés des générations à évoluer dans la société (aussi bien chez le petit Kenji que chez le père autoritaire), Tokyo Sonata est un virage parfaitement bien négocié dans la carrière de Kurosawa qui prouve qu'il peut faire autre chose que des thrillers.
La vie du cinéma
ATTENTION SPOILERS ET IDEES PRISE DE TETE
Kurosawa Kiyoshie est un homme en colère. Un homme fortement déçu par sa société (japonaise), par son métier, par la vie. Un homme en plein doute, torturé – et qui ne voit finalement un avenir plus brillant que par le talent des générations à venir.
"Tokyo Sonata" peut être regardé comme une petite chronique familiale un peu auteurisante. Un père de famille, qui tente de se raccrocher vainement aux anciens codes d'un système obsolète, où le padre régnait comme un souverain et qui dictait la conduite (et le chemin) à suivre à sa femme (uniquement considérée mère de son enfant) et – surtout – son fils; mais voilà, la société évolue, ses fils n'en font qu'à leur tête (pire insulte: l'aîné veut rejoindre l'armée AMERICIANE, cet espèce d'occupant oppresseur, qui aura apporté tant de mal et de souffrance du temps du père pour s'en aller combattre en Iraq, un combat, que le Japon ne cautionne pas du tout, tel montré dans "Bashing") et il se retrouve au chômage, l'une des pires humiliations, qui étaient du temps de sa jeunesse. A travers l'image du père, qui se lève, s'habille et entretient l'illusion de continuer à aller au travail, Kurosawa dénonce donc cette sempiternelle façade, que le Japon avait réussi à construire et qu'une partie de l'actuelle jeunesse tente de dénoncer et de faire voler en éclats (déjà traité dans son "Bright Future / Jellyfish"). Côté "auteur", nous avons les images des quelques "morts", moins un clin d'œil à ses autres films, que l'idée fixe de l'auteur, qui pense, que les morts cohabitent avec les vivants; et la soudaine intrusion du personnage du kidnappeur, qui a les traits de Yakusho Koji et qui va mener ce drame vers une comédie plus débridée, servir de premier catalyseur pour annoncer la fin heureuse.
Puis arrive cette fin, qui en a laissé plus d'un sur le carreau. Ce soudain happy-ending, alors que tout le monde broyait du noir, ce trop-plein de bons sentiments, qui semble tomber comme un cheveu sur la soupe.
Ben non.
Il s'agirait plutôt d'une fin en parfait prolongation de ce qui a précédé.
Car au-delà de cette simple chronique, "Tokyo Sonata" est un vrai film d'auteur…ou plutôt le film d'un auteur. Un film incroyablement personnel, à travers le réalisateur ne véhicule pas seulement ses propres réflexions sur sa société (le personnage du père, discuté plus haut), ses humeurs (de l'état dépressif on passe à un côté plus délirant, comme l'humour du condamné de mort, qui sera presque forcé et survolté en même temps jusqu'à la finale, ouvertement optimiste) et surtout…son métier d'artiste.
Derrière le portrait du père, on sent le propre vécu du réalisateur, bridé par son père, s'étant battu vents et marées pour pouvoir exercer le métier dont il rêvait tant: le cinéma. Au-delà de la simple évocation de son propre souvenir, Kurosawa dresse également un habile parallèle avec tous les autres cas d'enfants, brimés par l'autorité parentale et le système tout entier pour exercer un métier "honorable". La musique ne devrait servir que comme passe-temps et ne recourt en aucun cas à un quelconque talent et/ou génie.
Ce n'est qu'en "brisant" véritablement le personnage du père, en lui faisant effecteur les tâches les plus basses (ou du moins considérées comme plus basses, car il n'est finalement rien de déshonorable, ni ce n'est le pire métier qui existe…) en lui faisant nettoyer pisse et urine dans les toilettes publiques, que le père s'ouvre à des nouvelles choses…Kurosawa est même pire: il va symboliquement "tuer" son personnage (par un automobile, fleuron – avec l'électronique – de l'ancien modèle économique nippon), pour le faire ressusciter avant de pouvoir pleinement apprécier la vie.
Le père est alors prêt à aller écouter son fils jouer du piano – et ce qu'il va entendre va dépasser tout entendement.
Cette dernière scène est tout simplement ma-gni-fique, l'éclosion du plein talent d'un fils, qui y avait toujours crû, même en s'entraînant sur un vieux clavier muet. Cette fois, il peut donner corps aux notes, exprimer son propre être – à la différence du père, qui – là encore – est obligé de rester un simple spectateur muet. Il a fait son temps, il a eu l'occasion de l'ouvrir; mais au moins est-il le géniteur du futur talent en devenir.
Mais le film ne s'arrête pas là: sous nos yeux, le CINEMA est né et Kurosawa pousse le vice jusqu'à confondre son message cinématographique avec la réalité en laissant jouer la bande-son, alors que défile le générique sur fond noir. Parallèle extraordinaire de la musique, qui S'ECOUTE avec les oreilles, au lieu de se boire avec les yeux, il incite à prendre conscience de notre environnement, MAIS fait également le lien avec ses personnages (fictifs) de l'écran, qui se lèvent de leurs chaises, au même moment, que les audiences du monde entier se lèvent pour quitter la salle.
Moment magique, vécu dans la salle du 60e du Festival de Cannes 2008, lorsque les bruits de l'écran noir se confondaient avec les spectateurs quittant la salle. Kurosawa, en étant peut-être très inégal, est avant tout un AUTEUR et l'un des rares cinéastes à avoir fait passer le message, que le cinéma, ça se VIT.
Un scenario bateau repris par KUROSAWA Kiyoshi
Cet essai de style (ou changement de cap, on le saura bientot) de la part de KUROSAWA Kiyoshi est plutot reussi, malgre un scenario sans trop d'originalites que l'on a deja vu a de nombreuses sauces, que ce soit en Asie ou en occident d'ailleurs. La longue descente aux enfers de cette famille contraste l'ascension de l'enfant au piano. Le choix de ses acteurs a ete determinant, car les personnages donnent une impression de realisme assez frappante. Un film a voir, mais qui souffre de defauts visibles.
Histoire d'une famille tokyoite
A mes yeux, Tokyo Sonata est un concentre de ce que la vie de maniere generale nous reserve, a savoir une sucession de hauts et de bas, et surtout de bas. Le tout est pousse a son paroxysme car transpose a une famille tokyoite, en quelque sorte exemplaire de ce que pourrait etre une famille japonaise urbaine ou de ce que l'on pourrait en imaginer : un pere autoritaire qui travaille pour subvenir aux besoins de sa famille, une femme au foyer qui prepare de bons petits plats a sa petite famille et qui gere la "maison" avec le salaire mensuel en liquide du mari, un ado timide plutot sage, un jeune adulte perdu et invisible...Et puis, un jour, cet equilibre familial apparent se rompt et chaque membre de cette famille bifurque vers une autre destinee...
Le film est tres plaisant a regarder, de tres beaux plans de Tokyo, du quartier ou reside la famille, de l'interieur de leur foyer, de l'escalier de l'ANPE local... Les personnages sont attachants meme si parfois trop cliches. La narration est malheureusement alourdie par des longueurs et par des scenes burlesques decevantes. Neanmoins, le film resplendit de maniere episodique notamment a travers quelques scenes de la vie quotidienne comme les diners a table ou souvent aucune parole n'est prononcee et ou le silence est rompu par le train qui passe a proximite et que l'on apercoit a travers la fenetre de la salle a manger : simple mais efficace.
Un film a voir donc, mais un sentiment bizarre de deception malgre tout.
ANPEtit cochon pendu au plafond
Malgré son sujet des plus intéressant,
Tokyo Sonata souffre de son traitement beaucoup trop auteuriste (on sent le père Kyoshi qui voulait le refourguer aux festivals occidentaux - gagné). Je suppose que ça plaira à certains, mais perso j'en ai soupé de ces films volontairement austères où on finit forcément par s'échouer sur une plage.
Même si on se dit que Kurosawa avait trouvé là une bien belle manière de montrer le vassillement puis l'explosion de la structure familliale traditionnelle suite au chomage du chef de famille qui fait tout pour protéger son autorité en cachant ses déboires. Dommage que le film renonce à cette image pour un final dont on ne sait trop quoi penser (sauf qu'au bout de quelques mois de piano le gamin roxe Debussy comme un pianiste septième dan, donc je pardonne).