Performance
Le film à sketches est par essence un genre inégal. Le meilleur cotoie souvent le pire et l'ensemble frise parfois le cache-misère. Ici, par contre que du bon dans ces trois moyens metrages qui, bien que très différents dans la forme et le ton, parvienne à créer une cohésion d'ensemble étonnante. Tokyo est incroyablement bien captée au travers de ces récits imaginatifs et poétiques qui révèlent avec talents la mélancolie qu'abrite la cité tentaculaire ultra moderne. Un grand bravo à trois réalisateurs incoutournables et fort judicieusement associés.
Court pour des courts...
Très inégal, pourrait-on dire dans une posture analytique. Bof, ai-je finalement dit dans une posture avachie... Y'a de l'idée, du thème, de l'émotion, des sfx, des clins d'oeil, de la déconstruction... Mais bof quoi. Le premier segment de Gondry est sympa, ça fait film au moins. Le second, de Carax, il aurait dû être retranché du prix du billet : mal foutu, mauvaise farce qui ne trouve grâce que par l'utilisation du thème musical de Godzilla et un plan dans les sous-sols de tokyo qui aurait pu être tiré d'une histoire courte d'Otomo... Le dernier segment de Bong Joon-Ho renoue avec de l'idée et de l'émotion. Le plus consistant mais là encore on reste sur sa faim. L'ensemble donne une impression de vite fait et vite torché avec plus ou moins de réussite, d'application et d'intelligence.
26 octobre 2008
par
Astec
« Envoyé Spécial à Tokyo »
« Dans ce numéro entièrement consacré à Tokyo, vous verrez les difficultés qu’ont les japonais pour trouver un logement dans cette grande ville fourmillante, les répercussions sur leur vie de couple ; puis découvrirez les conditions de vie d’un expatrié, là-bas, de ce que les japonais perçoivent de lui. Enfin, vous aurez un aperçu d'un phénomène grandissant au Japon, celui de ces jeunes adultes appelés « Hikikomori » qui ont choisi de s’isoler, seuls, chez eux, à l’écart du monde et, surtout, à l’écart des autres… »
J’exagère à peine tant le ressenti d’avoir vu une sorte de docu-fiction illustrant le paragraphe précédent prédomine à la sortie de la salle. Mais, mais, mémé met met les p’tits plats dans les grands, les réals ne sont pas des manchots et chacun surprend, titille notre cortex et nous pond de la vraie réflexion sur l’urbanisation,
BONG Joon-Ho en preums (si, si !). J’ANNONCE : je vais spoiler un max donc don’t lisez plus loin avant d’avoir vu le film por favor. Si vous avancez plus loin, c'est à vos risques et périls.
Photo de gauche : les trois réalisateurs prennent la pose. De gauche à droite : Gondry, Carax et Bong. Sur la photo de droite, Denis Lavant s'en vient mettre le boxon à Tokyo.
On commence avec un p’tit générique animé nous présentant Tokyo, de nuit, capitale naïvement représentée d’éclairages au néon dispersés un peu partout en haut de grands buildings. Paf, me voilà une 20aine d’années en arrière en train de mater le début d’
Akira et son
« An 2019, Néo-Tokyo, 38 ans après la troisième guerre mondiale… » avec cette même entrée en matière colorée.
Michel Gondry démarre les festivités gentiment, prolonge la vie de son couple de
La science des rêves, un artiste rêveur et une femme un peu plus pragmatique, en train de se perdre à cause de cet homme aimant, finalement, plus les nuages que sa femme en nage. Le premier chapitre est juste sympathique, relève de l'aimable tranche de vie, jusqu'à ce qu'il décide de sombrer sans prévenir dans le fantastique en nous montrant cette femme se sentir à ce point inutile qu’elle se transforme petit à petit en… chaise. Une jolie chaise, certes, mais une chaise quand même. L’effet spécial est tout bonnement monstrueux, renvoie aux transformations les plus marquantes (celles de
Rob Bottin pour les plus vieux) ainsi qu’à tout un pan du ciné japonais, celui de
Kyoshi Kurosawa, principalement, avec ses fantômes victimes du bitume, mais aussi celui de
Tsukamoto le temps d’un ballade de notre héroïne, dans le métro, enrubannée d’un cordon d’aspirateur autour du cou. Si ça ce n’est pas du GROS clin d’œil à
Tetsuo je veux bien me faire appeler Arthur (
« Aaarthur, à taaable ! »). Ce qui est là déstabilisant c’est qu’un occidental a réalisé ce film avec des japonais. Ce qui l’est plus encore : c’est tiré d’une BD dans laquelle l’action se passe à New-York. Grosse pomme et Tokyo : sont-ce des villes interchangeables ?…
Dans la foulée,
Carax nous pète son câble direct, ne fait aucune concession en foutant le boxon dans Tokyo, y lâchant un
Denis Lavant hystérique – aucun lien de parenté avec
Dominique Lavanant -, symbole à lui tout seul de la chaîne
Arte avec sa tronche hallucinée d’excentrique et l’habitude qu’il a de se balader à oualpé un peu partout. De la pure provoc’ qui fait du bien par où ça passe – BLAM les grenades en pleine ville ! -, qui fait aussi cogiter sur le way of life urbain global tout en abusant un peu sur la raison du bidule. En gros : pourquoi pas, mais sinon pourquoi en fait ? Rien, c’est anar à fond les ballons et ça défoule grave sa reum. Ok, ça me va, ça change du héros post-2000 proactif pseudo rassurant, toujours hyper bien sapé qu'on voit partout à la télé. J'ai franchement éclaté de rire à plusieurs reprises pendant ce sketch, en particulier lorsque notre olibrius se met à parler dans sa langue de frapadingue. Un chouette caca que cette « Merde » (c’est le titre du court), qui se termine par un "Bientôt : Merde à New York !". Grosse pomme et Tokyo : sont-ce des villes interchangeables ?…
BONG Joon-Ho clôture le triptyque avec son cyclo coincé dans du lierre, notre hikikomori d’Envoyé Spécial qui ne sortira de chez lui qu’après avoir rencontré l’amour en la personne d’une jeune et belle livreuse de pizza. Sous couvert de broder autour une fable simpliste et convenue, à savoir surfant largement sur la vague manga et le phénomène Pantsu
(*) dont j’ai d’ailleurs causé dans la dernière maj anime (BONG Joon-Ho avoue bien volontiers être un gros fana de mangas), le réalisateur mime le pilote d’une série typique pour mieux la retourner comme une crêpe, renie les habituelles hypocrisies de ce genre qui aime à caresser usuellement dans le sens du poil son public, son consommateur - le hikikomori, suivez - ; et en décèle les travers. Au consommateur premier d'être le plus perspicace en fin de compte. L’espace d’un court métrage, il explique comme personne la mode de ces films en vogue dans lesquels vous voyez un type grosso-modo seul au monde (
Je suis une légende,
Seuls Two,
Wall-E,
28 jours plus tard…) en nous en proposant la raison. De l’homme souhaitant rester seul chez lui et éviter tout contact avec les autres, on passe à l’effet inverse : une fois dehors il ne croise personne, tous les autres font comme lui, et ça n’est qu’à l’occasion de catastrophes naturelles que les gens vont amener à se croiser, se parler. Il faut un événement fort, extérieur, pour casser cela. Ici, un tremblement de terre. Vous vous rendez compte de l’énormité du truc ? Le cinéma est un voyant, l’état des lieux d’un sentiment collectif, il progresse d’une étape vers une autre. D’abord
Matrix-
Dark City-
Truman show-etc rendaient compte d’un malaise quant à un monde fictif, du pourtant – sensé ? - réel ressenti comme virtuel à cause de tout un tas truc (ce qu’on commence à capter avec la domination de l’argent virtuel d’ailleurs, qui n'a rien à voir avec la nocivité d'un jeu vidéo, l'un étant parasitaire, l'autre bénin) ; puis la solitude, affreuse, étouffante, mais aussi paradoxale, qui, elle, pour disparaître, n’attend pas un héros mais un événement fort, n’importe lequel, une horreur même, qui remettrait tout en place. Prochaine étape : une guerre débile, une catastrophe naturelle, et pas nécessairement au cinéma. Horriblement grandiose ! Et concept assez vertigineux, pour une ambiance fin du monde parfaitement dans l’air du temps. On va tous crever ! Ca n’est plus une bête peur de fin du monde comme pour le bug de l’an 2000, non non, là il s’agit d’un souhait ! Un souhait collectif d’autodestruction ! L’acte de révolution n’est tout simplement pas pensé comme de dimension humaine, il n’est juste pas à portée. Dieu, au secours, détruis-nous ! Ca y est, je cède à la panique. Gardons notre sang froid les gars. Au secours ! Que faire ? ? Tout se recoupe : fin du monde, an 2000, hikikomori, hara-kiri, human bomb, 11 septembre... Grosse pomme et Tokyo : sont-ce des villes interchangeables ? Hmm. Bon, je retourne au ciné voir un autre truc,
Les Bodin's tiens, au hasard, en attendant d’avoir une bonne idée. Et j’éteins mon téléphone portable, c’est mieux.
(*) Pour savoir ce qu'est le Pantsu,
chers CinésAmis, n’hésitez pas à consulter notre merveilleux lexique !