Avis Express Tony Takitani n'est pas du genre commode. C'est bien pour cela qu'il a attiré l'attention sur lui, qui plus est adaptant Murakami sur grand écran, en collant sans doute trop fidèlement à l'oeuvre de l'écrivain jusqu'à pomper la structure même d'un livre que l'on tournerait page après page. L'un des aspects les plus marquants du film, avec son rythme très binaire essentiellement composé d'une voix off narrant les aventures de l'artiste suivi des systématiques travellings latéraux distanciés censés mettre en image ce qui est dit et faire avancer le temps, logique du mouvement spatial, c'est sa narration aux antipodes du cinéma mainstream nippon car celle-ci se repose essentiellement sur la parole. Ainsi le film oublie d'être un pur objet de cinéma, préférant jouer la carte du roman illustré, du roman en mouvement, raconté et non raconteur : très peu de séances dialoguées qui vaillent le coup, très peu d'échanges, comme si le monde dans lequel évoluait les personnages était voué à la destruction (physique avec l'accident de voiture, sentimentale avec la solitude de l'artiste). Les apparitions fantômes des personnages, leur grâce de l'instant (admirable Miyazawa Rie), le côté troublant des images (lourde utilisation du flou) contribuent à créer un malaise que l'on pourrait ressentir dans l'oeuvre de Murakami, où le fantastique s'installe dans un univers banal, normal, dans le quotidien finalement. Le score très présent de Sakamoto insuffle au film un parfum de tristesse légitime au vu du chemin plein d'embûches emprunté par l'artiste et ses travers sentimentaux en guise de coup de massue du destin. Le chaos est bien amené par le cinéaste (autrement plus inspiré qu'avec sa dernière oeuvre How to Become Myself) notamment à travers le portait de l'épouse de l'artiste, possédée par le démon de la haute couture, n'ayant quasi d'yeux que pour le beau manteau ou les talons inabordables et qui finira passé ce tourbillon maladif libérée de ce fardeau. En revanche si l'on note une patte esthétique époustouflante de radicalisme, linéaire jusqu'à l'étouffement (les plans larges se content sur les doigts), le procédé tend à la répétition et à l'usage du beau plan pour le beau plan. De plus, la structure très linéaire et particulièrement lente exaspérera les moins courageux d'entre nous/vous, et ce malgré sa courte durée. Mais Tony Takitani est un film qui s'assume jusqu'au bout, terrorisant son spectateur jusque dans son dernier plan génial à plusieurs niveaux de lecture.
Au cinéma, une fidélité trop littérale n’est pas toujours le meilleur service à rendre à l’œuvre littéraire qu’on adapte. Lorsqu’on regarde Tony Takitani, on y sent le film qui à force d’essayer d’adapter Murakami Haruki sur grand écran en oublie de se demander quel film de cinéma on pouvait tirer de la nouvelle d’origine.
En cherchant des «équivalents» stylistiques et de dispositif à l’écriture distanciée de Murakami, Ichikawa ne fait que décliner des procédés formels sentant trop le signe extérieur de caractère artistique. Comme ce montage passant du coq à l’âne censé refléter le désordre intérieur des personnages (et aussi une vision murakamienne du roman comme improvisation de jazz) tandis que la récurrence des travellings latéraux voudrait donner lourdement l’impression que ce que l’on voit à l’écran se passe à l’intérieur du cerveau des personnages. Trop facilement signifiant encore ce travail sur l’image et la photographie pour donner une impression d’absence de contraste reflet du caractère terne de la vie des personnages tandis que les passages où cette dernière s’intensifie un peu sont photographiés de façon vive.
L’usage récurrent de la voix off reprenant des passages du texte de Murakami se met ici à sentir la facilité, le liant artificiel entre une suite volontairement décousue de scènes. Celle-çi trouve d’ailleurs un prolongement dans le film avec des personnages parlant d’eux-mêmes à la troisième personne et prenant le relais de la voix off. Ce procédé de distanciation lassant à la longue n’a ici d’autre justification que d’incarner une équivalence à la prose de Murakami et ne s’insère jamais dans un projet de cinéma un minimum ambitieux. Du coup, voix off et montage font que le film ne dépasse jamais le beau livre d’images «illustrant» la nouvelle. Le cadrage semble ici juste servir à faire joli de même que l’usage récurrent de la focale. Et la mise en scène n’évite pas un certain académisme nippon contemplatif tandis que le ralenti est utilisé de façon convenue pour souligner certains souvenirs. Restent juste le talent d’Ogata Issey et Miyazawa Rie dans leurs doubles rôles respectifs et un score de bonne facture signé Sakamoto Ryuichi.
Mais tout ceci ne fait pas oublier qu’à force de se cramponner à l’art littéraire de Murakami et à la nouvelle originale Tony Takitani n’arrive jamais à exister comme projet de cinéma autonome. Ou alors comme un catalogue de procédés audacieux en surface mais en fait très académiques. En voulant être de l’art, il oublie d’être du cinéma.
Comme le dit Kokoro c'est du cinéma littéraire, avec tout le bon coté intellectuel que ça peut avoir, et aussi tout le coté élitistes. Personnellement j'ai trouvé le tout très finement réalisé, bien joué, et j'ai donc eu beaucoup d'émotion au visionnage. L'histoire des plus décalée, voir débile si on regarde le sujet et la tournure des événements, mais c'est ici magnifier par une écriture et une narration à toute épreuve. Le tous soutenu par une musique sublime et parfaitement adapté, entre le classique et le jazz, à la rahxephon (oui je sais mes références sont un peu décalé).
Très impressionné j'ai parcontre étais totalement déçus par la fin, mais finalement c'est peut-être une des meilleures façons de finir le film, d'une manière peu commune et totalement floue...
Est ce que j'ai aimé ou pas ? Je me pose encore la question. (Ça veut au moins dire que je n’ai pas détesté).
Dès le début, c'est l'image qui donne envie d'en voir plus : j'ai été bluffé par cette façon de filmer le flou, pratiquement aucune scène ne sont "net", ce n’est pas non plus que c'est trop flou, c'est surtout que c'est trop bien fait...
Et la couleur, plus fort que du noir et blanc, que des couleurs "ternes", "pastel", jamais vive à un seul moment, je ne sais même pas comment dire... C'est clair que ce film est très beau.
J'ai bien aimé la "voix off" (la quasi-totalité du film est en "voix off") toujours calme et posée...
Les thèmes du film, j'ai bien aimé aussi : remplacez les vêtements par des DVD, et je n'ai aucun mal à comprendre ce que subit la femme... Quant à la perte d'un être cher, et ce que l'on est prêt à faire pour tenter que cela fasse moins mal...
Même la durée, est impeccable : un peu plus aurait été de trop.
Alors, pourquoi je me pose la question de savoir si j'ai aimé ou non, c'est à cause du rythme, c'est très très mou. Une fois, ça passe, mais est-ce que je serais prêt à le revoir ? Honnêtement, je ne sais pas.
Impossible de noter un tel film, je suis partagé entre sa beauté et son rythme trop mou.
TONY TAKITANI est l’adaptation d’un livre de Haruki MURAKAMI, écrivain régulièrement traduit en France, dont l’œuvre abondante pourrait se définir entre onirisme mystique et sentimentalisme aigre-doux. Ici, le Tony en question est un dessinateur profondément seul qui va rencontrer une jeune et jolie femme et changer de mode de vie, comprenant alors seulement sa solitude passée et le temps qu’il a ainsi perdu, avant que sa destinée ne le rattrape à nouveau et lui propose finalement une nouvelle alternative possible, libre question d’interprétation comme souvent chez l’écrivain japonais. Sur ce scénario fort simple, le réalisateur Jun ISHIKAWA va développer une cinématographie inédite, sorte de littérature en images privilégiant les impressions aux démonstrations. Ce moyen métrage est en effet la description linéaire de la trajectoire solitaire de Tony, sans la forme narrative habituelle mais avec une caméra se focalisant sur une situation précise représentative de l’évolution du personnage et de ses émotions.
Comme au théâtre, les scènes se suivent, tantôt dialoguées, tantôt commentées par une voix off monocorde ou les protagonistes eux-mêmes, avec le décor épuré correspondant, laissant très peu d’intervention du monde extérieur pour renforcer l’impression d’introspection très marquée, cependant que le choix de coloris sobres sans beaucoup de contraste souligne un peu plus cet aspect intemporel et parfois irréel, et que le score musical minimaliste exclusivement composé au piano par un Ryuichi SAKAMOTO très inspiré apporte une touche supplémentaire d’élégance désenchantée. Tout cela nous donne ce film mélancolique et contemplatif, un peu hermétique et difficile d’accès, mais finalement très touchant à condition de faire l’effort d’y entrer, pour peu que la fascination de l’étrangeté fasse son effet. Ce portrait intimiste est aussi un très réussi passage sur le grand écran du bouquin d’un auteur justement réputé inadaptable, ICHIKAWA ayant eu l’intelligence de se plier aux contraintes thématiques du romancier sans jamais le trahir : TONY TAKITANI s’avère être un film à l’originalité incontestable, comme en apesanteur, à l’instar du livre originel. Porté qui plus est par un remarquable duo de comédiens (chacun dans des doubles rôles) peu vus à l’écran : ISSEY OGATA vient de la scène théâtrale et amène son étrange présence, alter ego idéal de MURAKAMI lui-même auquel il ressemble un peu, alors que Rie MIYAZAWA, sortie dés l’adolescence de la Pop nippone, prouve une fois de plus son talent d’actrice, après quelques prestations impeccables :la jeune princesse du film BASARA/GO HIME a décidemment bien grandi.
Film littéraire au sens noble du terme, c'est-à-dire sans intellectualisme irritant, TONY TAKITANI est une intéressante parabole sur la vie d’un homme, et un exercice de style tout aussi brillant que son modèle livresque.
Tony Takitani est un film plutôt beau, bien filmé et au montage particulièrement soigné et fluide, de même que le travail du son et de la musique. Un régal pour les yeux (et les oreilles). Malheureusement, l'usage trop systématique de la voix-off affaiblit et alourdit le film : même faisant preuve de quelques idées intéressantes (la voix-off est parfois assurée par les personnages eux-mêmes, comme en aparté) et de la voix de Hidetoshi Nishijima, elle finit par étouffer le film par trop-plein de didactisme, le récit monopolisant le sens à la place des images.
"Le vrai nom de Tony Takitani, c'était vraiment Tony Takitani" (Haruki Murakami).
Adaptation d'une des nombreuses nouvelles de l'excellent romancier nippon (à ne pas confondre avec le pas moins excellent Murakami Ryu, auteur des "Bébés de la consigne automatique" ou "Miso Soup", scénariste d'"Audition", réalisateur de "Raffles Hotel" ou encore "Tokyo Decadence") Haruki Murakami, Jun ICHIKAWA tente un étonnant exercice de style. Centrant toute l'intrigue autour des deux acteurs, il a quasiment tout filmé sur la scène d'un immense théâtre. Le décor est dépouillé (rappelant effectivement les tableaux d'Edward Hopper, comme mentionné par le réalisateur même), permettant une grande liberté d'espace à la caméra et un travelling latéral redondant, mais plein de sens.
Ensuite, la pellicule a été décolorée pour gommer contrastes et zones d'ombre. L'atmosphère baigne ainsi dans une étrange lumière ouatée et grisonnante, un flouté artistique difficilement descriptible, mais forcément original.
Le son est de toute beauté. En quelques notes ultra dépouillées, Ryuichi SAKAMOTO (BO du "Dernier Empereur", "Little Bouddha", "Talons Aiguilles", ...) adapte parfaitement ses thèmes musicaux à l'atmosphère éthérée, un peu à la manière d'un Yann Thierssen dans ses moments au piano les plus calmes; d'ailleurs toute la phase introductive du film n'est pas sans rappeler les courts métrages ou le début d'"Amélie Poulain" par Jean-Pierre Jeunet...à la sauce MURAKAMI.
Le duo d'acteurs est tout simplement époustouflant. Tenant tous deux des double rôles, leurs compositions endossent parfaitement des rôles radicalement différents, habitant leurs personnages à tel point qu'ils en seraient quasiment méconnaissables, alors que physiquement (quasi) dissemblables. Issey OGATA est un imminent acteur de théâtre international, tenant des rôles dans les trois premiers films de Jun ICHIKAWA à la fin des années '80s, mais également dans le taiwanais "YiYi" d4edward Yang; Rie MIYAZAWA avait fait scandale pour ses scènes de nue dans "Liaisons Erotiques" est plus connu pour ses rôles dans le hongkongais "Peony Pavillion" de Yonfan et "Twilight Samourai" de Yoji Yamada. Leur parfaite alchimie transpire à l'écran.
La représentation éthérée et comme issue d'un rêve est également renforcée par cette mystérieuse brise, soulevant sans cesse les cheveux de la protagoniste principale lorsqu'elle apparaît à l'image; brise qui atteint également son mari en sa présence.
L'introduction de la voix off est judicieuse, son intervention se faisant au hasard des scènes, parfois reprise directement par les protagonistes, qui poussent le vice jusqu'à parler d'eux-mêmes à la troisième personne.
Rarement une adaptation littéraire a été prise autant au pied de la lettre; on en attendrait des mots se former à travers les éléments du décor ou sortant physiquement de la bouche des acteurs. L'univers si particulier de MURAKAMI est parfaitement rendu - dans ses moments de pure poésie, des tranches des vie si réalistes et parfois des métaphores un peu lourdes ou faciles et certaines longueurs en cours du récit.
Désarçonnant, il faut être un minimum préparé à la vision du film et être prêt à se laisser emporter par le tourbillon des pures émotions. Trop concentré à savoir où l'intrigue - finalement simpliste - voudrait bien nous emmener, il faut - au contraire - vivre les événements au fil des images.
Une fois ce principe accepté, la mise en scène particulière d'ICHIKAWA perd également de son application. La redondance des travelling latéraux, cette atmosphère éthérée pouvant devenir crispante à celui qui ne se prend pas au jeu et la répétition - au bout d'un moment - de toujours les mêmes formules pourrait devenir lassante. Et au film de ressembler au principal reproche fait aux dessins du protagoniste principal : "Tes dessins sont très beaux. Mais si froids...".
Les efforts déployés et l'application à créer une émotion sonne rappelle parfois trop le factice; en même temps, c'est l'essence même d'une fiction...
Dans Toni Takitani, le travelling n'est pas une question de morale, mais de moral. En jouant de toutes sortes de figures de style virant systématiquement à la répétitivité de procédé cinématographique, chaque plan s'en retrouve profondément empreint d'un spleen aussi agaçant qu'hypnotique. Et lorsque surgit le drame, filmé presque avec honte - un drame du hors-image, pensez-vous -, la rupture tant attendue n'arrive pas. Toni Takitani, drame monochromatique, pleurnichard mais se cachant de l'être, et souvent très ch iant, ne se sera jamais donné les moyens de nous faire vibrer. Et c'est bien dommage.