François | 4.5 | Un charme désuet tout à fait irrésistible |
Il y a tout dans Trail of the Broken Blade. Du mélodrame cucul au possible, avec des chansons et des histoires d'amour tragiques. De l'action très "opéra" pas crédible pour un sou, mais bien sanglante comme Chang Cheh savait si bien le faire. Quasiment de l'héroic fantasy, avec des épéistes proches de surhommes, capables d'accomplir les exploits les plus incroyables. De l'humour, des décors et des costumes tout à fait kitsch mais comme on les aime. Wang Yu à fond dans son trip même s'il est peu crédible. Bref, que du bonheur pour les fans de la Shaw et de l'Ogre.
Prédécesseur évident des plus grands classiques de Chang Cheh, ce film en contient déjà tous les thèmes et les qualités. Le côté très théâtral et symbolique, la beauté formelle de la violence bien sanglante, le côté presque fantastique avec les sauts câblés parfois très gracieux et les pouvoirs surhumains des épéistes. Chang Cheh s'y montre particulièrement à son avantage, même si les Golden Swallow ou New One-Armed Swordsman se montreront plus aboutis chacun dans leur domaine. Cependant on trouve ici un côté romantique encore plus poussé, avec ses personnages très caricaturaux, ses chansons mielleuses, ainsi qu'un irréalisme encore plus poussé que dans le futur. Le film rappelle à ce titre Tigre et Dragon, autre Wu Xia Pian câblé qui tente de parler d'une romance avant tout, et on peut légitiment y voir une des sources principales d'inspiration d'Ang Lee.
Evidemment, le côté très opéra, avec ses combats pas crédibles pour un sou, son héros capé qui court plus vite que l'éclair, ses méchants d'opérettes complètement kitchs (ahh le gros et ses masses d'arme!!!), sa romance ultra mielleuse, tout cela fait sourire. Oui mais, c'est bien fait, sans arrière pensée, à un tel point qu'on finit par tout accepter et qu'on s'en amuse comme devant un film d'aventure avec son super héros capable de tout. La réalisation de Chang Cheh est très bonne, bien meilleure que lors de ses années les plus prolifiques (en quantité, pas en qualité...). Wang Yu est à fond dans son rôle comme toujours, il tente désespérement de bomber le torse quand il revêt sa tenue blanche, ou d'avoir l'air triste et tourmenté ensuite. Rien n'y fait, il est aussi expressif qu'une brique, mais tant d'efforts inspirent immédiatemment la sympathie. Les autres acteurs sont beaucoup plus crédibles, notamment les méchants et on s'amuse des deux quatuors terribles avec leurs costumes impayables (le costume panthère, Wu Ma avec sa tête de hiboux).
Ce côté film d'aventure mélangé à un aspect très dramatique rend le film assez unique, comme un conte fantastique mais mélodramatique, avec son prince et sa princesse qui ne vivraient pas heureux et n'auraient pas beaucoup d'enfants. Bref, un conte qui pourrait à la fois émerveiller les petits et les grands grâce aux exploits de leurs beaux et justes héros, mais également faire verser une petit larme devant tant de drames. Evidemment, Chang Cheh trouvera son point d'orgue un peu plus tard avec des films plus réussis dramatiquement, mais celui-ci remporte la palme du romantisme, comme en témoignent les derniers plans tout simplement à tomber par terre, et qui confirme le parti-pris complètement assumé du récit. C'est beau, c'est tragique, ça a évidemment vieilli, mais le charme désuet dégagé par l'ensemble n'est même plus un défaut à ce niveau, mais bel et bien une qualité. Irrésistible donc.