Xavier Chanoine | 2.75 | Des fulgurances pour sauver un film bien fainéant |
Ordell Robbie | 1 | Un film à la narration fantôme |
Toujours à la limite entre le surnaturel et le réalisme de tous les jours, Vaine Illusion offre ici un moment de cinéma plutôt ennuyeux sans pour autant être inintéressant. Dans un Tokyo déserté recouvert d’une étrange brume presque imperceptible à l’œil nu, grisâtre au point de paraitre dévitalisée, un couple vaque à ses occupations familiales et professionnelles. Muets au point de ne montrer aucune émotion particulière l’un envers l’autre, les corps évoluent dans des espaces confinés. Leur existence semble être connue de peu de gens, au point de s’évaporer lors des instants de profonde solitude. Un étrange mal ronge le pays, symbolisé par une pluie de pétales de cerisiers et de pollens obligeant le couple à prendre des médicaments aux effets secondaires contraignants. Tandis que l’homme est impliqué dans le business d’un mystérieux gang, la femme ère chez elle ou au travail en ayant les idées loin d’être claires.
Kurosawa Kiyoshi étant un réalisateur absolument prolifique, au rythme de croisière de trois films par an avant les années 2000 (soit avant sa reconnaissance internationale définitive), Vaine Illusion passe logiquement en revue les genres avec une insolente maîtrise. Chronique urbaine aux relents surnaturels et hypnotiques ponctuée de visions d’outre-tombe, le tout en sourdine, Vaine Illusion montre le visage d’un couple qui tente tant bien que mal d’évoluer malgré une certaine forme d’autisme qui semble régner : ainsi, les rares moments passés en extérieur témoignent de leur difficulté à communiquer, un simple jeu avec des ballons se transforme en moment répétitif et lassant, où la jeune femme se fait littéralement sortir du cadre. De manière plus réaliste, Kurosawa Kiyoshi démontre la première vraie forme de séparation physique alors que le film jouait avant cela dans la cour du spirituel. La mise en scène, parsemée de touches gracieuses dans leur noirceur, est donc le point fort du film. Cependant, le cinéaste ne trouve pas de liant pour donner de la consistance à ces vignettes, très souvent superbes. La faute à une narration peu claire, éparpillée, presque sans intérêt. Reste que sa dernière partie, dont la violence sourde et imprévue rappelle le cinéma de Kitano, permet au film de trouver le souffle qu’il fallait pour ne pas tomber définitivement dans la pose formelle et narrative inutiles. Reste que bien d'autres films de Kurosawa Kiyoshi méritent plus le détour.
Le ratage de Vaine Illusion ne provient pas d'une mise en scène qui crée une ambiance somnambule, offre des plans séquences hypnotiques et lents. Il ne provient pas non plus d'ambiances sonores sourdes magnifiquement travaillées. Qui plus est, le fait que le film soit muet la plupart du temps évite à Kurosawa de trop céder à ses penchants à la philosophie de comptoir. La directions d'acteurs est honnete.
Le défaut majeur du film est en effet un scénario qui part dans tous les sens. Le film ouvre certes beaucoup de pistes intéréssantes: ce jeune couple apathique dont le garçon fait de la musique et bidouille des notes afin de sortir des sons étranges, cette fille travaillant à la poste et volant des paquets, la passivité des personnages face à la violence se déroulant devant eux, la fascination/répulsion pour la télévision, les envies suicidaires et transgressives des personnages, les personnages devenant invisibles sous nos yeux évoquant les évaporations chères à Abe Kobo, la difficulté à communiquer dans le couple, l'existence menée en véritable fantome. Tous ces thèmes ont été traités dans d'autres films du cinéaste mais Le problème est que le coté décousu du scénario n'aide pas à créer des liens entre toutes ces observations, à les transformer en une vision d'ensemble cohérente du couple dans la société japonaise.
L'absence de véritable fil conducteur (et on peut en avoir un sans forcément que le récit soit linéaire et logique; les derniers Lynch en sont la preuve incontestable) fait que l'on assiste à une suite de saynètes beaucoup plus fortes prises séparément que lorsqu'on les regarde d'un trait, à une superposition de scènes plutot qu'à un film.