La Vengeance d'un Réalisateur
La Vengeance est à moi est marquant à plus d'un titre. Tout d'abord, il marque le retour d'Imamura à la fiction à une époque où la crise de l'industrie japonaise commence à pointer son nez et le cinéma japonais aura bien besoin de lui pour continuer à produire des oeuvres majeures durant ces années-là. Devenu cinéaste à succès au Japon, il lui restera à conquérir les Festivals et les cinéphiles occidentaux, ce qui sera très vite chose faite avec sa Palme d'Or cannoise surprise une année où son contemporain alors plus connu Oshima était le favori de la rumeur. Le succès du film lancera également Ogata Ken qui deviendra une star du cinéma japonais et l'acteur-fétiche du maitre durant les années 80.
Mais le film a surtout frappé par les audaces formelles et narratives d'Imamura à l'intérieur du polar. On comprend en effet très vite que la traque du criminel et le suspense qui devrait en découler ne sont pas la préoccupation d'Imamura, ce qui se matérialise dans une direction d'acteurs évitant toute dramatisation mais réussissant néanmoins à maintenir une certaine tension lors des face à face (le face à face final Ogata Ken/Mikuni Rentaro en particulier). Mais c'est d'un point de vue rythmique que le film est remarquable: alors que ses séquences sont très longues, les ellipses narratives d'Imamura réussissent néanmoins à donner l'impression d'un film très rythmé, rendant ainsi à la fois la durée mise par le héros/criminel pour s'imposer dans ses rôles caméléons, s'intégrer aux mondes qu'il rencontre et la force vitale qui le pousse dans sa cavale.
D'un point de vue narratif, la structure éclatée et ses allers-retours passé/présent du criminel reflètent parfaitement l'idée d'un homme puzzle -ses faux personnages créés au cours de sa cavale pourraient ou pas être des parties de lui-meme- dont personne n'arrive à comprendre les motivations. La structure éclatée permet également à Imamura de se concentrer sur ce qui l'intérèsse le plus: les femmes, leur force vitale et leur détermination. Détermination de l'épouse du criminel qui souhaite faire sa vie avec son beau-père. Détermination d'une prostituée prête à suivre le criminel parce qu'elle n'a plus n'a rien à perdre. Clairvoyance d'une vieille dame qui comprend le plaisir du criminel à vivre dans le mensonge permanent et qui de ce fait suscite sa fascination. Imamura persiste et signe en montrant que dans les circonstances les plus dures ou à la marge de la société (les prostituées rencontrées par le criminel en fuite) les femmes font preuve d'une volonté et d'une énergie vitale remarquables. En outre, la parenthèse documentaire -dont on retrouve des traces ici par l'usage judicieux des caméras portées- n'a en rien amoindri la splendeur lubrique de la caméra d'Imamura: les multiples coucheries du film le confirment comme un des cinéastes qui filment le mieux la jouissance féminine. Le récent De l'Eau tiède sur un pont rouge montre d'ailleurs qu'à soixante-dix ans passés il n'a pas perdu la main de ce coté-là.
Pour en revenir au mystère du personnage du criminel, peut-être veut-il simplement être tout à la fois avant une mort certaine déjà programmée au début du film: un professeur d'université respectable fréquentant des prostituées, un homme à femmes, un bienfaiteur financier des marginaux dans le besoin et un criminel qui tue sans mobile apparent. Car contrairement aux criminels de Gosha (Portrait d'un Criminel avec Ogata Ken justement) et d'Uchida (le Détroit de la Faim où joue Mikuni Rentaro), celui d'Imamura n'est pas portraitisé comme le produit d'une période sans repères moraux: il est là, il vit, il tue, c'est tout et même son appartenance à une minorité religieuse (catholique; d'ailleurs il ne ressent au final aucun regret ni désir de pardon) ne saurait servir d'explication réelle: meme lors du face à face final son père n'arrive pas à le comprendre. Le personnage incarné par Ogata Ken est d'ailleurs mis au niveau de tous les autres protagonistes du récit, une constellation autour de laquelle il tourneraient tous mais qui ne serait néanmoins aucunement le centre de l'univers du film.
S'il se refuse à la moralisation facile, Imamura aura néanmoins multiplié les pistes et les explications possibles: elles ne sont jamais pleinement satisfaisantes donc se valent toutes, offrant une multiplicité de points de vue décryptant les mécanismes d'un instinct de vie qui est aussi un instinct de meurtre. En laissant des zones d'ombre, il offre le portrait fascinant d'un personnage amoral. Et nous de reconstituer cette mosaïque avec passion.
Chronique d'un salopard.
Les films d'Imamura sont réputés pour être beaux, charmants, souvent mélancoliques, nostalgiques, emprunts d'un véritable goût pour le passé et le bonheur de nos années perdues. Vengeance is mine ne fait pas partit de cette catégorie, et préfère laisser les bons sentiments sucrés à part et transfigurer l'histoire pas banale d'un serial killer/joker en une véritable chronique, longue et périlleuse. Sur 2h20, l'œuvre n’est pas rassurante, pire même, préfère exposer sans la moindre gène les pires excès de violence vus dans le cinéma particulier d'Imamura, qu'ils soient physiques ou moraux.
Le cinéaste aime parler de son japon, de sa société bancale et exposer les faits divers du passé, tout en les magnifiant et les cuisinant à sa sauce. C'est pourquoi il réécrit à sa façon l'histoire d'un tueur et arnaqueur qui sévit dans le japon des années 60, ses cibles étant principalement des femmes. L'homme multiplie les identités comme il change de chemise, passant d'un homme tout à fait banal à un avocat et que sais-je encore. Imamura se fait d'ailleurs un malin plaisir à critiquer cette société nippone, notamment dans la dénonciation des forces de l’ordre, bonnes à laisser des affiches de recherche plutôt que d'enquêter pleinement sur le terrain. Il dénonce aussi toute sorte de violence physique et psychologique via une direction d'acteurs exceptionnelle : les coups fusent, de même que les viols ou les magouilles d'argent (escroquerie, jeux, prostitution), c'est ainsi que Ken Ogata crève l'écran part son interprétation formidable du tueur Enokizu, fine crapule aux innombrables casquettes; tout comme Rentaro Mikuni en père douteux et dépassé par les évènements de son fils en cavale. Retenons aussi les personnages féminins, courageux.
Si Vengeance is mine demeure à ce jour l'un des meilleurs films de son auteur, c'est bien parce qu'il négocie parfaitement chaque virage tout au long des 2h20. Rythme soutenu, dialogues travaillés, cohérents, intrigue minutieuse et parfaitement retracée, Imamura étonne par son incroyable sens de la réécriture de ce fait divers. Cependant, et en toute subjectivité, je m'attendais à autre chose. On y trouve d'ailleurs par moment quelques ressemblances avec le cinéma de Fukasaku notamment dans la rage de ses protagonistes, dans cette formidable critique sociétale du japon des sixties et dans ces teintes jaunâtres particulièrement étouffantes. Un film compte à rebours, manquant hélas de folie dans sa mise en scène très stricte, malgré des idées visuelles sidérantes (le bain de minuit entre Shizuo et Kazuko, le meurtre passionnel de fin).
Esthétique : 3/5 - Quelques passages étonnants, d'autres plus ternes.
Musique : 2.75/5 - Je n'ai retenu aucun thème particulier. Une ambiance sonore silencieuse.
Interprétation : 4.5/5 - Des comédiens hallucinants et courageux. Formidables compositions.
Scénario : 4/5 - Un fait divers terrible remanié par Imamura. La classe.
Body Count
Marquant le retour d'IMAMURA après une longue absence des grands écrans suite à l'échec de son dernier long métrage et de son implication poussée dans le domaine du documentaire, "La Vengeance est à moi" est un nouveau pari cinématographique audacieux de la part de son réalisateur. Ne faisant aucune concession à sa créativité artistique, même après ses cuisants échecs passés, le cinéaste intègre ses leçons apprises dans le domaine du documentaire au sein même d'un long métrage pour tenter de reconstituer une partie des méfaits d'un célèbre escroc et tueur en série japonais des années soixante.
Démarrant comme un polar, le film poursuit comme la laborieuse reconstruction déstructurée de toute l'affaire, accumulant des reconstitutions fictionnalisées des méfaits du tueur pour terminer sur une longue troisième partie des derniers jours de liberté de son assassin. Incroyable tour de force, chaque partie fourmille de mille trouvailles visuelles et constitue l'amorce d'un film en soi. Difficile de faire la part des choses, des éléments fictifs rajoutés par son auteur pour romancer l'histoire, à l'instar des mensonges accumulés par le tueur pour berner ses futures victimes. Restant à bonne distance de son personnage, les partis pris radicalement opposés selon les différents segments n'admettent aucune identification à l'étrange personnage; les séquences de meurtre sont en tout exécutées avec un sang froid rarement égalés à l'écran et profondément dérangeants. Personnellement, je n'avais été autant secoué que par une séance sur grand écran étouffante de "Henry, portrait of a serial killer".
IMAMURA ne prend aucun parti pris. Ses pistes empruntés ne mèneront jamais à une quelconque explication claire aux motivations du tueur - sans doute le coupable lui-même n'aura jamais été capable de s'expliquer quant à ses actes.
Les personnages secondaires sont tout aussi impressionnants; personne n'est exempt de quelque pêché et au tueur d'évoluer dans un véritable environnement malsain.
La mort est omniprésente à l'image (morts; tentatives de meurtre et de suicide; des cimetières; la mort de Kennedy, ...) et IMAMURA n'hésite pas d'ajouter d'autres traumatismes typiquement japonais (occupation américaine, bien sûr; mais également la politique de réquisition durant la guerre sino-japonaise) pour ajouter au climat malsain récurrent, emblématique des temps incertains du début des années '80s au Japon.
Un film coup de poing d'un cinéaste, qui n'a rien perdu de son hargne de ses débuts; seule la troisième partie est quelque peu trop longue par rapport aux deux premiers tiers tout simplement sublimes d'un point de vue cinématographique.
Everest cinématographique
Les films qui bouleversent totalement votre vision du cinéma, ça ne court pas les rues n'est-ce pas? Pour ma part, y'avait le" Roi Lion" (si, si j'vous jure, le film culte de mon enfance) et il y a maintenant "La vengeance est à moi" de Shoei Imamura.
Retraçant la cavale d'un tueur, Enokizu, "La vengeance est à moi" se caractérise par une narration étourdissante, basée sur des sauts entre les époques, touchant tour à tour l'enfance du héros, sa cavale et son interrogatoire dans le présent.
Mais "La vengeance est à moi" n'est pas un thriller: c'est une fable sur l'amoralité, le portrait terrifiant d'un homme cynique, magnifiquement campé par un Ogata Ken au meilleur de sa forme.
Très, trop humain, le personnage d'Enokizu dérange, présentant tantôt le visage d'un escroc, d'un assassin, d'un mécène. Campé dans sa folie, en proie à un appétit sexuel incommensurable, Enokizu va trouver une bouée de sauvetage, en la personne d'une jeune gérante d'auberge et de sa mère, qui, enchaînées à leur passé, vont développer une étrange relation avec le tueur en cavale.
Le film repose en grande partie sur ces deux personnages et leurs interactions avec Enokizu. L'empathie entre la mère et le criminel est particulièrement impressionnante, à l'image de ce dialogue surréaliste au bord d'une rivière où la vieille femme devine les intentions d'Enokizu tout en lisant à livre ouvert dans ses contradictions.
Imamura observe avec un détachement salutaire, évitant au film toute portée moralisatrice, ces personnages graviter autour de leurs propres tourments, dans l'espoir de trouver une issue de secours et de donner un sens à leur vie.
Thème récurrent aux films d'Imamura, les scènes de coucherie, stigmatisant avec talent la bestialité, se concentrent le plus souvent sur la femme. Celles-ci sont au centre du film d'Imamura, se caractérisent par une volonté de vivre indomptable et dominent le film de leur classe. Que ce soit la tenancière de l'auberge qui cherche un sens à sa vie, la femme d'Enokizu en proie à un amour inaltérable pour son beau-père, les femmes de "La vengeance est à moi" plient parfois, mais ne rompent jamais. Contrairement aux protagonistes masculins du film, elles ne fuient jamais, font toujours face.
La manière qu'a Imamura de montrer cette énergie indomptable, tout en sobriété est vraiment magistrale. Certains cinéastes actuels, filmant tout en gros plans afin de sursignifier devraient en prendre de la graine. D'une simple saynète de quelques minutes, Imamura parvient à donner une dimension non négligeable à un personnage, et ça, c'est la marque d'un véritable talent, que dis-je, du génie.
Quant au face à face final entre le père et le fils, il écrase allégrement toutes les tentatives actuelles de donner de la densité à une scène de duel avec pléthores d'effets spéciaux (Matrix, etc...). Faire passer autant de tension (la scène est vraiment terrifiante) sans aucun effet de style et grâce à la seule performance d'acteurs (exceptionnels certes) reste pour moi un véritable miracle cinématographique.
Je pourrais encore m'attarder sur les autres thèmes abordés par le film (la religion et le rapport de l'homme par rapport à Dieu, le rapport conflictuel parents-enfant, les répercussions sur l'enfant de l'attitude de ses parents, etc...), mais je vais m'arrêter là pour revenir sur le seul point faible du film.
Il réside dans les 20 première minutes, très bordéliques, où le spectateur a vraiment du mal à se situer dans les multiples sauts temporels et il faut vraiment s'accrocher pour réussir à rattraper le train en marche. Mais la récompense au bout est....
Reste à espérer une sortie en DVD Z2 de ce chef-d'oeuvre, car ce serait une hérésie de faire tomber ce film aux oubliettes.
Comme souvent chez Imamura, un grand moment de cinéma décalé!
Alors que l'on attend une chasse à l'homme, l'on a droit à un portrait d'un homme instable. Alors qu'on s'attend à un bio-pic à volonté documentariste, l'on a droit à un film qui ne se pose jamais là où on l'attend et s'attache à peindre par des détails infimes une galerie de seconds rôles qui piquent régulièrement la vedette au personnage campé avec brio par Oguta Ken. Ne jamais se poser là où on est attendu, tel semble être le défi que s'est lancé Imamura, et encore une fois il ne déroge pas à son habitude. Sa narration éclatée fait encore une fois mouche et on se perd avec délice dans les méandres ce portrait trouble, décalé, brillament amoral, parfaitement mis en scène par un Imamura revenu au top après son crochet par le documentaire.
Géant!
En toute simplicité, un film incroyablement dense et puissant!
Une vengeance singulière.
Comme dans la plupart des films tirés d'une histoire vraie, il y a toujours ce petit quelque chose qui nous rend proche du personnage principal, même quand celui-ci est un meurtrier et un usurpateur de la trempe de Enokizu ! J'ai aimé cette proximité qui nous met parfois mal à l'aise, et c'est essentiellement grâce au travail de IMAMURA Shohei à la réalisation.
Ogata Ken est également bien à sa place, collant au mieux à l'aspect à la fois dérouté et sûr de lui du tueur.
L'histoire est clairement divisée en deux parties très différentes, tout d'abord avec sa femme dans sa famille, puis en cavale, avec sa maîtresse dans une auberge. Le film est assez décousu par moments, un rythme irrégulier ; il faut dire qu'il essaye au mieux de suivre son personage, assez insaisissable.
Au final, j'en garde un sentiment de bon film, mais vraiment pas d'oeuvre parfaite de la part de IMAMURA.
Le chef d'oeuvre d'imamura
Ce film de 1979, qui vient après une longue période de silence d'Imamura, peut être considéré comme son film le plus achevé. En deux mots, il retrace l'odyssée d'un serial killer, issu d'une minorité catholique d'une petite île de pêcheurs. En parallèle, on suit le parcours de sa première femme, qui nourrit à l'égard de son beau-père un amour auquel celui-ci ne peut répondre, et de sa compagne du moment, tenancière de bordel dont la mère est elle-même meurtrière.
Notre homme est l'incarnation du mal. Plus exactement, il est totalement dépourvu de morale : seul compte son intérêt individuel immédiat. Il tue gratuitement, pour quelques billets ; vole de pauvres femmes rencontrées aux assises et auxquelles il fait croire qu'il est avocat ; humilie et rabaisse ses parents dont il ridiculise la foi.
Comme toujours, chez Imamura, les sentiments sont crus et rudes, a fortiori lorsqu'ils se développent au sein de la structure familiale. Entre le tueur et son père, entre la @!#$ et sa mère, même haine, même impossibilité de dialoguer sans recours à la violence. Seul espoir dans ce film asphyxiant, l'amour que se portent la première femme du tueur et son beau-père. Peur de l'inceste et poids du catholicisme conduisent pourtant, le second à rejetter les avances de la première au terme de l'une des plus belles scènes érotiques que le Maître ait réalisées. Violence et passion ou Désirs meurtriers auraient pu être les titres de ce chef d'oeuvre, qui a visiblement fortement influencé le Roberto Succo de Cédric Kahn.