Voyage vers la Priscilla interdite
L’exploit est remarquable autant que courageux : du haut de ses 25 ans, la jeune aventurière Priscilla Telmon décide de partir sur les traces d’Alexandra David-Néel, une franco-belge qui fut la première européenne à pénétrer et séjourner à Lhassa dans les années 1920, déguisée et accompagnée par son fils adoptif tibétain. Il s’agit donc d’un parcours à pied de 5 000 km sur 6 mois, en partant du Viêt-Nam pour traverser le Yunnan chinois, le Tibet, puis rejoindre l’Inde jusqu’à Calcutta. Et pour corser un peu la chose, elle choisit la solitude de bout en bout, bien que rejointe en des lieux stratégiques par l’équipe du film pour faire un point sur le tournage.
Afin d’immortaliser sa performance, Priscilla emmène avec elle une caméra numérique, dont elle recharge la batterie dans des villages pourvus d’électricité. Elle varie les points de vue en prêtant sa caméra à ses compagnons de route, en la posant à même le sol pour la voir s’éloigner sur le chemin, ce qui l’oblige ensuite à faire demi-tour et à couper au montage, ou en tournant en caméra subjective. Le pari est ambitieux – jusqu’ici tout va bien.
Se pose alors la question du résultat final. Et là, on peut légitimement être beaucoup moins enthousiaste. Le titre d’abord : « Voyage au Tibet interdit », cela évoque le danger, des révélations, la découverte d’un monde inconnu et surprenant. Rien de tout cela malheureusement dans ce documentaire qui décevra plus d’un téléspectateur séduit par son accroche vendeuse, car on n’y apprend pas grand-chose. Sur le fond, Priscilla ne développe que des banalités ou des lieux communs (Incroyable, le Tibet est envahi par les chinois depuis 50 ans ! Et il parait même qu’en Inde, on jette les cendres de cadavres dans le Gange et qu’on s’y purifie en s’immergeant dedans, dingue non ?), ne nous montre que bien peu de paysages idylliques, et ne relate quasiment pas de rencontres marquantes avec des autochtones. En somme, Priscilla ne parvient jamais à nous intéresser aux endroits qu’elle traverse, tant elle semble elle-même peu intéressée par son Histoire, ses habitants, sa culture. Contrairement à Alexandra David-Néel dont elle nous rebat les oreilles tout au long du film, elle n’est clairement pas partie au Tibet à la recherche d’une quête spirituelle, mais plutôt dans l’optique d’un exploit exclusivement sportif et personnel.
Devant le vide intersidéral du propos, il ne reste plus alors qu’à s’accrocher au seul véritable sujet du film, à savoir Priscilla Telmon elle-même. Et évidemment, dans de telles circonstances, c’est une affaire de feeling : soit on apprécie sa personnalité, soit non. Et pour moi, c’est non, dommage. Car Priscilla a beau être gentille, elle a tout de la bobo parisienne un poil hautaine et condescendante, égocentrique, narcissique, trop bavarde et même limite néo-colonialiste dans certaines de ses attitudes ou de ses réflexions. Irritante lorsqu’elle sort des tirades tout sauf naturelles de son chapeau en voix off (ex : « les tibétains laissent au vent de l’Himalaya le soin de semer leurs prières »), insupportable lorsqu’elle s’adonne à la vulgarité (« p.utain ! », « chiotte ! », « j’en ai marre ! », « je les hais ! »), lorsqu’elle joue les hypocrites (« hmm la bonne tsampa !») ou lorsqu’elle tente un remake de Blair Witch Projet en pleine nuit, Priscilla est à mille lieues du charme, de l’humour et de la curiosité d’un Antoine DE MAXIMY de la série J’irai dormir près de chez vous. Bref, n’est pas Alexandra David-Néel qui veut...